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sieurs prenaient le parti de ces dames; le parterre se fâchait contre ces messieurs; la police se mêlait de la chose; des injures ou des coups étaient échangés, puis les tribunaux correctionnels étaient saisis de l'affaire, et la Revue et Gazette des Théatres pouvait renvoyer à la Gazette des Tribunaux pour le compte rendu de la dernière phase de ce charivari gigantesque.

Au milieu de ce trouble paraît la première grande pièce nouvelle, les Petits Oiseaux, comédie en trois actes de MM. E. Labiche et A. Delacour (1er avril)'. C'est, sous un titre si gracieux, le développement d'une idée plus consolante peut-être que vraie. L'optimisme et la philanthropie d'une part, le pessimisme et la misanthropie de l'autre, sont mises aux prises, et, finalement, ce sont les sentiments bienveillants qui ont raison. L'excès de confiance vaut mieux que l'excès de défiance; il y a encore sur la terre des gens de bien, des parents dévoués, des amis fidèles; l'humanité n'est pas si méchante qu'on se plaît à le dire, et Voltaire a eu tort de se moquer de la fameuse formule: Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possible. Sauf quelques scènes un peu scabreuses, cette moralité en action aurait pu figurer dans le théâtre de M. Berquin.

On pourrait renvoyer au même théâtre le Vrai Courage, comédie en deux actes de M. Adrien Belot et Raoul Bravard (17 avril). On peut refuser un duel et ne pas être un lâche. Un jeune militaire a promis à sa mère mourante d'être l'appui de sa sœur, et lui a juré de ne plus exposer

1. Acteurs principaux: Blandinet, Numa; François, Parade; TiFurce, Saint-Germain. Henriette, Mmes Germa; Laure, Simon. 2. Acteurs principaux: Georges, Febvre; Julien, Munié; de Blagny, Nertann; Lue, Saint-Germain. Angèle, Mmes Brindeau; Marie, Mauroy.

sa vie tant qu'il serait son tuteur. De soldat il s'est fait médecin. Insulté grièvement, il refuse de se battre, au grand étonnement d'un de ses amis, qui connaît sa bravoure. Mais, ayant découvert que son ami aime sa sœur et en est aimé, le médecin la lui accorde en mariage; et, dégagé de ses fonctions de père, il court provoquer son insulteur dont il essuie bravement le feu et dont il épargne la vie. Voilà le vrai courage.

Nous trouvons des prétentions plus hautes dans les Plantes parasites, comédie en quatre actes de M. A. de Beauplan (7 mai). Cette pièce appartient au genre si brillamment exploité par MM. Barrière, Dumas fils et Sardou. On lui promettait, dit-on, le même succès qu'à Nos Intimes; cet espoir a été trompé. Pour réussir par la séduction de certains défauts, il faut y joindre une force réelle qui ne se retrouve pas ici. Il faut racheter la médiocrité de l'idée par l'habileté de l'exécution; il faut enlever son sujet, précipiter l'action, ne pas laisser le temps au public de voir que le sujet n'est pas neuf et que l'action est, au fond, sans grand intérêt.

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Les plantes parasites,» selon M. de Beauplan, sont les intimes» de la famille. Ce sont ces parents que l'on appelait à tort dans une autre comédie « les parents terribles, et qui ne sont qu'incommodes et fâcheux. Un artiste, qui a épousé une honnête femme, se plaint d'étouffer dans le milieu bourgeois qu'elle lui a donné. Bonne mère, épouse vertueuse, excellente femme de ménage, elle administre parfaitement sa maison et force son grand homme de mari à faire des portraits. Celui-ci se lamente, accuse la destinée qui ne lui est cependant pas mauvaise; il déplore hautement un mariage fait pour lui donner le bonheur, et regrette surtout de

1. Acteurs principaux: René, Febvre; V. Savard, Colson; Desfougerais, Chaumont; Jean, Riquier.-Thérèse, Mmes Fargueil; Lucile, J. Beau; Mme du Parc, Lambquin; Mme Chambry, Cellier, etc.

n'avoir pas épousé plutôt une certaine cousine pauvre, mais faite pour le comprendre.

Notre grand homme est rappelé assez vertement à l'ordre et à des sentiments plus justes par un cousin raisonneur qui est le Desgenais de la pièce; car il n'y a point de pièces du genre Barrière sans un Desgenais. Sermons perdus! Il faut que les folies et les passions aient leur cours. La famille de l'artiste est profondément troublée par le désordre de ses idées. Sa femme a vainement lutté pour le disputer à sa rivale, la cousine pauvre, devenue elle-même une artiste célèbre. Un éclat est inévitable; il faut que le mari choisisse entre la femme et la maîtresse. L'artiste se décide à fuir avec cette dernière, quand tout à coup apparaît devant lui sa fille, dont la grâce innocente le ramène au devoir; et la sainteté de la famille triomphe de l'amour profane une fois de plus. On voit que l'auteur des Plantes parasites n'a négligé aucun des éléments ordinaires des grands succès; mais il ne suffit pas de savoir choisir les cordes qui rendent les notes aimées du public, il faut encore savoir les faire vibrer.

Encore un drame intime, un drame de famille, où les passions extralégales sont punies par leurs douloureuses suites. Delphine Gerbet, ou les Comptes de jeunesse, comédie en quatre actes, de MM. Paul Foucher et Regnier (16 juin)', est une de ces pièces qui appartiennent par tout leur développement au genre sombre du boulevard, et qui ne justifient leur titre de comédie que par l'absence d'un dénoûment sanglant et par le caractère plaisant ou grotesque de quelque personnage accessoire. Le sous-titre « les Comptes de jeunesse » fait deviner la principale situation.

Un riche banquier, qui a eu une jeunesse légère, est le

1. Acteurs principaux Bondelin, Delannoy; Beauvilliers, SaintGermain; Gerbet, Munié; Mauléon, Nertann.— Delphine, Mmes Rouszil; Mme de Ferney, Brindeau.

protecteur de la fille d'un de ses amis intimes, caissier de sa maison. L'amour qu'il a pour elle est des plus tendres; il s'est chargé de son avenir; il lui fait une dot et veut lui donner un mari de son choix. La mère de la jeune fille est morte, laissant entre les mains d'un notaire une lettre où elle confesse que son enfant est née d'une faute et que le banquier en est le père véritable. Cette lettre est une menace perpétuelle contre le repos de deux ou trois familles; la crainte de la voir divulguée empoisonne le bonheur que le banquier pouvait goûter dans sa paternité illicite. La vérité éclate enfin pour tous, excepté pour le mari abusé, et la jeune fille repousse avec mépris l'amour et les bienfaits de l'amant de sa mère, pour se jeter dans les bras de l'honnête homme trompé, son père suivant la loi. Un intérêt plein d'angoisse règne dans cette pièce, à laquelle on a reproché des longueurs et l'abus prolongé d'un de ces secrets qu'on appelle secrets de comédie.

Nous passons à un ordre d'idées plus gai, avec la Comtesse Mimi, comédie en trois actes de MM. Varin et Delaporte (5 septembre)'. Entre ces grands tableaux des misères intimes de la famille, des ravages de la passion et de leurs suites expiatoires, il est agréable d'entendre de francs éclats de rire, et, invraisemblances pour invraisemblances, de remplacer les sombres inventions qui prétendent peindre la société par celles qui se bornent à l'amuser. La comtesse Mimi est une grande dame comme on n'en voit guère, qui, pour juger ce que valent les belles paroles de son prétendant, se hasarde à le suivre, déguisée en grisette, dans le monde inférieur où il fait ses fredaines. Elle s'expose à des aventures, et il lui en arrive d'assez étranges. Sous son costume d'ouvrière, quelques trop riches détails de toilette

1. Acteurs principaux: Ringard, Parade; Maxime, Saint-Germain: Georges, Nertann. Hélène, Mmes Cellier; Julia, Pierson; Mme Bergeret, Lambquin; Mme Morisseau, Duplessis.

la font prendre pour une dame du demi-monde et chasser d'un bal honnête. Elle y aura gagné au moins d'apprécier celui qui aspire à sa fortune et à sa main, et de le remplacer par un jeune compositeur encore obscur, mais plein de talent, qui l'aime pour elle-même.

Après cette échappée d'un instant sur les terres du Palais-Royal, le Vaudeville se hâte de revenir aux grandes pièces du genre intime. Celle qu'il monte, au retour de l'hiver, pour l'inauguration de la saison dramatique, s'appelle les Ivresses, ou la Chanson de l'amour; c'est une comédie en quatre actes et des bons faiseurs, de MM. Th. Barrière et L. Thiboust (13 octobre)'. L'administration du théâtre a paru fonder beaucoup d'espérances sur une œuvre considérable, signée de ces deux noms aujourd'hui populaires; le public des premières représentations s'est montré empressé d'y applaudir, et la critique y a trouvé matière à ample discussion.

Les Ivresses sont une de ces pièces laborieusement montées qui s'adressent à la foule par tous les genres de séductions à la fois, en donnant les plus violents démentis à toutes les règles et théories de l'art dramatique. C'est un incroyable pêle-mêle des éléments les plus divers; les auteurs y prennent une dizaine d'idées qui pourraient être fécondes, et les abandonnent sans en développer une seule; ils mettent en jeu toutes sortes d'intérêts, font jouer au hasard tous les ressorts; ils ont multiplié à plaisir les personnages, croisé, sans les relier entre elles, quatre ou cinq intrigues. Ils ont mêlé quelques études de comédie de caractère a des scènes de vaudeville sentimental, et des bouffonneries à des coups de théâtre de mélodrame. Point

:

1. Acteurs principaux De Fugères, Félix; Faustin Guibert, Delannoy; Georges, Febvre; Hippolyte, Saint-Germain; de Mezeray, Munié. Mme de Limours, Mmes Fargueil; Mme de Menioles, Brinleau; me de Verveda, Cellier, Éva de Ronzoff, Derieux.

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