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de M. de Pontmartin, l'imprudence, la faute, devient plus étrange. Passant du salon sur les tréteaux, il a eu le temps à peine de quitter ses gants pour souffleter des petitesses ou fustiger des turpitudes. L'écrivain d'un monde grave se fait queue-rouge, l'homme en habit noir jette son claque par-dessus les moulins.

Venons au livre lui-même, écrit avec esprit, mais mal composé; pamphlet littéraire peut-être trop vif, compliqué d'un roman qui ne l'est pas assez. Le pamphlet, c'est la revue générale des notabilités de la littérature parisienne, jugées par le bon sens et l'honnêteté d'une société provinciale; le roman, c'est la peinture des mécomptes réservés dans la vie de province à un Parisien déchu qui cherche un refuge aux champs contre les souvenirs odieux de Paris et qui reviendra bientôt en toute hâte à sa première galère. Le roman n'est que l'Idylle de M. Nadaud1, refaite, mais moins bien faite; il ne mérite guère de nous arrêter. Voyons le pamphlet.

Fontenelle a dit que s'il avait la main pleine de vérités, il se garderait bien de l'ouvrir. Prenez le contre-pied de la pensée de Fontenelle, et vous aurez les Jeudis de Mme Charbonneau. M. de Pontmartin avait les deux mains pleines de vérités, et de vérités désagréables, plutôt bonnes à cacher qu'à faire paraître, et il les a ouvertes. Il a dit tout haut ce que beaucoup disaient tout bas. Il n'a pas eu de grands efforts d'invention à faire; il a recueilli les médisances, les appréciations sévères qui circulent dans l'intimité du monde lettré, et il les a divulguées sans pitié. Il s'est fait l'enfant terrible d'une grande famille qui a déjà assez de peine à cacher au public ses petites misères.

L'homme qui dit tout, dit souvent trop. Il y a des choses éphémères qu'on peut railler en passant, dans une

1. Voy. le compte rendu de ce charmant roman pastoral, au tome IV de l'Année littéraire, p. 85-90.

boutade, mais dont il ne faut pas faire, dans un livre, un chapitre de l'histoire des lettres. M. A. de Pontmartin n'en a pas moins de justes sévérités contre certaines habitudes du monde littéraire moderne. Par exemple, il fait rougir la critique, devant tout le monde, des peccadilles qu'elle portait si légèrement, en secret, dans sa conscience; il la montre, par de piquantes applications, soumise à l'intérêt, à la passion, à la camaraderie, à l'influence des relations sociales; tantôt revêche et hautaine envers le talent, tantôt humble et complaisante envers la médiocrité. Il touche aussi avec justesse à cette plaie d'argent dont notre époque, avide de bien-être et esclave d'un faux luxe, a porté la contagion jusque dans les choses de l'esprit. Et ici, c'est un procès à faire au siècle plutôt qu'à la littéra

ture.

Si l'auteur avait mis ses révélations en œuvre dans des portraits de fantaisie, les détails en seraient encore assez tristes pour l'honneur des lettres et des lettrés; quand elles deviennent des personnalités et s'accolent à des noms propres, elles prennent un caractère plus fâcheux : il est difficile de les défendre du reproche de diffamation. Il y a un cas où ce reproche est plus grave: c'est celui où le confrère, poursuivi par des indiscrétions injurieuses, a été enlevé par une mort assez récente et n'est plus là pour répondre. On admet trop bien la loyauté de M. A. de Pontmartin pour douter de la vérité des confidences qu'il a reques du malheureux Schaunard, autrement dit Henry Murger. Mais, sans contester son témoignage, les propos cyniques qu'il rapporte n'étaient peut-être pas aussi sérieux qu'il les fait; l'arithmétique d'escroc qu'il lui prête et dans laquelle il voit une leçon de littérature contemporaine, » est une diffamation envers un mort, contre laquelle tout homme délicat proteste, sans vouloir en laisser faire la preuve.

On aurait voulu voir ménager l'individu; mais on lui

abandonne l'espèce. Son appréciation de cette étrange vie littéraire appelée la bohème, et à laquelle Henry Mürger a succombé, n'en est pas moins d'une grande exactitude. Il voit dans cette triste victime de la théorie qui fait du désordre de la vie une condition de l'art, le commencement de la dissolution intellectuelle et physique. Il se souvient avec colère « du bruit qui se fit sur ce pauvre cercueil et qui convertit la leçon en fanfares et en réclames. » Et il ajoute avec une méchanceté spirituelle: On peut dire que Schaunard fut escorté jusqu'au cimetière par la musique du régiment qui l'a tué. »

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Le nom de Schaunard donné à Henry Mürger par allusion à une de ses créations indique un des procédés employés par M. A. de Pontmartin pour intriguer d'abord son lecteur sur des personnalités qu'il désignera plus clairement ensuite. Il lui fait un peu chercher le visage sous les masques, avant de les faire tomber. C'est de la même façon que Lamartine s'appelle Raphaël; Alfr. de Musset, Falconney; George Sand, Lélia. Un plus grand nombre de ses personnages ont des noms qui rappellent leurs habitudes de style ou d'esprit. M. Victor Hugo est surnommé Olympio; M. Sainte-Beuve, Caritidès; M. Th. Gautier, Polychrome; M. Méry, Bourimald; M. Paulin Limayrac, Caméléo; M. Barbey d'Aurevilly, Molossard. Les autres sont désignés par des transformations ou des altérations de leurs propres noms, dont quelques-unes sont heureuses et d'autres puériles M. Taxile Delord devient Porus Duclinquant; M. Granier de Cassignac, Bernier de Fauxbissac; M. L. Ulbach, Colbach, etc. Une liste générale est dressée de toutes ces correspondances.

Ces procédés, dira-t-on, sentent la charge et ont des allures charivariques. Ai-je dit le contraire? Le plus curieus, c'est que M. A. de Pontmartin met les armes légères du petit journalisme au service des graves et saines doctrines. Ses héros de prédilection sont MM. de Falloux et Louis

Veuillot. Il suit l'exemple de ce dernier, qui tout en maudissant Voltaire, a appris à son école,

A se moquer un peu de ses sots ennemis.

Il copie même trait pour trait l'esquisse que M. Veuillot, l'année précédente, avait improvisée, en vers satiriques, de l'un de leurs ennemis communs. M. de Pontmartin, qui appelle ce vétéran du Charivari « le supplicié de la drôlerie, en est lui-même le volontaire tardif et inattendu.

Soldat trop indépendant, il tire sur ses amis, du moins sur les défenseurs de sa propre cause, et l'on est étonné de lui voir tant de colères contre MM. Barbey d'Aurevilly, Granier de Cassagnac et les frères Escudier. Il se frappe lui-même; il fait son mea culpa de ses propres peccadilles, de ses complaisances, de ses injustices par esprit de camaraderie ou de parti. Il se fait infliger, comme critique et comme romancier, cette belle et rude leçon par un de ses interlocuteurs : « Vous avez fait de la critique avec vos passions, et du roman avec vos systèmes. Il en est résulté que vos appréciations des œuvres et des hommes ont sans cesse dépassé la mesure en bien ou en mal, et que vos fictions romanesques ont péri dans le faux et dans l'ennui. » C'est ainsi qu'il soufflette sur sa propre joue un grand nombre de ses confrères.

L'auteur des Jeudis de Mme Charbonneau croit qu'après cette escapade, il pourra bien reprendre la consigne, le pas régulier et sa place dans les rangs de son parti, le grand parti de l'ordre. Nous ne savons quel accueil il y trouvera. Peut-être celui qui est fait à l'Enfant prodigue lors de son retour. Un homme d'esprit est quelquefois d'autant plus cher aux siens, qu'il les a compromis davantage par un esclandre. Car c'en est un que les Jeudis de Mme Charbonneau; mais c'est l'esclandre d'un homme d'esprit. M. de Pontmartin y aura laissé quelque chose de sa réputation d'homme grave; il aura perdu les sympathies de

quelques académiciens et vu couper en herbe les espérances qu'il pouvait nourrir de siéger un jour lui-même à l'Institut; mais, en revanche, il s'est acquis des droits à une place d'honneur parmi les tirailleurs de passage au Figaro.

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La critique littéraire et les partis politiques: libéralisme, catholicisme et démocratie. MM. Laurent-Pichat, G. de Cadoudal et J. Levallois.

Il y a des critiques qui voient, et avec raison, dans les œuvres littéraires autre chose que des exercices d'imagination, et dans la poésie autre chose qu'un vain arrangement de mots. Pour eux la plume est comme l'épée: elle peut servir dans les joutes brillantes et vaines de l'escrime; mais elle est faite aussi pour des luttes plus sérieuses. Poussez cette théorie à l'exagération, et l'artiste ne sera plus que le soldat d'une cause; l'écrivain, le missionnaire d'une idée. Viennent-ils à oublier, dans la stérile adoration de la forme, les intérêts sacrés de la vérité et de la justice qu'ils doivent servir, ce ne sont plus, aux yeux de leurs coreligionnaires, que des déserteurs, des renégats; la poésie dont ils empruntent la voix n'est plus qu'une sirène qui amollit les cœurs, abâtardit les esprits, et livre l'homme entier comme une proie facile au mensonge ou au despotisme.

Les camps les plus opposés exigent de la poésie et de l'art cette attitude militante, et inspirent une critique qui demande compte aux écrivains moins de leur talent que des services rendus par l'usage qu'ils en font. On s'attend, sur la foi même du titre et sur la réputation de l'auteur, à trouver ce genre de critique politique et littéraire dans les Poëtes de combat de M. Laurent-Pichat1. C'est un recueil

1. Hetzel, in-18, 382 p.

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