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d'études lues par l'auteur à ces conférences de la rue de la Paix, déjà connues de nos lecteurs. M. Laurent-Pichat, écrivain libéral, traitait devant un auditoire sympathique des devoirs imposés à la poésie par la cause libérale. Dans une étude préliminaire, il dit la situation de la poésie à notre époque, ce qu'elle a fait, ce qu'elle ne fait plus, ce qu'elle peut faire encore. Le présent lui inspire une profonde tristesse, mais sans lasser sa foi dans l'avenir. Il croit aux illusions de la jeunesse et les défend contre les envahissements du scepticisme. Il croit aux instincts des masses que l'influence corrompue et corruptrice de certains talents peut égarer, mais que les accents sincères d'un poëte de cœur ramèneront toujours dans leur noble voie. Les devoirs de la poésie sont de raffermir, de vivifier la foi du monde moderne en lui-même, de la faire passer à l'action, de relever les défaillances du caractère, de dissiper les nuages de la raison, de nous dévouer corps et âme au progrès, à la vérité, à la justice, à la liberté.

M. Laurent-Pichat passe facilement de la sympathie à l'admiration pour les hommes qui ont ainsi compris le rôle de la poésie. Le Hongrois Pétofi, l'Allemand Th. Korner sont pour lui des héros et des modèles. Lord Byron, ce grand type de la poésie sceptique, a exercé une influence mauvaise qu'il a, du moins en partie, rachetée par une noble mort; Schiller, supérieur à Goethe par la grandeur morale, a droit à plus de sympathies. Parmi nos poëtes vivants, M. Victor Hugo, qui est parmi nous le plus brillant apôtre du culte idolâtrique de la forme, inspire cependant à M. Laurent-Pichat une affection toute filiale. N'est-ce pas ¡à une de ces inconséquences du cœur qu'il faut pardonner? Le critique rappelle lui-même que l'auteur des Chants du crépuscule était, en 1835, plus près du doute que de la foi; mais depuis vingt-cinq ans, ajoute-t-il, le temps a marché, et l'esprit du poëte avec lui; il a conquis une certitude, il a vu briller à ses yeux l'évidence, ce soleil de la raison. »

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Parmi les poëtes de combat, nous voyons placer dans un rang plus élevé que celui qui lui est assigné d'ordinaire, le malheureux Hégésippe Moreau. Il y a des poëtes que la pitié a surfaits, comme Chatterton ou Gilbert. « Hégésippe Moreau, dit M. Laurent Pichat, leur fut supérieur par le génie, et je prétends placer d'emblée l'auteur du Myosotis auprès de Lamartine et de Hugo, au rang littéraire d'Alfred de Musset, et signaler le jeune maître qui était en lui.... Je veux placer Moreau dans notre Panthéon des gloires. On trouvera sans doute ici l'admiration de M. Laurent-Pichat bien pompeuse eu égard au peu d'importance de l'œuvre; le critique s'efforce de la justifier, et il extrait avec soin, parmi les reliques du jeune poëte, un assez grand nombre de pièces très-remarquables tour à tour de grâce et d'énergie. Hégésippe Moreau sera longtemps regretté, parce qu'il unissait un talent distingué, une honnêteté de cœur que M. Laurent-Pichat se plaît vivement à faire ressortir.

Il est un poëte trop cher peut-être à notre génération, et dont M. Laurent Pichat ne parle qu'avec une répugnance douloureuse : c'est Alfred de Musset, dont il dit qu'il « n'a pas de biographie pour ceux qui le respectent, » Alfred de Musset en qui il s'afflige de ne trouver ni un homme religieux, ni un philosophe, ni un homme politique. Pareil à un ouvrier qui n'a pas voulu se choisir une tâche dans la besogne commune, il blasphème contre ceux qui ont travaillé. » La critique ne peut que lui répéter ce cri de sa

muse:

Qu'as-tu fait de ta vie et de ta liberté !

Comme poëte de combat, Alfred de Musset est mis audessous de M. Auguste Barbier, qui restera, pour quelques satires, l'un des types de la poésie militante. Est-ce la devise de M. de Lamartine :

Aimer, prier, chanter, voilà toute ma vie,

devise bien abandonnée depuis, qui l'empêche de figurer parmi les poëtes de combat? Béranger y prend place : il a beaucoup aimé, beaucoup chanté, peu prié, mais il a beaucoup combattu; les procureurs du roi et les jésuites en ont su quelque chose. J'approuve M. Laurent-Pichat de n'avoir pas épousé les violentes rancunes de quelques-uns de ses amis politiques contre notre chansonnier national1.

La critique de l'auteur des Poëtes de combat est élevée, généreuse, mais un peu étroite sous une apparence de largeur. Les poëtes qui, jaloux d'exercer une action sociale ou politique, consacrent leur talent à la justice, à la raison, à la liberté, sont dignes de toutes nos sympathies, surtout au jour des grandes luttes. Je veux que la Grèce ancienne n'ait pas de nom littéraire plus glorieux que celui de Tyrtée, ni l'Allemagne moderne que celui de Th. Korner; au laurier du poëte s'unit sur leur front la couronne civique. Il n'en est pas moins vrai que Tyrtée reste audessous de Sophocle ou de Simonide, et Korner au-dessous de Goethe ou de Klopstock, sous le rapport du génie.

J'ai demandé moi-même, à plusieurs reprises, que la poésie s'inspirât des choses du présent; mais il n'est pas nécessaire pour cela qu'elle descende, armée de pied en cap, dans l'arène des partis. La poésie vraiment contemporaine Le se réduit pas à la satire, réduite elle-même à la satire. politique. Elle peut combattre avec l'armée dans les dangers suprêmes, mais le plus souvent elle la précède pour éclairer sa marche. Et puisque la poésie rappelle l'idée de nuage, je la comparerai moins volontiers à la nuée chargée de foudres et de colères qui éclate sur nos têtes qu'à la colonne moitié obscure et moitié lumineuse marchant devant nous vers une terre promise inconnue. Elle est l'idéal de la vie et ne se mêle qu'à regret à ses intérêts. Quand la patrie, la vérité, la justice en péril réclament le concours

1. Voy. tome III de l'Année littéraire, pages 358 et suiv.

de tous, admirons avec M. Laurent-Pichat les poëtes qui savent faire de la lyre même une arme; flétrissons ceux qui, par calcul ou par lâcheté, se taisent ou nous étourdissent de leurs harmonieux dithyrambes en l'honneur de l'ennemi; mais n'oublions pas que l'essence même de la poésie est de planer au-dessus des réalités humaines et de les voir transfigurées, agrandies, plus pures, non telles qu'elles sont, mais telles qu'elles devraient être, telles qu'elles seront peut-être un jour1.

Le besoin de chercher dans les œuvres littéraires les intérêts religieux, sociaux ou politiques qu'elles peuvent servir ou contrarier, a fait la fortune d'un mot assez ambitieux « les signes du temps, » devenu dans ces dernières années le titre de plusieurs publications critiques. Ce fut celui d'un des derniers écrits du chevalier de Bunsen, l'un des esprits les plus distingués et des controversistes les plus savants de l'Allemagne; c'est, depuis environ trois ans, le titre général d'une suite d'articles publiés sur les sujets les plus divers par M. Philarète Chasles dans le Journal des Débats; c'est aujourd'hui celui d'un recueil de critiques et de causeries, par M. Georges de Cadoudal. Les Signes du temps de ce dernier appartiendront naturellement à une école de critique diamétralement opposée à celle de M. Laurent-Pichat. Le nom que porte l'auteur, célèbre dans les annales de la fidélité vendéenne, l'apprentissage des armes littéraires qu'il a fait sous la direction de M. Nettement dans des feuilles consacrées aux intérêts

1. Pour retrouver dans la critique littéraire l'accent plus marque des doctrines politiques avancées, nous aurions pu prendre comm spécimen les Hommes et les Livres de M. Fréd. Morin (Michel Lévy frères, in-18, XVI-472 p.). Nous y aurions vu l'union ardente de deur extrêmes contraires : le libéralisme démocratique et l'autorité catholique, fusionnés par l'esprit de l'école philosophique de Buchez. 2. Jacques Lecoffre, in-8, 404 p.

religieux et monarchiques nous promettent, dans M. G. de Cadoudal, un défenseur fidèle du trône et de l'autel.

Cette promesse est tenue. L'auteur des Signes du temps fait de la critique littéraire orthodoxe; il ne va pas, dans son zèle pour une sainte cause, jusqu'à l'indifférence en matière de style; il est néanmoins plus touché de la portée morale et religieuse d'un livre que du mérite de l'auteur. La critique catholique avait déjà trois principaux organes : la plume élégante et indulgente de M. de Pontmartin, avant qu'il eût écrit les Jeudis de Mme Charbonneau; la grande épée flamboyante mais assez inoffensive de M. Barbey d'Aurevilly; le fouet retentissant et sanglant de M. Louis Veuillot. M. G. de Cadoudal, qui nous semble avoir une plus haute idée du dernier, se rapproche du premier par son tempérament. Avec M. Louis Veuillot, il dirait volontiers: En critique, l'ami du genre humain n'est pas du tout mon fait, et si c'est là ce qu'exigent les salons, il faut quitter le salon et passer au champ de bataille. » Il n'envie pas du tout à M. Barbey d'Aurevilly ses brillantes passes d'armes et son escrime de parade; mais il se condamnerait volontiers, comme M. de Pontmartin, « à ne jamais combattre qu'à armes courtoises même les ennemis de ses croyances et de ses opinions. Toutefois cette courtoisie, que l'habitude du monde vous fait un besoin de garder envers les hommes, n'empêche pas toujours la déclamation contre les idées de ses adversaires ou contre celles qu'on leur prête, pour avoir plus de sujet de grossir sa voix.

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Un des traits de la critique catholique est de chercher les intentions des œuvres, les arrière-pensées de l'écrivain, de sonder les reins et les cœurs, d'expliquer enfin les écrits ou les actes par des passions qu'on ne saurait trop railler ou flétrir. L'auteur des Signes du temps ne renonce pas absolument à cette méthode. A propos de M. Renan, dont il trace d'ailleurs un portrait qui ne manque pas de finesse, il se souvient que ses prédécesseurs en critique expli

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