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tenait souvent un succès de vogue beaucoup plus grand que nous ne pouvons aujourd'hui nous l'imaginer. Fléchier et bien d'autres commencèrent par des vers latins leur réputation.

Dans le collége seul leurs livres sont aimés,

disait Desmarets, en 1676, dans une satire contre les poëtes latins de son temps. Rien n'est moins exact. Très-lus dans une société familière avec la langue latine, très-appréciés des plus fins connaisseurs, les vers latins étaient, en divers lieux, couronnés dans des concours aussi solen. nels que ceux de l'Académie pour la poésie française. Ils conduisaient quelquefois à la fortune et aux places. Une pièce ou un recueil de vers latins faisait obtenir à celui-ci une chaire au Collége-Royal, à celui-là le titre de poëte officiel du roi, à d'autres des bénéfices et même des évêchés, à plusieurs des pensions. Chapelain, le grand juge officiel du mérite littéraire de son temps, inscrivait beaucoup de poëtes latins, avec force éloges, sur la liste des gens de lettres qu'il était chargé de présenter à la munificence de Colbert. Quelques vers se faisaient sur commande et étaient bien payés. Santeuil prenait six louis pour l'épitaphe d'un particulier; les villes et les provinces, pour une inscription ou un dithyrambe, lui votaient de riches. présents. Et ce n'était pas une exception: Coffin, pour avoir célébré le vin de Champagne; Vanière, pour avoir chanté le canal du Languedoc, étaient, dans les pays intéressés, l'objet de libéralités publiques. Nos poëtes latins voyaient même leur nom et leurs vers se répandre à l'étranger. La langue latine, par son universalité, leur créait des relations cosmopolites, et ils trouvaient au besoin, dans l'Europe entière, des protecteurs de leurs personnes et de leur talent.

L'abbé Vissac termine par la peinture de la décadence de la poésie latine au dix-huitième siècle ce tableau de ses

prospérités au siècle précédent. Il y a encore quelques amis des anciennes lettres, comme Desbillons, qui protestent contre la mort de la poésie latine. Inutile résistance. Le siècle est trop livré à des luttes pour des idées ou des intérêts pour se complaire à des exercices ingénieux, mais inutiles, dans une langue morte. Les jésuites, les derniers protecteurs du vers latin, qui a fait leur gloire, l'abandonnent, et les Mémoires de Trévoux le raillent. Alors a péri sans retour un des cultes littéraires du siècle de Louis XIV. Sans essayer en vain de le faire renaître, ni regretter même sa disparition, tous les hommes curieux des choses de l'esprit sauront gré à l'abbé Vissac d'en avoir au moins ressuscité le souvenir.

Histoire anecdotique des choses littéraires. La censure théâtrale en France. M. Hallays-Dabot.

L'histoire littéraire a, comme toute autre histoire, une partie anecdotique qui plaît singulièrement aux esprits curieux des petits côtés dans les grandes choses. On aime à connaître les ressorts cachés, les causes secrètes, le dessous du jeu dans les affaires humaines. Un triomphe ou un échec littéraire, au théâtre surtout, dépend d'une foule d'influences que l'auteur a dû se rendre favorables, en dépensant souvent plus d'habileté ou de persévérance que son œuvre même ne demandait de talent.

Des pièces mémorables, comme le Cid, Tartufe, Athalie, Mahomet, le Barbier de Séville, Turcaret, Marion Delorme Charlotte Corday, etc., peuvent présenter en elles-mêmes et par leur rapprochement un sujet d'étude d'un intérêt inépuisable; elles peuvent aussi offrir par les circonstances où elles se produisent une ample matière à une intelligente curiosité. Parmi les difficultés que rencontre l'appa—

rition d'une œuvre dramatique, il en est qui lui viennent du pouvoir chargé de veiller sur les intérêts de l'ordre. public et de la morale. Ces intérêts ont été confiés à peu près de tout temps à une institution particulière, qu'on appelle la censure, et dont M. Victor Hallays-Dabot a eu l'heureuse idée de nous résumer les destinées sous ce titre : Histoire de la Censure théâtrale en France1.

Les réflexions qui précèdent suffisent à faire comprendre l'intérêt d'un tel sujet et d'un tel livre. Il n'est point d'histoire plus curieuse, plus instructive, et qui, par de petites révélations, jette un plus grand jour sur les faiblesses humaines. Les hommes au pouvoir ont été de tout temps les mêmes; les subalternes surtout ont eu la même mesquinerie dans leurs susceptibilités, la même inintelligence dans leurs ombrages. Louis XIV soutient l'auteur de Tartufe, mais la cour et l'Église le poursuivent à outrance; on obtient que la pièce changera de titre et le principal personnage de nom. Panulphe, dans l'Imposteur, en 1667, est devenu un homme du monde couvert de dentelles et portant l'épée. Les vers empreints de dévotion mystique disparaissent. Il faudra à Molière des années de lutte. contre une coterie toute-puissante pour faire passer Tartufe avec son vrai caractère et sous son propre nom.

On trouvera dans le livre de M. Victor Hallays-Dabot les détails de cette guerre souterraine et ceux de bien d'autres débats beaucoup moins connus. Le cadre de son Histoire de la Censure théâtrale en France est vaste, trop vaste même pour les développements qu'un seul volume. peut contenir. L'auteur remonte au moyen âge et descend presque à nos jours. Il suit les vicissitudes de la censure dans nos diverses époques littéraires. Les temps éloignés e retiennent peu; il s'étend avec plus de complaisance sur e dix-huitième siècle et sur le nôtre. Le dix-huitième

1. Dentu, in-18, 340 p.

siècle, le siècle de Voltaire, comme on l'appelle, le siècle des philosophes, des libres penseurs, des ennemis acharnés de tous les abus, ne pouvait manquer d'être sans cesse aux prises avec les dépositaires du pouvoir, que tant de motifs intéressaient à la conservation des abus. La censure n'a pas moins à faire pendant la Révolution. Il ne suffit pas de surveiller les pièces nouvelles dans un intérêt patriotique, il faut encore expurger les œuvres anciennes de tout élément contraire aux idées et aux formes républicaines. Il faut effacer les noms de princes, de rois, et même à un moment celui de Dieu. On joue le Tartufe, mais le fameux vers:

Nous vivons sous un prince ennemi de la fraude,

est modifié ainsi :

Ils sont passés ces jours consacrés à la fraude.

Dans l'opéra de Castor et Pollux, on ne chantait plus

Présent des dieux, doux charme des humains,
O divine amitié, viens pénétrer mon âme!

La censure de la Terreur faisait chanter :

Présent du ciel, délire des humains,
O céleste raison, viens éclairer nos âmes!

Sous le Consulat et l'Empire, la censure ne va pas moins loin, mais dans un autre sens : les corrections ou mutilations préventives d'une pièce n'étaient que le prélude de celles qu'elle devait subir de représentation en représentation, et l'approbation donnée à un manuscrit par le duc d'Otrante ou par l'Empereur lui-même ne suffisait pas aux États de Blois de Raynouard pour arriver devant le public. La Restauration mit naturellement au service des intérêts religieux et monarchiques l'arme de la censure;

mais elle laissa à la littérature proprement dite une certaine liberté dont le romantisme fit son profit. Ni la royauté de Juillet, ni la république de 1848 n'abandonnèrent une institution qui a pour elle une tradition si longue et à laquelle, tour à tour et sous tous les régimes, de précieux intérêts viennent demander une même protection.

La conclusion du livre de M. Hallays-Dabot est que la censure est nécessaire; que la morale, la religion et la politique la réclament également; que la liberté du théâtre serait un fléau; que l'indignation vertueuse de quelquesuns serait impuissante contre la dépravation de la foule, et que les auteurs eux-mêmes doivent accepter avec reconconnaissance, ou même réclamer les premiers un frein salutaire. On ne peut nier que, si la censure préventive est admissible quelque part, ce soit peut-être au théâtre; mais tout le livre de M. Hallays-Dabot prouve moins la nécessité de la censure théâtrale qu'il n'en déroule les abus. Si elle est le seul ou le principal remède contre les dangers du théâtre, il faut avouer qu'il a été appliqué jusqu'ici par des médecins bien inhabiles, et, si quelque chose le recommande, ce n'est pas l'histoire de l'usage qui en a été fait de tout temps.

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L'histoire anecdotique appliquée aux grands écrivains. Son utilité. P. Corneille et M. Ed. Fournier.

Dans toutes les littératures, il y a de grandes figures autour desquelles on ne fera jamais trop de lumière; il y a des œuvres magistrales dont l'étude est inépuisable et que l'on ne fera jamais trop comprendre, soit en les commentant avec une admiration toujours nouvelle, soit en pénétrant avec amour dans les détails intimes d'une existence qui les explique. Le nom de Corneille a cet éclat, et

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