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core, il venait de donner le Cid, n'étaient pas moins vrais vingt ans plus tard. Fouquet, l'heureux Fouquet, ayant désiré les avoir, Corneille les lui fit remettre par Pellisson, en écrivant modestement: Voilà, monsieur, une petite peinture que je fis de moi-même il y a près de vingt ans. Je ne vaux guère mieux à présent.

D

A côté de l'influence des femmes, qui fut moins puissante sur Corneille que sur Racine, M. Ed. Fournier nous montre avec le même soin tous les événements qui ont eu de l'action sur chacune de ses œuvres. Comme Mélite, la plupart de ses pièces ont été provoquées par quelques uns de ces incidents qui se mêlent presque toujours aux plus grandes créations du génie. On sait que son premier chefd'œuvre, le Cid, fut imité de Guilhem de Castro. Ce qu'on sait moins, ce sont les relations toutes fortuites de Corneille avec M. de Châlon, secrétaire des commandements de la reine mère, qui, ayant quitté la cour, s'était retiré à Rouen dans sa vieillesse. C'est lui qui le pressa de laisser un genre de comique qui ne lui donnerait qu'une gloire passagère. Et il ajoutait : « Vous trouverez dans les Espagnols des sujets qui, traités dans notre goût, par des mains comme les vôtres, produiront de grands effets; apprenez leur langue, elle est aisée; je m'offre de vous montrer ce que j'en sais, et, jusqu'à ce que vous soyez en état de lire par vous-même, de vous traduire quelques endroits de Guilhem de Castro. »

Ces sortes de hasards que l'on a pour guide ont toujours du rapport avec un ensemble de causes générales. La littérature espagnole, vers laquelle M. de Châlon poussait Corneille, exerçait déjà sa domination sur notre théâtre. Lope de Vega, Cervantès étaient nos maîtres, et quelquesuns de nos dramaturges les plus féconds et les plus goûtés se bornaient à les imiter ou à les traduire.

Les reproches injustes de plagiat que valut à Corneille cette tentative d'imitation espagnole, le portèrent à chercher

V.

un sujet original et nouveau à la scène. Il prit dans Tite Live celui d'Horace. Voilà Corneille puisant dans les souvenirs de Rome et donnant les sentiments grandioses et le langage sublime mais parfois emphatique de l'Espagne à ses fameux Romains. C'est surtout par Lucain, cet espagnol latin, qu'il avait fait leur connaissance. M. Fournier nous montre l'auteur de la Mort de Pompée lié d'une étroite amitié avec le traducteur de la Pharsale. Cinna se lie aussi à des souvenirs biographiques: l'apothéose de la clémence d'Auguste est un appel à la clémence royale, une supplique en faveur de rebelles de la province de Rouen, menacés par la hache de l'impitoyable cardinal. Polyeucte n'est pas non plus seulement une œuvre d'art, c'est une révélation complète de l'âme du poëte.

C'était l'âme de Pauline même, dit M. Fournier, que Corneille portait en lui: cette âme à qui la conscience du devoir donne horreur de l'infidélité, mais laisse la liberté du rêve; qui ne veut plus espérer, mais qui se souvient et s'inspire en se souvenant, qui mourrait plutôt que d'être parjure au devoir accepté, mais qui ne saurait vivre non plus sans la platonique indépendance où sa pensée, émancipée une heure, côtoyant le mal qu'elle s'indignerait de commettre, se donne une tentation, comme aiguillon, puis aussitôt, comme force, la satisfaction d'une résistance. Il devait ce me semble, y avoir un peu de tout cela dans la manière dont Corneille comprenait ses devoirs d'e poux, sa fidélité en ménage. Ce qui le donnerait à croire, ce qui prouverait combien sur ce point la conduite qu'il devait tenir se trouvait d'accord par conviction naturelle et besoin de liberté, avec celle qu'il prête à sa Pauline, c'est que, chose singulière! il fit Polyeucte l'année même de son mariage, en 1640.

L'histoire du sentiment religieux dont Polyeucte est l'admirable produit tient une grande place dans la biographie de Corneille. Un accès plus fort de piété lui fera traduire l'Imitation; puis les dévots voudront l'avoir sans partage et lui demanderont de la poésie exclusivement pieuse. En 1665, ayant choisi, pour mieux faire acte de

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contrition, le sujet le plus ingrat, il traduisit en vers les rimes latines consacrées par saint Bonaventure aux Louanges de la Vierge, triste poésie de bréviaire, vrai latin de pénitence. » Un peu plus tard, on lui fera expier son retour au théâtre dont l'insuccès d'Agésilas et d'Attila sera pourtant ⚫ compté comme atténuation de péché; » on lui fera traduire les hymnes de l'abbaye de Sainte-Geneviève et celles de l'abbaye de Saint-Victor. Celles-ci du moins étaient composées par son ami Santeuil.

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Il n'est pas une des œuvres de Corneille qui n'ait son côté anecdotique, et M. Fournier excelle à en faire ressortir tout l'intérêt. Nous aurions beaucoup de plaisir à le suivre dans ce chemin riant de l'érudition et de la critique, mais il faut nous arrêter et priver nos lecteurs d'une plus ample communication de ces souvenirs littéraires. Ceux qui s'occupent particulièrement de l'histoire de notre théâtre classique iront les puiser à la source même; car M. Fournier compte désormais parmi ces biographes de Corneille qui ont le bonheur de voir leur nom inséparable du sien; et l'on n'écrira plus l'histoire du théâtre au dixseptième siècle sans consulter les Notes sur la vie de Corneille, à moins que l'auteur ne remplace lui-même ce premier travail par un travail encore plus complet.

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Révélations nouvelles sur Racine par sa correspondance de famille. L'abbé de la Roque.

L'érudition littéraire de notre époque a une prédilection marquée pour les études intimes sur la vie et la famille des grands écrivains. Nous vouons aux hommes éminents un culte filial; nous ne nous bornons pas à étudier leurs euvres, nous allons jusqu'à leur personne; nous aimons

à trouver leur âme plus belle encore que leur génie, leur cœur plus grand que leur esprit; nous les suivons dans la vie privée, au foyer de leur famille; nous faisons revivre autour d'eux toutes les personnes qu'ils ont aimées. C'est surtout au moyen de pièces inédites, de correspondances que nous accomplissons ces sortes de résurrections. On sait comment M. Cousin, qui devait plus tard peindre des plus brillantes couleurs tant de belles et grandes dames de la Fronde, a d'abord mis en relief la modeste et pieuse famille de Pascal. On vient de voir comment les recherches de M. Éd. Fournier sur Corneille et sa famille ont encore du prix après tous les livres d'érudition intéressante qui les ont précédées.

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Il semble que, sur la personne et la famille de Racine, il soit plus difficile de jeter un jour nouveau après les Mémoires qu'une piété si tendre a inspirés à Louis Racine, sur la vie et les ouvrages de son père. L'abbé Adr. de la Roque chanoine d'Autun, n'en a pas jugé ainsi, et il a écrit à nouveau la vie de Jean et Louis Racine, dont il est fier de se dire le petit-fils. Son travail ayant pour base de nouvelles pièces de leur correspondance, il l'intitule Lettres inédites de Jean Racine et de Louis Racine'. Les lettres parmi lesquelles celles de Louis dominent, n'occupent pas la moitié du volume, consacré, en grande partie, à une Vie de Jean Racine, à une Notice sur Louis, à des notes biographiques sommaires sur leurs divers parents et à la généalogie de l'illustre famille jusqu'au temps présent.

L'histoire littéraire a moins à glaner qu'on ne pouvait l'espérer sur la foi du titre de la publication nouvelle. Ra-. cine, déjà si étudié dans ses œuvres, si connu dans sa vie littéraire, ne pouvait guère, comme poëte, donner lieu à des observations inattendues; mais M. de la Roque a trouvé dans ses Lettres inédites assez de détails touchants

1. L. Hachette et Cie. In-8, 458 pages.

pour mieux faire connaître encore l'homme, le père dans le poëte, et offrir à ceux qui aiment et admirent tant Racine de nouveaux motifs de l'admirer et de l'aimer davantage.

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L'histoire littéraire sous forme de recueil d'extraits. M. Crépet. Le même travail sur notre littérature à l'étranger.

En signalant, l'année dernière, à nos lecteurs les premiers volumes du recueil, les Poëtes français, publiés sous la direction de M. Eug. Crépet, j'ai présenté cet ouvrage comme devant former une sorte d'histoire en action de notre littérature. L'oeuvre s'est achevée, dans un quatrième volume, par le tableau de la poésie contemporaine 1. La même phalange de jeunes écrivains, jeunes par l'âge ou par les idées, auxquels on devait les notices biographiques et littéraires sur les poëtes des deux siècles précédents, s'est chargée de présenter au public les poëtes de notre époque. On trouvera dans la plupart des nouvelles études d'introduction les mêmes caractères, qui seront, pour les uns, les mêmes qualités, pour les autres, les mêmes défauts. J'avouerai que je ne vois pas sans regret se développer dans la partie didactique d'un recueil de cette nature, cette exubérance de fantaisie qui brode sur des souvenirs, procède par allusions, et, lorsque le lecteur attend des renseignements et des faits, s'abandonne à la causerie sur des impressions personnelles. On pouvait se livrer avec moins de complaisance au goût d'une certaine école pour le papillotage du style, et, en se préoccupant davantage d'instruire, s'éloigner un peu plus du genre du feuilleton, sans tomber dans le pédantisme.

1. L. Hachette et Cie. T. IV, in-8, 764 pages.

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