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dans sa main, au nom du ministre, la police secrète de Paris; il peut faire enlever, exiler, pendre les gens de toute condition, à peu près sans jugement. Le but suprême de son ambition est l'archevêché de Paris, qu'il poursuit, sans l'atteindre, au milieu des affaires et des plaisirs. Il est l'amant en titre des plus hautes dames de la cour et le compagnon furtif des filles d'honneur de la reine. L'abbé Fouquet est partout le rival du cardinal de Retz et souvent en politique et en amour son rival heureux.

La figure de Nicolas Fouquet n'en reste pas moins, comme elle devait l'être, la principale de toute cette galerie. M. Chéruel étudie à fond le caractère du surintendant et met également en plein jour ses qualités et ses défauts. On ne peut porter l'impartialité plus loin. Il juge sévèrement ses fautes, tout en les expliquant et fait valoir les circonstances atténuantes sans entreprendre une réhabilitation impossible. Mais après le tour de la justice, vient celui de l'indulgence. Si les malversations de Fouquet sont justement flétries au sein même de la fortune qui en est le fruit scandaleux, la haine de ses ennemis, en ajoutant à ses fautes des crimes imaginaires et en poursuivant à outrance un châtiment disproportionné avec les griefs réels, fait tourner l'opinion publique en sa faveur, et ramène la sympathie vers lui par l'excès de ses malheurs et celui de la vengeance. M. Chéruel a si bien vu l'homme tout entier dans le surintendant que l'on comprend parfaitement, sans l'absoudre, la pitié et le dévouement qu'il a inspirés. Voici quelques traits d'une de ces peintures qui font revivre leur modèle dans la vérité de la nature.

« Fouquet était doué d'un esprit délicat, fin et pénétrant. Il comprenait les matières les plus diverses questions financières et diplomatiques, matières juridiques et affaires de police, rien ne lui était étranger. Il avait le travail prompt et facile; il trouvait le moyen de suppléer au temps que lui dérobaient les plaisirs. Est-il nécessaire de rappeler avec quel tact et quel

goût il appréciait et récompensait les productions des lettres et des arts?.... Fouquet possédait à un haut degré le talent de juger ou de gagner les hommes. La plupart de ceux ou de celles qui l'approchèrent lui restèrent fidèles dans sa mauvaise fortune comme aux jours de prospérité.... Malheureusement ce caractère qui avait des charmes si puissants était gàté par des défauts, et surtout par la vanité, la faiblesse et un entraînement funeste vers les plaisirs. C'est la vanité qui lui fit rechercher les honneurs, les palais, les fêtes somptueuses et créer ces merveilles de Vaux, qui éclipsaient les demeures royales et annonçaient les splendeurs de Versailles. Fouquet n'avait pas une de ces ambitions profondes et criminelles qui marchent à leur but avec une implacable résolution et brisent tous les obstacles. Il souhaitait le pouvoir plutôt pour la satisfaction d'une puérile vanité que par esprit d'orgueil et de domination. De là sa facilité à prodiguer l'or au lieu de le garder comme un moyen de puissance et de gouvernement. De là aussi sa crédulité si souvent trompée, et sa promptitude à prendre pour des amis tous ceux qui sollicitaient ses faveurs. Cet esprit brillant était plein de chimères et d'illusions: témoin son trop fameux projet de SaintMandé. Que dire de cette soif insatiable de plaisirs, qui dénote dans Fouquet une si étrange faiblesse de caractère? Il était, il est vrai, entouré de séductions: mais ni le sentiment du devoir, ni l'âge, ni même l'intérêt de son ambition et de sa famille ne purent l'arrêter sur la pente qui l'entrainait à l'abîme. Toutefois, il faut le reconnaitre, ces passions, qui furent le fléau de sa vie et qui le poussèrent à des actes criminels, provenaient moins d'une nature pervertie que de la faiblesse de caractère et de l'absence de principes. »

M. Chéruel ne peint pas seulement les hommes ; il esquisse au besoin, avec la même sûreté de main, les grands corps de l'État. Le parlement et ses efforts pour reprendre un rôle au-dessous duquel il était tombé, sont représentés avec beaucoup de vérité et de délicatesse. Il en est de même des mœurs du temps. La physionomie de la cour, pendant la jeunesse du roi, les légèretés de conduite et les grandes manières, les souvenirs de la Fronde et les dernières complications de ses intrigues sont l'objet de tableaux qui indiquent à la fois beaucoup d'art et des études approfon

dies. En un mot, les Mémoires sur Fouquet nous représentent un livre bien composé en même temps qu'un trésor de savoir.

Les lettres, à la douceur desquelles Fouquet ne fut pas insensible, glaneront quelques souvenirs curieux dans les pièces inédites réunies dans l'Appendice, par M. Chéruel. Quant aux détails nouveaux qu'elles apportent à l'histoire, ils sont moins importants comme faits d'un règne, que comme éléments de la connaissance des hommes; ils ne font pas mieux voir le pouvoir absolu manifesté par tant d'actes, mais ils le font mieux juger en expliquant quelques-uns de ses plus secrets ressorts.

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L'histoire de France étudiée par épisodes. M. R. de Belleval.

L'histoire est une suite d'épisodes. En racontant tour à tour avec détail les plus saillants d'une grande époque, on finirait par concentrer sur l'ensemble la lumière qui jaillit de toutes les parties. M. René de Belleval, dont nous avons mentionné l'année dernière la Journée de Mons en Vimeu, étude si complète sur un sujet restreint, a porté successivement l'effort de ses recherches sur d'autres points particuliers du même temps. Seulement il a rencontré dans le champ de ses études des événements d'une importance plus grande et d'un souvenir plus populaire. Le livre, d'une exécution typographique somptueuse, où il réunit ses

«

fragments d'une Histoire de France aux XIV et XVe siècles. » s'appelle: la Grande Guerre1. La grande guerre! c'est ce long duel à mort entre la France et l'Angleterre, qui remplit tant de pages sanglantes de notre histoire, si fécond pour les deux peuples en gloire et en malheurs et

1. Aug. Durand. In-8, 584 pages.

qui a laissé pour des siècles, de l'un et l'autre côté de la Manche, des haines nationales si faciles à réveiller.

Ces récits épisodiques nous font connaître de la façon la plus complète quelques-uns des acteurs de cette grande guerre et de ses événements mémorables. C'est d'abord l'entreprise du sire de Charny qui faillit rendre Calais à la France en 1350, et changer, par l'audace chevaleresque d'un homme de cœur les destinées du pays; c'est ensuite le roi Jean à Poitiers: cette grande défaite, où le courage français brilla de cet éclat qui s'accroît dans les revers est suivie depuis les faits qui la préparent jusqu'à son dénoûment. Le drame d'Azincourt est aussi représenté dans une relation minutieusement exacte, puis vient le récit de la Journée de Mons en Vimeu que l'auteur avait publié à part. Le dernier épisode, la bataille de Patay, met en scène, devant les places fortes de l'orléanais, les compagnons de Jeanne d'Arc et se termine par le sacre de Charles VII. Les personnes qui préfèrent aux grands tableaux dramatiques ou pittoresques de l'histoire générale les relations minutieusement exactes des chroniques particulières, liront avec plaisir la Grande Guerre, de M. René de Belleval. On y voit tout le détail des événements, la suite des ny mouvements et opérations de guerre, les gestes et paroles. des principaux personnages, les noms titres et qualités de tous les acteurs, en un mot tous les renseignements qui peuvent sortir des pièces officielles et de documents historiques de l'époque. Mais on voudrait trouver dans cette trame serrée des faits, un peu plus de mouvement, de passion et de couleur; alors la mise en œuvre des témoignages contemporains aurait tout l'intérêt du roman historique auquel conviendrait merveilleusement cette richesse de détails.

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Une monographie de plus sur la Fronde; point de vue nouveau. M. A. Feillet.

On a publié beaucoup de travaux historiques ou littéraires sur la Fronde, beaucoup de documents et de mémoires, beaucoup de monographies. Il restait cependant un point de vue sous lequel on n'avait pas encore songé à considérer cette curieuse et turbulente époque, point de vue intéressant pour la classe de plus en plus nombreuse des adeptes de l'économie politique : c'est celui où s'est placé M. Alphonse Feillet, en écrivant la Misère au temps de la Fronde et saint Vincent de Paul, ou un Chapitre de l'histoire du pauperisme en France1. On comprend qu'après tant d'années de guerres civiles et étrangères, la France soit tombée une fois de plus, pendant la minorité de Louis XIV, dans cet état de désolation et de ruine où l'histoire du passé nous la montre trop souvent. Famine, peste, fléaux de toutes sortes, ravage en grand du pays entier par des armées régulières, brigandages de détail commis par des compagnies errantes ou des soldats isolés: voilà le spectacle que présentait la nation elle-même, tandis que des chefs de partis ou de coteries se poursui vaient par des combats, des escarmouches, des intrigues ou des chansons. Cette misère, qui inaugure le grand règne de Louis XIV, et à laquelle la majorité du roi mettra un terme, n'est pas moins grande que celle qui signalera les dernières années de son règne; mais elle était beaucoup moins connue. Saint-Simon, Vauban, Racine, Fénelon ont révélé avec éclat la désolation des derniers jours;

1. Didier et Cir. In-8, 582 pages.

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