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Parmi les dernières thèses qui sont des livres, nous nous bornerons à signaler celle de M. E. Benoist, professeur au lycée de Marseille, ayant pour titre : Guichardin, historien et homme d'État italien au seizième siècle, étude sur sa vie et ses œuvres, accompagnée de lettres et de documents inėdits'. C'est une monographie complète, intéressante et, à quelques égards, nouvelle sur ce célèbre représentant de l'école historique du seizième siècle en Italie, dont le nom est peut-être moins populaire que celui de Machiavel, mais dont les travaux n'ont certainement pas moins d'importance. M. Benoist fait d'abord connaître avec détail la vie de Guichardin, sa famille, son éducation, ses emplois, son rôle politique, les services qu'il rend à Florence, à Bologne, sous les Médicis; il esquisse son caractère, apprécie sa conduite: puis il passe à l'étude de ses œuvres. Il nous donne alors une analyse fidèle de ses écrits divisés en deux groupes, les écrits politiques et les œuvres historiques. Après les avoir analysés, il les juge; il en discute la valeur morale, l'autorité historique, le mérite littéraire.

Du plan général il passe à l'examen des parties : descriptions, portraits, harangues, exposés politiques, diplomatiques et stratégiques. Il pénètre dans le détail de la langue et du style, compare Guichardin aux historiens anciens et à ses contemporains, résume et contrôle les jugements divers dont il a été l'objet. Des pièces justificatives viennent à l'appui des principales assertions de M. Benoist, et un choix curieux de fragments inédits prélude à la publication qui se fait en Italie, par les soins de M. Canestrini, d'un Guichardin authentique et complet. On ne pouvait moins faire pour l'auteur de l'Histoire de Florence et de l'Histoire d'Italie. De tels travaux prouvent la prospérité de l'enseignement historique en France et y contribuent, et l'on ne peut que souhaiter de voir la philosophie et la

1. A. Durand (Marseille, Librairie générale). In-8, 438 pages.

littérature rentrer dans la lice des concours universitaires

avec le même éclat.

L'histoire de la civilisation par celle des sentiments.
M. Cénac-Moncaut.

Le roman ancien, comme le roman moderne, a mis en œuvre le sentiment de l'amour sous toutes ses formes, dans sa grâce, dans ses violences, tantôt naissant dans la pudeur, tantôt se perdant dans la débauche; mais, avant d'être l'âme de toutes les idylles et de presque tous les drames de la littérature romanesque, ce sentiment a exercé son éternelle influence dans la vie réelle et jusque sur l'histoire de la civilisation. M. Cénac-Moncaut, dont nous avons eu l'occasion de signaler les romans historiques et les livres de voyage, a entrepris de raconter les destinées de l'amour et la part qu'elles ont eu dans les destinées mêmes de l'humanité. Il accomplit la moitié de cette tâche, en écrivant l'Histoire de l'amour dans l'antiquité'.

Comme l'école historique un peu vieillie à laquelle appartient le Discours sur l'histoire universelle, M. Cénac-Moncaut réduit l'antiquité aux Hébreux, aux Grecs et aux Romains, et la considération de l'amour, chez ces trois peuples, donne lieu à la division de son livre en trois parties. Dans une suite d'études ou de scènes un peu trop pompeuses, l'auteur de l'Histoire de l'amour nous fait, au point de vue de ce sentiment, le tableau des relations de l'homme et de la femme en Judée, dans la vie patriarcale et sous la législation mosaïque, en Grèce, dans l'âge héroïque et dans les temps de corruption ingénieuse et raffinée, à Rome, sous le régime austère des vieilles mœurs républicaines et dans

1. Amyot. In-18, 392 pages.

la débauche grossière et violente de la décadence impériale. A l'horizon de l'avenir, M. Cénac-Moncaut, voit poindre les dogmes rédempteurs du christianisme et les sentiments de respect tendre et dévoué pour la femme, éclos dans les forêts de la Gaule et de la Germanie. De ces deux influences nouvelles sortiront la réhabilitation de la femme dans le monde moderne et, par la transformation de l'amour, la transformation de la civilisation elle-même.

On trouvera dans l'Histoire de l'amour des renseignements historiques et des souvenirs littéraires qui ne pouvaient pas être très-nouveaux, mais qui, groupés autour d'une idée commune, éclairent un des aspects intéressants de l'histoire humaine. Le fond, je l'avoue, me plaît mieux que la forme. Pourquoi M. Cénac-Moncaut n'écrit-il pas avec la simplicité du style historique des études qui doivent être des chapitres d'histoire? Les périodes ambitieuses, les grands mots, les figures prolongées à la fois et incohérentes peuvent séduire dans le genre oratoire, mais rien de tout cela ne convient à l'exposition des faits ou à celle des réflexions que le spectacle des faits inspire au philosophe.

On ne doit employer dans aucun genre des métaphores comme celles qui font la conclusion même du livre. Après la peinture allégorique de la tempête sociale qui va emporter le monde romain, « dernière bourrasque qui doit faire sombrer le navire ou le briser à la côte » l'auteur ajoute avec plus d'incohérence que d'éclat :

Tout à coup, au milieu de ce désespoir et de cette épouvante, les ténèbres épaisses, les nuages jusqu'alors noirs et opaques s'éclaircissent sur deux points de l'horizon, et, par ces deux ouvertures, les matelots aperçoivent l'étoile polaire sur un point, celle de Vénus sur un autre.... Ils tiennent deux jalons, donc ils ne sont plus égarés; l'atmosphère s'est légèrement dégagée, donc la tempête s'apaise et laisse quelque espérance.

Ces deux points lumineux du ciel, le Romain qui réfléchissait les aperçut aussi au milieu des ténèbres de la décadence : à

l'Orient, le christianisme; à l'Occident, la Gaule et la Germanie.... Voilà les deux phares de salut, les deux astres qui brillent au-dessus du grand naufrage de l'empire romain. Le vieux monde peut s'écrouler, l'humanité possède les germes d'une civilisation nouvelle, et bien supérieure à celle qui tombe : les germes d'un amour solidaire et fort, d'un amour harmonieux et sincère, tout resplendissant de tendresse et de charité. Armée de ces leviers, assise sur de telles bases, l'humanité peut courageusement affronter d'autres luttes, élever un autre monument.

Je ne sais si c'est là ce qu'on appelait autrefois le style à la Chateaubriand. On aurait, dans un temps, loué M. CénacMoncaut de toute cette splendeur surannée; mais de nos jours, ces prétendues beautés de langage ne sont plus un attrait pour les lecteurs, un passe-port pour les idées : elles seraient plutôt un obstacle à leur libre et rapide circulation. Il faudrait que des livres d'histoire, de philosophie ou de critique littéraire fussent bien précieux à consulter, pour qu'on allåt y chercher un fait, une idée, un renseignement utile, à travers cette fastueuse enveloppe.

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Des événements compliqués de questions philosophiques. La crise américaine et l'esclavage. MM. A. Carlier et A. de Gasparin.

Certains événements contemporains qui jettent dans le monde de la politique et des affaires une préoccupation générale à cause de leurs conséquences menaçantes, peuvent être une occasion de ramener dans le monde des penseurs les questions philosophiques qui les dominent. Tel est le grand conflit qui, depuis deux ans, arme l'un contre l'autre le Nord et le Sud des États-Unis d'Amérique. Partout cette guerre fratricide a son contre-coup: elle inquiète la politique, qu'elle peut entraîner dans des complications terri

bles; elle arrête l'industrie à laquelle elle ôte sa matière première; elle entrave le commerce qu'elle prive de ses principaux débouchés; les flots de sang qu'elle verse affligent l'humanité; elle est un temps d'arrêt ou de recul dans la marche la plus rapide dont la civilisation ait jamais donné le spectacle. Parmi les causes de ces déplorables événements se présente au premier plan l'institution de l'esclavage, dont le progrès des États du Nord compromet l'avenir et que ceux du Sud veulent maintenir à tout prix. Ainsi les intérêts du monde entier, mêlés à ceux d'une grande nation se trouvent liés à une question philosophique.

C'est de ce point de vue que M. A. Carlier a envisagé, sous tous leurs aspects, les graves événements des ÉtatsUnis dans un livre intitulé: De l'esclavage dans ses rapports avec l'Union américaine1. L'auteur, homme sérieux et savant, déjà connu par un bon livre sur l'Amérique, le Mariage aux États-Unis, a recueilli sur son nouveau sujet d'étude les résultats des recherches les plus diverses aux souvenirs de son propre voyage.

Pour la plupart des penseurs, l'institution de l'esclavage n'est point la seule cause de ce sanglant différend; elle en est la plus profonde et la plus durable. Elle a suscité les premiers embarras, amené les crises, fait éclater la guerre; elle en prolonge aujourd'hui les malheurs, rend tout rapprochement difficile et enlève à l'avenir l'espoir de toute conciliation durable. M. Carlier rattache la question de l'esclavage à des questions plus hautes. Il considère les rapports de races entre le maître et l'esclave, il discute l'importance des différences physiologiques ou intellectuelles et morales qui séparent le blanc, conquérant de l'Amérique, de l'homme rouge son habitant primitif, et du noir qu'on y a transporté et mis en servitude. Son étude

1. Michel Lévy frères. In-8, 496 pages.

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