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deux sexes, décor és du nom de médiums, ses instruments matériels de révélation, tables et tablettes tournantes, frappantes, parlantes Ces extravagances qui peuvent être sincères, du côté des dupes, sinon du côté de ceux qui les exploitent, commencent à s'organiser, et elles ont leur écho dans la bibliographie philosophique de l'année. La révélation surnaturelle du spiritisme a aujourd'hui ses livres, ses journaux, comme ses oracles. On en trouvera plus loin la liste avec des titres non moins significatifs que les années précédentes1.

Ici ce sont, en trois forts volumes, trois séries de Révélations du monde des esprits, dissertations spirites obtenues par un médium et comprenant des commentaires sur les quatre Evangiles. Là ce sont des Révélations d'outre-tombe, dont l'auteur prend la qualité d'évocateur, avec sa femme pour médium. Ailleurs des révélations de même ordre sont publiées sous le titre : les Habitants de l'autre monde, comme des communications dictées par coups frappés et par l'écriture médiaminique au salon Mont-Thabor.» On ne nous dit pas s'il s'agit du mont Thabor de l'Evangile ou de la rue qui, à Paris, porte ce nom. Un autre révélateur publie un gros volume de Philosophie occulte, première série qui en promet d'autres; ce qu'il révèle, ce sont les secrets de la direction du magnétisme universel et des principes fondamentaux du grand œuvre. » Il s'intitule professeur de hautes sciences, » et donne son adresse. Toutes ces nouvelles formes de la foi au surnaturalisme luttent contre de plus anciennes, par exemple, le magnétisme, qui n'est pas mort; car je vois la bibliographie enregistrer chaque année un volume nouveau de l'Encyclopédie magnétique spiritualiste, où la psychologie se montre pêle-mêle avec la magie, le magnétisme avec le swedenborgianisme, etc., où les facultés prophétiques de

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1. Voy. l'Appendice, section vi, § 4.

l'homme sont étudiées, où les saints Évangiles sont convoqués au tribunal de la raison humaine, escortés des évangiles du dix-neuvième siècle.

Je n'attache pas plus d'importance qu'il ne faut à ces élucubrations prophétiques et révélatrices, et je ne m'attends pas plus à en voir sortir une religion nouvelle que de la physique terrifiante de Cagliostro ou des jongleries de Mlle Lenormand. La crédulité qui accueillit partout le célèbre nécromancien du dernier siècle ou la fameuse devineresse du premier Empire, n'en était pas moins ce qu'on appelle aujourd'hui un des signes du temps. Il en est de même, parmi nous, de la foi au magnétisme, au spiritisme, aux tables tournantes, aux esprits frappeurs, aux planchettes parlantes, aux évocateurs de médium. C'est aussi un signe du temps; c'est un symptôme de cette faiblesse morale qui suit les grandes crises intellectuelles et qui les complique; c'est une preuve de plus que rien ne favorise les plus absurdes croyances comme l'absence des fortes convictions.

Tout est dans tout, dans l'histoire de l'esprit humain. Ne nous étonnons donc pas de voir, à côté de cette effervescence de la foi au merveilleux, la renaissance de l'incrédulité raisonnée du dix-huitième siècle. Elle vient d'inspirer à un de nos compatriotes un livre complet, qui est pour les habitudes du génie français ce que le livre de Strauss est pour celles du génie allemand; il a pour titre : Examen du christianisme, et est signé du nom de Miron 1, qui paraît être légèrement transformé par l'anagramme.

L'auteur ne vise ni à l'originalité, ni à la profondeur; il ne tient pas à inventer des objections nouvelles contre les religions positives en général et contre celle qu:

1. Bruxelles et Leipsick, A. Lacroix, Verboekohven et Cie, 3 ▼ in-18 compactes, 370-364-316 p.

a été jusqu'à ce jour l'âme de la civilisation européenne; il accueille toutes celles qui se sont produites avant lui, il les réunit, il en fait un faisceau. Dans le grand assaut qu'il livre à une forme encore si respectée de la foi au surnaturel et au merveilleux, toutes les armes lui sont bonnes, pourvu qu'elles portent; tous les auxiliaires sont bien reçus, de quelque contrée qu'ils lui viennent et quelque drapeau qu'ils déploient. Si M. Miron apportait une nouvelle doctrine dogmatique, il devrait être plus sévère sur l'origine des éléments empruntés dont il la composerait; mais sa tàche étant toute négative, tout ce qui nie lui paraît être légitimement avec lui.

Je doute que l'Examen du christianisme, de l'incrédule M. Miron, ait le succès des Études philosophiques sur le christianisme du fervent M. Aug. Nicolas, qui ont eu plusieurs fois les honneurs de la réimpression. Les deux ouvrages n'en sont pas moins le pendant l'un de l'autre, les deux termes opposés d'une antithèse vivante, qui exprime l'état de la France en matière de religion depuis un siècle. Ils marquent les points les plus éloignés d'oscillation entre lesquels notre esprit incertain flotte de la foi au doute, pour revenir de la négation facile à l'affirmation complaisante. Les deux livres, avec des caractères contraires et des défauts inverses, se rapprochent, comme font quelquefois les extrêmes. Leur tort commun est de vouloir trop prouver, de vouloir produire l'évidence par la discussion là où l'évidence est impossible ou superflue. Il y a, dans l'ordre de la religion, des idées et des faits qui ne peuvent ni se démontrer, ni se contester, et dont l'appréciation dépend uniquement du point de vue. Eclairez-les du jour de la raison ou de celui de la foi, leur aspect change. Ce qui est évidemment monstrueux, pour qui ne croit pas, est simple et naturel pour celui qui croit. Les objections de détail sur l'impossibilité des mystères sont aussi puériles que les preuves de détail en faveur de leur

possibilité. Là où la raison voit un tissu d'absurdités, la foi fait voir un faisceau de clartés divines.

Dégagez donc, si vous croyez utile de reprendre la guerre, dégagez, dans une lutte de principes, la raison de la foi, ou montrez la supériorité de la foi sur la raison; ne les usez pas l'une contre l'autre dans des escarmouches d'argumentation qui ne sont plus de notre temps. Un grand arbre séculaire est encore debout, toujours touffu, aux branches étendues, à l'ombre immense. Que ceux qui trouvent son abri funeste ne s'en prennent pas au feuillage mobile, aux extrêmes rameaux; c'est au tronc, aux racines, au sol même où il puise sa dernière séve qu'il faut s'attaquer, et c'est là seulement ce qu'il faut défendre. Je conçois pourtant que le retour des mêmes apologies ramène les mêmes critiques, et réciproquement. Le succès des livres comme celui de M. Nicolas appelait un livre comme celui de M. Miron, et je ne serais pas étonné que l'apparition de ce dernier valût au premier une édition de plus.

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De l'échange international des idées et des méthodes philosophiques. Une singulière exportation de la philosophie française en Italie.

M. S. Nerva.

Chaque peuple, en philosophie, comme dans l'art, comme dans la littérature, a son caractère propre, ses qualités et ses défauts. De nos jours, par suite des communications incessantes entre les divers pays, il se fait entre les nations un travail de pénétration réciproque dont le résultat doit être d'effacer peu à peu le caractère de chacune et d'atténuer les défauts de celle-ci par les qualités de celle-là, à moins que, par un effet contraire, les défauts des unes ne se multiplient par ceux des autres. Ce dernier effet ne

saurait être que momentané sans doute; il n'en est pas moins réel, et, en attendant que les esprits clairs, mais légers, empruntent ce qui leur manque aux esprits profonds, mais obscurs, il arrive souvent que ceux-ci ne prennent des premiers que leur incapacité pour les choses profondes, et que ceux-là ne reçoivent des seconds que l'obscurité sans la profondeur. La philosophie a déjà vu se produire ce résultat chez les Allemands du siècle dernier dans de soi-disant écoles françaises, et chez les Français du commencement de ce siècle, dans de prétendues écoles allemandes.

J'ai peur que les inconvénients de l'influence étrangère ne soient en train de se faire sentir en Italie. Ce qui m'inspire cette réflexion, c'est un gros livre de métaphysique écrit en français par un philosophe italien qui a vécu, enseigné et beaucoup écrit en France, M. S. Emile Nerva, aujourd'hui proviseur du lycée de Plaisance. Il a pour titre : Introduction à la philosophie des sciences naturelles, à la philosophie de l'histoire et à l'étude des littératures comparées. Quoique ce volume ait près de huit cents pages, il est loin d'être toute l'introduction annoncée; ce n'est que la première des cinq parties que cet ouvrage de simple introduction doit comprendre. C'est, comme dit l'auteur, le premier aperçu philosophique que quatre autres aperçus non moins considérables devront suivre. Tout compte fait, il faudra donc près de quatre mille pages pour nous introduire dans le nouveau sanctuaire : c'est faire faire longtemps antichambre à ses lecteurs.

Le premier aperçu effleure les idées de M. Nerva dans leur ensemble, et en livre sans doute aux disciples ce qu'elles ont de plus clair et de plus attrayant. L'auteur ne traitera d'abord, sur la philosophie des sciences naturelles, sur la philosophie de l'histoire et sur leurs rapports

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1. Turin, Henry Dalmazzo (1861), in-8, 780 p.

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