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Schlegel, livre classique, dans les universités allemandes, sont depuis trente ans traduites en français. Enfin, pour abréger, l'un des ouvrages les plus considérables sur la matière, le Cours d'esthétique, du philosophe Hegel, a été rendu, par la traduction et les analyses de M. Ch. Bénard, aussi accessible qu'il pouvait le devenir. Et nous ne comptons pas toutes les expositions analytiques et critiques consacrées aux systèmes des Allemands sur le beau dans une foule de publications françaises, comme dans le Dictionnaire des sciences philosophiques, dirigé par M. Franck 2, ni dans la Science du beau, de M. Ch. Lẻvêque, couronnée par trois classes de l'Institut.

A ces monuments de l'esthétique allemande, que nous pouvons visiter, pour ainsi dire, sans sortir de chez nous, grâce à la patience de nos compatriotes, nos cicerones, il faut, cette année, en ajouter un dont l'accès était particulièrement difficile à cause de la double originalité du style et des idées nous voulons parler de la Poétique, ou Introduction à l'esthétique, de Jean-Paul Richter, traduite en français par MM. Alexandre Büchner et Léon Dumont 3. Une étude préliminaire assez considérable, signée des deux traducteurs, nous fait connaître la vie de Jean-Paul, le caractère de son génie littéraire et philosophique, et résume d'avance ses principales idées sur le rôle et les conditions de la poésie. Ajoutons immédiatement, pour achever l'idée

-

1. Paris et Nancy, 1840-1851, 5 vol. in-8. N'oublions pas non plus le Cours d'esthétique de Th. Jouffroy, dont il vient de paraitre une deuxième édition, dans un format commode et populaire (L. Hachette et Cie; in-18, 486 p.).

- Nous trouvons, en outre,

2. Hachette et Cie (1844-1852), 6 forts vol. in-8. 3. Aug. Durand, 2 vol. in-8, 408-444 p. · de l'un des traducteurs, de M. Dumont, un petit traité personnel sur un point spécial d'esthétique : des Causes du rire (Aug. Durand), in-8, 134 p. C'est une étude de ce phénomène propre à l'homme, de ses causes, de ses effets, de toutes les circonstances au milieu desquelles il se produit; enfin, de toutes ses relations avec les autres faits matériels et moraux.

bibliographique de ce travail, qu'un Index général permet de retrouver dans tous leurs détails les jugements et les idées de Jean-Paul, et qu'une centaine de pages de notes et de commentaires les éclaircissent, les complètent et au besoin les rectifient.

L'esthétique, telle que Jean-Paul l'enseigne, se renferme dans le domaine littéraire, où l'auteur envisage plus spécialement la poésie. Il considère, en effet, celle-ci dans ses divers genres, et jusque dans la prose comme l'élément littéraire par excellence. C'est donc un véritable traité de la poésie, une Poétique, comme disent les traducteurs, que l'Introduction à l'esthétique, de Jean-Paul Richter. Toutes ses études convergent vers un même but, la détermination du beau, tel que la poésie le reconnaît dans la nature, le revèle à la pensée de l'homme et le reproduit dans ses

œuvres.

Tous les aspects sous lesquels on peut étudier les facultés poétiques et leur action sont considérés tour à tour; toutes les questions d'analyse psychologique ou de critique artistique sont discutées et résolues. Étude de la nature, reproduction de ses formes; emploi du merveilleux, rôle de l'imagination; rapport entre l'invention et l'imitation; caractères du génie, conditions de son développement; sources où la poésie s'inspire; idéal et réalité; influence des anciens et beauté classique; systèmes des modernes et innovations du romantisme; part de l'esprit et du sentiment dans les arts, leurs nuances et leurs formes diverses suivant les genres et suivant les pays; action du caractère individuel ou du génie national; conditions spéciales du drame, de l'épopée, du roman, de la poésie lyrique; conditions générales de la composition et du style: voilà les nombreux thèmes sur lesquels Jean-Paul Richter nous présente le fruit de ses méditations et exerce cette verve si remarquable par le sentiment poétique et par l'ironie humoristique qui constitue son originalité.

Les qualités et les défauts de l'écrivain allemand offraient également des difficultés à ses traducteurs. L'exubérance de sa poésie nébuleuse et la causticité de ses traits d'esprit pouvaient tour à tour paraître étranges dans notre langue. Jean-Paul a passé de tout temps pour intraduisible; un de ses compatriotes, Bouterweck, disait que Jean-Paul ne pouvait être traduit en français que par lui-même. A en juger par un billet écrit en notre langue par le célèbre humoriste, et qui est cité par ses traducteurs, il nous aurait donné lui-même ses œuvres dans un singulier français. MM. Al. Büchner et L. Dumont, celui-ci Français, l'autre Allemand, se sont réunis pour faire passer dans notre langue un écrivain dont les idées et les formes étaient si loin des nôtres. Grâce à leurs efforts communs, on peut espérer que la pensée aura été saisie et rendue fidèlement dans ses nuances. Nous croyons avec eux qu'il était utile d'enrichir la littérature française de ce livre où toutes les questions, qui se rapportent à la nature et aux différentes formes de la poésie, se trouvent traitées d'une manière aussi complète et aussi conforme au goût des

sociétés modernes. »

1. Voici ce billet, dont la rédaction et la syntaxe sont égalemen curieuses « A Mademoiselle Renata Wirth. (En hâte la plus grande) La langue française est le lac d'Espagne. Le ciel promet aujourd hu tant de plaisirs, que je Vous prie, m'amie, de l'imiter en les augmen tant et partageant. Je vous demande : 1° de vous promener; 2° m'écrire le lieu et le temps. - S'il ne m'est pas possible de Vous ad compagner, il me l'est pourtant de Vous suivre. Les nuages de vie s'enfuient avec celles du ciel, l'homme partage la serenite di jour, et l'on est heureux quand il fait si beau temps et quand of attend un billet d'une chère amie et quand on est Votre ami. Jean Paul..

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Horizons littéraires lointains. La poésie chinoise et sa prosodie. M. d'Hervey-Saint-Denis.

Il en est des littératures des autres peuples comme des pays étrangers: les plus éloignées de nous sont les plus intéressantes à étudier. S'il n'y a plus sur la carte du globe de nouveau monde à découvrir, il y a encore bien des contrées inconnues à explorer dans le domaine de la pensée et dans l'histoire de ses manifestations littéraires. Aujourd'hui plus que jamais, la Chine semble ouverte à la curiosité européenne; mais si les portes de ce monde antique, si obstinément fermées jusqu'à ce jour, sont enfin tombées devant la supériorité des moyens de détruire par lesquels notre civilisation se signale, peu d'explorateurs ont pénétré la mystérieuse obscurité où se sont dérobés jusqu'ici les mœurs, les arts de la Chine. On a entrevu d'abord, par l'intermédiaire des missionnaires et de quelques voyageurs, l'histoire de ces peuples qui remontent si haut, leurs procédés d'industrie, si routiniers et si progressifs à la fois, leurs idées religieuses et philosophiques, leurs mœurs tant exaltées et rabaissées tour à tour. Mais au milieu de ces lumières vacillantes, répandues par l'érudition sur les divers éléments de la vie intellectuelle et morale de la Chine, un élément restait entièrement obscur, inaccessible, c'était la poésie.

Un obstacle particulier s'élevait entre la poésie chinoise et nos habitudes d'esprit, c'est un système de prosodie entièrement distinct de tous les systèmes de prosodie connus ou imaginables. Aucune interprétation dans une autre langue ne peut donner l'idée d'une strophe chinoise; la connaissance du chinois, l'habitude même de le parler, ne suffit pas pour saisir le rhythme du vers; car ce rhythme ne s'adresse pas seulement à l'oreille par les sons; il parle encore aux yeux par les signes qui représentent les idées. Le système d'écriture chinoise, au lieu d'être purement phonétique, comme tous les systèmes d'écriture des langues indo-européennes, est essentiellement idéographique. Les caractères chinois ne peignent le son que d'une manière accessoire; ils offrent à l'esprit l'objet même de la pensée, sous des traits qui primitivement avaient des analogies de forme avec lui. Peu à peu ces traits se sont transformés, simplifiés ou altérés, et n'ont eu avec les idées que des rapports arbitraires et de convention; mais ce n'en est pas moins avec les idées elles-mêmes que les signes de la langue écrite sont restés en relation et non avec les sons affectés à ces idées par la langue parlée. La prosodie chinoise, dans ces conditions extraordinaires, a deux sortes de rhythmes, l'un pour l'oreille, l'autre pour les yeux : le premier résulte, comme chez nous, de diverses combinainaisons de sons, du nombre des syllabes, de la rime, etc.; l'autre consiste dans certaines relations symétriques des signes écrits et des objets visibles ou des idées abstraites que ces signes représentent.

On conçoit que les secrets de ce dernier rhythme soient restés longtemps insaisissables même pour des sinologues consommés. Une traduction française ne peut le plus souvent reproduire le simple rhythme par lequel les langues phonétiques étrangères s'adressent à l'oreille; à plus forte raison ne reproduira-t-elle point ce double rhythme du son et du signe figuré. Mais s'il est impossible de nous tra

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