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VARIÉTÉS. — CURIOSITÉS.— LITTÉRATURE

SCIENTIFIQUE.

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Vaste domaine des variétés littéraires. Chasse; marine; curiosités; délassements philosophiques.

Sous le titre élastique de Variétés, nous devrions ranger ici les divers ouvrages qui, tout en offrant plus ou moins d'intérêt aux gens lettrés, rentrent difficilemeut dans tel ou tel genre littéraire déterminé. C'est dire ici que nous parions des livres de littérature cynégétique qui présentent aux hommes oisifs ou aux enfants curieux une lecture agréable et instructive. Aux premiers s'adresse, par exemple, le nouveau volume de M. Léon Bertrand, grand chasseur devant les bibliographes. Intitulé Au fond de mon carnier, il a l'air d'un dernier recueil de souvenirs de chasse, d'un adieu à ce genre de littérature où l'auteur a excellé. Pour les enfants que les récits des chasses lointaines instruisent en les émouvant, nous pouvons citer Bruin, ou les Chasseurs d'ours 2, traduit [de l'anglais, du capitaine Mayne-Reid, déjà connu de nos plus jeunes lecteurs par des relations de chasse qui servent de cadre à des drames attachants et à des descriptions instructives d'histoire naturelle.

1. Hachette et Cie, in-8, 324 p. 2. Même librairie, in-18, 428 p.

Dans les Variétés rentre, en grande partie, la littérature maritime. M. G. de la Landelle a traité cette dernière dans tous les genres qu'elle comporte: romans, contes et nouvelles, chansons et poëmes, études de philologie technique. Aujourd'hui, il entreprend de former une suite d'essais, de peintures et de courts récits qu'il intitule le Tableau de la mer. La première partie est la Vie navale', c'est-à-dire la vie même du navire; la seconde aura pour titre les Marins. Une connaissance approfondie de son sujet, l'amour de la profession maritime, la peinture fidèle de ses grandeurs et de ses misères, de ses joies et de ses ennuis, de ses gloires et de ses dangers, voilà ce qu'on est sûr de trouver dans le Tableau de la mer tracé par M. de la Landelle. Quelques récits sont jetés çà et là au milieu des renseignements et des peintures; mais il y faut chercher moins le charme littéraire d'un roman que les idées justes et précises données sur un monde spécial par un homme qui en connaît tous les mystères.

Le vrai domaine des Variétés littéraires, ce sont les livres dits de curiosités. Ce domaine est immense comme la curiosité elle-même, qui peut se porter sur tant d'objets différents. Il y a les curiosités de littérature proprement dite, qui sont, pour ainsi dire, l'envers ou le dessous de l'histoire littéraire, et qui nous font souvent si bien comprendre les caractères et les destinées des œuvres; il y a les curiosités de l'histoire générale qui nous dévoilent mieux que les annales officielles les secrets ressorts des événements, et nous montrent les héros en déshabillé; il y a les curiosités de la science et de l'art; il y a celles de la nature; il y a celles des mœurs et des idées, celles même des manies des hommes. Chaque branche de ces curiosités

1. Hachette et Cie, in-18, 452 p.

a ses amateurs et sa bibliographie; toutes les branches ensemble formeraient une belle bibliothèque.

On en pourrait juger par un ouvrage unique que, pour le moment, je me bornerai à rappeler, les Causeries d'un curieux: Variétés d'histoire et d'art, tirées d'un cabinet d'autographes et de dessins, par M. F. Feuillet de Conches. Histoire, biographie, littérature, art, mœurs, usages, modes, manies, tout est là; c'est une mine de souvenirs d'une richesse et d'une variété incroyables. Jamais homme ne fut plus curieux, ni avec plus d'intelligence, ni avec plus de bonheur. Car pour le curieux, comme pour le collectionneur, pour le bibliomane, il y a des bonnes fortunes qu'il faut rencontrer quand on ne les fait pas naître, et qu'il faut savoir saisir. Je parle de l'amour des collections et des livres; la curiosité ne va pas sans ce double goût, et M. Feuillet de Conches en est la preuve. Le bibliophile, le collectionneur lui devront les renseignements les plus précieux.

Notre curieux a une passion plus raffinée que celle des livres, la passion des autographes, et il a déployé pour la satisfaire cette persévérance et cette clairvoyance que donnent les passions profondes. Les collections que M. Feuillet de Conches a pu réunir sont particulièrement intéressantes pour l'histoire de notre littérature aux deux siècles derniers, et cette circonstance nous permettra de revenir encore sur ce trésor de richesses privées que, par une heureuse indiscrétion, les Causeries d'un curieux viennent de dévoiler au public.

Parmi les livres qui peuvent se lire, comme ils se sont écrits, par délassement d'esprit, il faut placer ceux des philosophes qui, sans aucune prétention dogmatique, se bornent à recueillir leurs observations personnelles et à fixer leurs souvenirs sous une forme enjouée. Tel est celui que je trouve sous le nom de M. Boucher de Perthes, déjà

bien connu de nos lecteurs, et sous ce titre un peu long, mais explicite: les Masques: Biographie sans nom; Portraits de mes connaissances, dédiés à mes amis 1. Par les pensées sérieuses qui percent à travers ce caprice littéraire, par des études psychologiques qui s'enveloppent sous des portraits de fantaisie la place légitime de l'auteur est, comme nous l'avons déjà indiqué, l'année dernière, parmi les écrivains de philosophie morale. Par la diversité des sujets, par l'absence volontaire de conclusions générales, par l'aimable laisser aller de la composition, le livre échappe à nos classifications régulières, et c'est ici que nous devons au moins lui donner un second souvenir.

Philosophe, savant, poëte, M. Boucher de Perthes, le doyen de la société lettrée d'Abbeville, n'a pas moins étudié le monde que les livres, le cœur humain que la nature. Après avoir beaucoup vu et beaucoup retenu, il a beaucoup à dire et il dit bien. L'expérience des hommes lui en révélé toutes les faiblesses, mais ne lui a pas ôté l'indulgence. Il aime à peindre nos travers, au lieu de s'irriter contre eux. Peut-être même serait-il fâché d'avoir trouvé l'homme plus parfait : il aurait perdu l'occasion d'exercer contre lui son innocente malice.

Quelquefois il élève la voix, en faisant le procès à nos vices:

Iratusque Chremes tumido delitigat ore.

Mais ce sont les éclats de colère d'un homme bon qui gronde un peu haut des enfants en faute, pour ne pas laisser voir qu'il est prêt à leur sourire. Voyez ses vives sorties contre les fumeurs: il s'oublie jusqu'aux gros mots; mais on sent que parmi ces criminels il compte des amis et qu'il serait désolé de leur faire la moindre peine.

1. Jung-Treuttel, Derache, etc., in- 18, 2 vol. compactes.

M. Boucher de Perthes se permet de temps en temps le paradoxe, et lui donne très-bien la forme humoristique. On peut voir son piquant factum en l'honneur du corbeau. L'apologie des animaux est encore, en prose comme en vers, la satire de l'homme. Mais qu'il raille ou qu'il s'irrite, qu'il peigne ou qu'il moralise, l'auteur des Masques est un de ces écrivains honnêtes gens, si goûtés de Pascal, qui font de la philosophie en se jouant et pour qui c'est un divertissement que de nous instruire.

2

Des œuvres de vulgarisation scientifique. Curiosité du public
intelligent pour les choses de l'industrie.

Notre siècle se distingue par une singulière ardeur pour les œuvres de vulgarisation. Quelques esprits élevés y portent un effort d'initiative individuelle qui, sous notre régime de centralisation, ne trouve guère à s'exercer ailleurs. De là l'intéressante institution de l'Association polytechnique, dont les conférences gratuites excitent dans les masses le goût de l'instruction et le satisfont à la fois. Ces conférences sont publiées sous le titre d'Entretiens populaires, par M. Evariste Thévenin 1. La littérature et l'art n'ont qu'une place secondaire dans cet enseignement libre, assez heureux pour ne pas causer à l'autorité les mêmes ombrages que les Conférences de la rue de la Paix. C'est cependant devant le public de l'Association polytechnique que M. Ed. Thierry a fait, sur l'art dramatique, les leçons dont nous avons parlé plus haut3, et le volume même qui nous occupe se couronne par quelques entretiens d'esthétique de M. Antoine Etex. Cet artiste, dont

1. Hachette et Cie, in-18, 402 p., 2a série. 2. Voy. t. IV de l'Année littéraire, p. 494. 3. Voy. ci-dessus, p. 257.

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