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Waterloo, il y a plus que du nuage, il y a du météore. Dieu a passé. »

Explication à la fois grandiose et puérile. C'est ainsi que Bossuet annonce qu'il rendra compte des événements en montrant partout le doigt de Dieu. Mais quand Bossuet lui-même entre dans le détail des faits, il sait très-bien les expliquer par des causes particulières, et il nous dit que les affaires humaines sont un jeu où, à la longue, le plus habile l'emporte. » La fatalité ne suffit pas mieux à expliquer la chute de Napoléon que la Providence la chute de Carthage. Toutes ces grandes chutes, nécessaires peut-être, mais qui pouvaient être ou plus promptes ou plus lentes, ont eu leurs raisons contingentes, et il est plus intéressant et plus utile de les rechercher que de se payer de mots.

M. Victor Hugo nous dit encore :

« Était-il possible que Napoléon gagnât cette bataille? Nous répondrons non. Pourquoi? A cause de Wellington? A cause de Blucher? Non. A cause de Dieu. Bonaparte, vainqueur à Waterloo, ceci n'était plus dans la loi du dix-neuvième siècle. Une autre série de faits se préparait où Napoléon n'avait plus de place.... Il était temps que cet homme vaste tombât.... - Napoléon avait été dénoncé dans l'infini, et sa chute était décidée.

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Il gênait Dieu. »

Sous quelque forme pompeuse que s'enveloppe la fatalité, il nous est impossible de lui donner ainsi une date et de marquer aux hommes leur heure. De telles explications des événements historiques ne sont, à mes yeux, que de sublimes enfantillages.

On ne peut quitter le livre consacré à Waterloo, et à tant d'égards remarquable, sans dire un mot d'un des plus incroyables chapitres que M. Victor Hugo ait écrits dans ses moins bons jours. Tout le monde connaît la réponse héroïque prêtée par l'histoire à Cambronne : « La

garde meurt, elle ne se rend pas. » Chacun sait que cette phrase, si bien faite pour servir de refrain à une cantate, passe pour n'être pas textuelle; elle serait, d'après la légende, la traduction libre et poétique d'un mot grossier qui, dans de telles circonstances, n'en était pas moins l'expression du sentiment le plus sublime. C'est le mot grossier que M. Victor Hugo reproduit. Il osera, malgré les défenses de la pudeur ou de la pruderie française, « déposer, comme il dit, du sublime dans l'histoire. »

On comprend qu'il essaye de justifier cette hardiesse, d'autres diront: cette grossièreté; mais une ou deux phrases devaient y suffire. Il ne fallait pas s'en enivrer pendant tout un chapitre, ni porter à ce propos l'enthousiasme jusqu'au lyrisme, l'exaltation jusqu'au délire. A trois reprises, M. Victor Hugo s'acharne à prouver que Cambronne, par ce seul mot, a été le vrai vainqueur de cette journée. Il a noyé, dit-il, dans deux syllabes, la coalition européenne.... Il a fait du dernier des mots le premier.... Il a, « par visitation du souffle d'en haut..., trouvé à l'âme une expression, l'excrément. Combien de beautés de premier ordre ne faut-il pas pour racheter de telles étrangetés, par lesquelles M. Victor Hugo donne gratuitement des armes à ses ennemis et consterne ses plus sincères admirateurs!

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Fût-elle de tous points irréprochable, cette grande peinture de Waterloo aurait toujours un tort, celui de n'être point à sa place dans le récit des Misérables. C'est une digression rétrospective, un brillant hors-d'œuvre, un étonnant chapitre d'impressions de voyage; ce n'est pas même un épisode dans le roman. Aucun des personnages auxquels nous nous intéressons n'a sa part dans tant de gloire et de malheur. Seulement, à la fin de ces massacres gigantesques, le champ de bataille est souillé, pendant la nuit, par le pillage, et, parmi les maraudeurs, l'auteur nous fait reconnaître les époux Thénardier, qui sont de

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A quelques pas à peine de ceux qui le gardent et dont il voit et entend les mouvements, Jean Valjean s'élève dans l'angle de deux bâtiments, par des tours de gymnastique familiers aux voleurs de profession, jusqu'au sommet d'un grand mur de clôture; puis, à l'aide d'une corde de réverbère, il attire à lui la petite fille que la peur de retomber sous la main des Thénardier rend docile et muette. Ils descendent de l'autre côté, tandis que Javert en personne et l'escouade qu'il commande fouillent vainement tous les fecoins de l'impasse.

Jean Valjean et Cosette se trouvent réfugiés dans le jardin d'un couvent c'est le petit Picpus, où de saintes femmes sont vouées à l'Adoration-Perpétuelle. M. Victor Hugo s'arrête à nous décrire avec délices la règle de l'ordre, ses exercices pieux, les sévérités de la discipline, les douceurs réservées à l'âme dans la vie la plus rigide. Tout ce que le couvent peut avoir d'attrait pour des âmes mystiques refleurit devant sa gracieuse imagination. Sa digression sur Waterloo était l'épopée de la guerre et du massacre; sa parenthèse, comme il l'appelle lui-même, sur l'Adoration-Perpétueile est l'épopée de la prière et de la vie en Dieu.

Mais Jean Valjean et Cosette pourront-ils rester dans ce pieux asile? Par un jeu de la providence des romanciers, l'ex-forçat a, sans s'en douter, des intelligences dans la place. Le jardinier du couvent, qu'il rencontre au bout d'une heure d'angoisses, le salue inopinément du nom de << monsieur Madeleine. » C'est un malheureux voiturier de M.-sur-M. que sa charrette allait écraser, quand M. le maire l'a sauvé par un acte de vigueur herculéenne, qui devait faire reconnaître Jean Valjean à l'inspecteur Javert, le témoin dangereux de son héroïsme. M. Madeleine avait oublié et sa bonne action et l'homme qui en avait été l'objet. Le père Fauchelevent n'a pas oublié qu'il lui doit la vie, et il est prêt à tout faire pour sauver son bienfaiteur des

périls qu'il ne peut comprendre. Il obtient de la mère prieure, en échange d'un service extraordinaire qui lui est demandé, de faire entrer, comme second jardinier du couvent, un sien frère dont la petite fille serait admise parmi les pensionnaires. Jean Valjean qui passe pour le grandpère de Cosette, sera ce frère prétendu.

Mais pour entrer régulièrement dans un couvent dont les triples portes sont sévèrement gardées, il fallait être dehors, et Jean Valjean ne pouvait sortir en escaladant de nouveau les murailles, sans tomber entre les mains des agents qui veillaient encore sur toutes les rues voisines. Sa sortie sera des plus dramatiques. Une sœur était morte en odeur de sainteté, et la communauté voulait, selon le désir exprimé par la sainte, déposer ses restes dans la chapelle où ils deviendraient sans doute une source de bénédictions et de miracles. Mais les règlements civils imposaient aux religieuses la nécessité d'être inhumées dans un des cimetières de la capitale. Le service demandé par la mère prieure à son jardinier consistait à tromper l'autorité temporelle, en envoyant au cimetière commun une bière où il aurait mis de la terre au lieu du cadavre. Jean Valjean se charge de la remplir en s'y mettant lui-même. Le père Fauchelevent qui connaît le fossoyeur, saura bien l'en tirer. Le dernier acte de cette tragi-comédie menace de tourner mal, et il faut au vieil ami de M. Madeleine bien de l'habileté et du dévouement pour arracher à la mort la fausse proie qu'on avait osé lui offrir dans un cercueil.

Enfin nous en sommes quittes pour un peu de terreur. M. Madeleine est installé comme jardinier dans le couvent, prison volontaire qui présente avec le bagne d'étranges rapports et de si heureuses différences. Son âme achève de s'épurer dans cette sainte retraite; il médite, il prie, il pleure; il sent s'évanouir en lui l'orgueil qui naît de la force ou plutôt de l'effort humain. L'œuvre commencée par la charité de l'évêque s'achève dans son âme par l'humi

lité. Cosette qui grandit auprès de lui, le récompense par son amour filial de tout ce qu'il a fait pour elle. Avec l'histoire de cette enfant sauvée au prix de tant de dévouement et de souffrance, la seconde partie des Misérables se suspend sur les impressions les plus douces et les plus pures. C'est une halte dans l'innocence et le bonheur.

Le roman de Marius, qui forme la troisième partie des Misérables (tomes V-VI), ne nous ramènera à l'histoire de Jean Valjean et de la fille de Fantine qu'après nous en avoir éloignés singulièrement. Voici d'abord tout un volume où, non-seulement nous ne verrons reparaître aucun des personnages déjà connus, mais où il ne sera pas même fait une seule allusion aux événements dont nous attendons la suite. Ce volume s'ouvre par un livre consacré à l'étude de Paris dans un élément infime et puissant de sa population, « dans son atome, comme dit M. Victor Hugo. Dans le temps où les Physiologies étaient en faveur, ce livre eût formé une excellente physiologie du gamin de Paris.

L'esquisse de ce héros de la misère et du vagabondage est complète. Physionomie et caractère, physique et moral, passé, présent, avenir, rien ne manque à cette monographie d'histoire naturelle et sociale. M. Victor Hugo nous dit les prouesses de cet intéressant mauvais sujet, ses traits d'esprit, ses bons mots, qui ne sont quelquefois ni bons ni neufs. Il traite ses chers petits vagabonds comme il a fait ses chères petites pensionnaires de l'Adoration-Perpétuelle; il n'y a pas de détails si puérils auxquels il ne descende. Mais sous la triste enveloppe du voyou respire la vieille âme de la Gaule, et réside, profondément obscurcie, la grandeur latente du peuple; aussi, entre les mains du romancier-poëte, l'inventaire d'une misère parisienne s'échappe en un dithyrambe en l'honneur de Paris.

Mais quel lien a toute cette étude en treize chapitres

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