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dévore la jeune femme à laquelle la tendresse de son mari est disputée par un autre amour. Le jour où l'harmonie se rétablit entre leurs deux âmes, la mort vient les séparer. Ainsi une donnée assez ordinaire de comédie, se renouvelle par un dénoûment tragique. Elle se développe par des analyses pénétrantes et des scènes pittoresques.

Les romans de M. Elie Berthet sont de ceux qui se réimpriment et qui le méritent par l'honnêteté à la fois etle talent. C'est un de nos bons conteurs qui a l'expérience de la mise en scène, et qui, assez fort pour produire les grands effets dramatiques, a la discrétion de n'en pas abuser. L'analyse fidèle que nous avons faite de quelques-uns de ses principaux récits suffit pour faire juger à nos lecteurs des qualités qu'on retrouve dans la plupart des autres. Nous nous bornerons donc à signaler la réappartion, dans une collection nouvelle, des Catacombes de Paris, qui furent, à une autre époque, l'un des meilleurs succès de l'auteur.

Nous donnerons volontiers quelques détails sur un récit moins important par l'étendue, mais plus nouveau, Odilia. C'est une combinaison assez originale d'éléments d'intérêt très-divers. L'héroïne est une jeune fille dont la vie se partage entre des sentiments vrais et les chimères de l'hallucination. Elle croit sa destinée liée à celle d'un arbre, d'un tilleul planté le jour de sa naissance. D'une famille de bohémiennes, les idées de sorcellerie ont particulièrement prise sur elle. L'effet de sa croyance est que la mort de l'arbre entraîne la sienne. Sa vie trop courte a été remplie par des incidents et des passions romanesques, qui suffisent amplement à l'attrait du récit et permettent à l'auteur d'y joindre l'intérêt des analyses et des peintures.

1. Hachette et Cie, 2 vol. in-18, 324-344 p.- La première édition avait paru en 1854, formant 8 volumes in-8 de cabinet de lecture. 2, Même librairie, in-18, 340 p. — Voy. t. IV de l'Année littéraire. p. 81-83.

La Comédie du printemps de M. Arnould Frémy 'est le pendant des Confessions d'un Bohémien, dont nous avons déjà fait connaître, il y a deux ans, la nature complexe et étrange. On y trouvera, dans des proportions un peu différentes, les mêmes éléments d'intérêt. Sont-ce des confessions, comme le dit l'auteur cette fois encore? Est-ce un roman ou plutôt n'est-ce pas une combinaison de quelques souvenirs de la vie réelle avec les jeux de l'imagination? Ce que l'auteur appelle la comédie du printemps est la jeunesse orageuse d'un petit provincial qui se croit né avec la vocation de grand homme, et vient à Paris chercher l'accomplissement de son rêve. Il a une charmante cousine qui a été pour lui l'objet de ses amours d'enfant, mais qu'au sortir du collége, l'orgueil de sa future grandeur lui fait dédaigner. Il lui faut une idole plus haute, une dame de ses pensées plus digne de sa mission. Retenu par son père dans un magasin de nouveautés d'une petite ville de province, il aspire sottement à la main d'une prétentieuse héritière qui l'humilie de ses dédains; venu enfin à Paris, il se jette au cou d'une intrigante du demimonde qui le berne et le ruine. L'amitié de son oncle et la tendresse fidèle de sa cousine interviennent à temps pour le sauver. Il rentre dans sa petite ville où le magasin paternel, compromis par la concurrence, menace de sombrer. Notre grand homme désillusionné se jette avec ardeur dans le modeste commerce dont il faisait fi, il contribue à ramener la prospérité dans la famille, et il épouse enfin sa cousine, que le plus invraisemblable des héritages a gratifiée d'une grosse dot, sans rien altérer de son premier

amour.

Au milieu d'une intrigue peu neuve et peu forte, la Comédie du printemps se relève, comme les Confessions d'un

1. Hachette et Cie, in-16, 404 p.-Voy. t. IV de l'Année littéraire, P. 108-110 et 406-408.

Bohémien, par une grande indépendance de jugement, par des idées philosophiques d'une rare justesse dans le détail et d'une certaine portée, par une observation assez profonde de l'état moral de notre société, par la peinture trèsnette de personnages qui ne manquent pas d'originalité et qui sont tous, malgré leurs travers, honnêtes et sympatiques, enfin, par le mérite du style dont j'ai déjà loué la fermeté, la précision, le naturel constant. Chose étonnante: ce livre qui est, par tout son plan, une protestation contre les écarts de l'imagination, se termine par une conclusion en faveur de cette « Folle du comptoir, comme l'auteur l'appelle. « J'espère avoir suffisamment prouvé, dit-il, qu'un grain d'imagination et de légèreté ne nuit jamais dans la vie et peut fort bien être admis dans quelque condition qu'on se trouve. L'a-t-il vraiment prouvé? N'at-il pas peut-être prouvé tout le contraire? Ce qu'on peut dire, c'est qu'après toutes les déceptions réservées fatalement, d'après la marche même de la Comédie du printemps, aux excès de l'imagination, le livre se ferme sur une impression très-favorable pour les hommes que ces excès ont failli perdre.

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M. Alexandre Dumas n'est pas mort. Non-seulement il vit pour son compte et publie encore des feuilletons dans des journaux qui font de son nom leur meilleure réclame; mais il revit dans des continuateurs de sa manière. L'un de ces derniers est M. Emmanuel Gonzalès, qui excelle à donner au roman la tournure dramatique et les effets inattendus favorables à la publication en feuilletons. L'Hôtesse du Connétable1 est, comme le dit le titre même, une histoire du temps de François Ier. On devine ce qu'on y trouvera, et la liste seule des titres de chapitres suffirait

1. Hachette et C, in-16, 358 p.-Voy. t. V de l'Année littéraire p. 151.

pour indiquer les scènes historiques au milieu desquelles se déroule une intrigue violente. La vie de château, les derniers jours de la féodalité, l'autorité grandissante du roi, le faste de la cour, les ruses et les crimes de la politique italienne, les persécutions, les guerres de religion, les malheurs du temps que la gloire cache de loin, mais qui, de près, cachent la gloire; tout cela revit, avec plus ou moins d'exactitude, dans une suite d'effets pittoresques et dramatiques. Le héros, le comte de Montchenu, meurt d'une façon qui donne bien une idée de ces effets. A la suite d'explications avec sa femme, décidée à échapper par la mort à une vie commune devenue impossible, il se jette lui-même sur l'instrument de mort préparé par elle et pour elle. Et cet instrument de mort, quel est-il? c'est un Missel, dont les pages coloriées étaient imprégnées du terrible poison florentin, dont Catherine de Médicis devait faire plus tard un si fréquent usage. » Il y porte les lèvres et tombe foudroyé aux pieds de la comtesse, qui se consacrera désormais à Dieu. Le livre finit sur ce trait. Comme la toile tomberait bien sur cette fin du livre, dans un de ces drames, en cinq actes et quinze ou vingt tableaux, dont un semblable roman est souvent la première esquisse !

Le roman historique n'a pas toujours ces allures de mélodrame. Il peut se borner à encadrer au milieu d'événements et de personnages réels des intrigues qui n'ont rien de sanglant et des passions qui finissent bien. Tel est le roman de M. Alexandre de Lavergne, l'Aîné de la Famille'. C'est l'histoire d'un jeune gentilhomme de province qui vient chercher fortune à la cour de Louis XIV, au moment où le soleil de la monarchie commence à baisser et à pålir. Mme de Maintenon est alors toute-puissante

1. Hachette et Cie, in-16, 364 p.

et la dévotion règne avec elle. Le comte d'Anglars a le malheur de blesser l'austère favorite, mais il trouve auprès d'elle une ardente protectrice dans une des anciennes élèves de Saint-Cyr qu'il aime et qui, après avoir obtenu de Mme de Maintenon la grâce du jeune homme et un régiment, devient sa femme et marquise d'Anglars. L'étude d'une grande cour en décadence, faite avec soin d'après les souvenirs de Dangeau, Lauzun et divers mémoires du temps, ne peut manquer d'être intéressante et instructive.

Mais hâtons-nous d'en finir avec cette revue de romans signés de noms déjà recommandés par un plus ou moins long passé littéraire, et réduisons-nous, quoique à regret, à citer à peine quelques titres. De Mme Ancelot, dont nous avons déjà fait connaître la manière par une analyse et des citations, nous nous bornerons à signaler Antonia Vernon ou les jeunes Filles pauvres1, étude honnête sur la société de notre temps.

Une autre femme de lettres, Mme Léonie d'Aunet publie en volume un roman et une nouvelle qui ont eu auparavant le succès de la revue. C'est l'Héritage du marquis d'Elvigny, suivi des Deux légendes d'Hardenstein'. Mme Léonie d'Aunet prévient ses lecteurs qu'une partie de son livre est due à la plume d'une collaboratrice, Mlle Henriette d'Isle. Je ne crois pas bien nécessaire de rechercher la part qui revient à chacune des deux auteurs dans l'œuvre commune.

Nous regrettons davantage de ne pouvoir nous arrêter à un nouveau volume d'un romancier dont nous avons remarqué jusqu'ici les études morales ou sociales pour

1. Hachette et Cie, in-16, 308 pages. Voy. t. IV de l'Année litté raire, p. 78-81.

2. Hachette et C, in-16, 362 p.

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