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voudra. Le premier et le plus long des trois récits, la Comtesse Emma, n'est que la reproduction, moins le dialogue, d'un drame que nous avons vu jouer à l'Odéon, ily trois ans, sous le titre de la Vengeance du mari, et dont nous avons donné alors l'analyse fidèle1. Nous sommes assez habitué à voir mettre des romans ou des nouvelles en comédies ou en drames; mais nous n'avions pas vu un auteur réduire un drame en une simple nouvelle. Ce n'est plus transformer et agrandir son œuvre, c'est la défigurer et la rapetisser. Nos mœurs littéraires sont trop indulgentes pour notre manie de tirer d'un même sac deux ou plusieurs moutures. Au moins ne faudrait-il pas offrir successivement au public la fine fleur et le son de la même mouture dans deux sacs et sous deux étiquettes différentes. Peut-être M. Belot avait-il écrit sa nouvelle, sans la publier, avant d'en tirer un drame. Alors il aurait dû en prévenir le lecteur, en la publiant aujourd'hui. Il ne nous exposerait pas à prendre le germe de son œuvre, pour son œuvre volontairement amoindrie, et à l'accuser de faire un volume à l'aide de ces petites supercheries littéraires devenues trop communes, mais indignes d'un nom recommandé au théâtre par d'aussi francs succès.

Je citerai encore un volume de nouvelles, Cœurs de femmes, de M. Em. Richebourg, qui s'engage, par ce titre, à faire tenir de bien gros secrets dans de petits récits. L'auteur qui débute et que je suppose jeune, traite des sujets assez différents; il peint l'amour, ses joies et ses souffrances, tantôt au milieu d'une existence vouée à l'é

1. Voy. t. III de l'Année littéraire, p. 196-198. — Voir dans les autres volumes et ci-dessous (Théâtre, § 3) les diverses œuvres dramatiques de M. Belot, seul ou en collaboration.

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2. Dentu, in-18. L'auteur vient aussi de publier un roman de plus longue haleine, l'Homme aux luneties noires (même librairie,

tude, tantôt dans le calme de la vie des champs, tantôt à travers les agitations des révolutions sociales. Il prend des tons assez divers, avec la facilité d'un homme qui n'a pas encore trouvé celui qui sera le sien.

Pour opposer aux sentiments compliqués de notre temps et de notre civilisation la simplicité d'idées et de relations des sociétés plus primitives, je pourrais bien placer ici un petit volume de récits bien différents de tous ceux qui précèdent ce sont les Contes populaires de la Norvége, de la Finlande et de la Bourgogne, par M. Beauvois, que des études ont familiarisé avec les littératures du Nord.

Mais il est temps de clore cette suite d'indications trop rapides après de trop longues études peut-être. J'ai beau faire; quelque place que je fasse aux productions de cette littérature facile et féconde du roman, j'en laisserai toujours plus en dehors de mes cadres que je n'en aurai pu prendre. Il suffft à mon plan de donner des échantillons des principales variétés que le genre embrasse; et ceux de mes lecteurs, qui n'ont pas encore écrit de romans, trouveront sans doute que mon plan n'exige rien de plus.

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La traduction des romans étrangers: X..., Wilkie Collins, G. Eliot, Miss E. Braddon, F. Caballero.

Malgré l'abondance de la production nationale, dans le roman, elle ne paraît pas suffire à la consommation annuelle des lecteurs français, et l'importation étrangère, par la voie de la traduction, vient toujours au secours de notre littérature, comme si nous étions affamés par la disette. J'aime à voir, dans tous les genres, ces échanges internationaux, et je dois un mot de souvenir aux œuvres de pure imagination qui nous viennent de l'étranger,

pour exciter encore notre esprit d'invention ou pour varier nos plaisirs.

La littérature anglaise est toujours, pour le roman, celle à laquelle nous faisons le plus d'emprunts, et MM. Amédée Pichot et E. D. Forgues se font toujours remarquer parmi ses interprètes les plus empressés. Le premier traduit d'un auteur qu'il ne nomme pas, le roman de John Halifax gentleman', qui met en relief les divers caractères de la société anglaise. Les aventures d'un orphelin sont propres à nous faire voir les ressources particulières qu'elle offre, malgré sa constitution aristocratique, au dernier venu, pour s'élever au plus haut rang par le travail et le mérite personnel. M. Forgues nous donne, de M. W. Collins, le roman de Sans nom2 qui est, par l'emploi ou même par l'abus des grands moyens dramatiques, le pendant de celui de la Femme en blanc, déjà connu de nos lecteurs3.

Le roman anglais d'études et de peintures intimes est traité avec beaucoup de succès par un auteur qu'on ne connaît pas assez en France, M. George Eliot. Nous voyons traduit de lui par M. F. d'Albert-Durade, la Famille Tulliver ou le moulin sur la Floss. C'est, malgré la tristesse du dénoûment, une de ces études gracieuses et morales où se complaît le talent de l'auteur.

Une impulsion plus vive est donnée à la traduction du roman anglais, par le succès des combinaisons fantasmagoriques de Miss M. E. Braddon, transportées sur le théâtre de son pays ou du nôtre. Cette romancière inconnue hier chez nous, aujourd'hui célèbre, a non pas inventé — elles l'étaient depuis longtemps, mais retrouvé et renou

1. Grassart, 2 vol. in-12.

2. Hetzel, 2 vol. in-18.

3. Voy. t. IV de l'Année littéraire, p. 129-132. 4. Dentu, 2 vol. in-12.

velé les histoires à secrets mystérieux et à revenants de l'autre monde ou de celui-ci. Son Aurora Floyd, traduite cette année par M. Charles Bernard-Derosne 1, a été, sous la forme d'un drame à grand spectacle, l'occasion de l'invention, en Angleterre, de nouveaux procédés pour faire paraître des fantômes sur la scène. Le Secret de miss Aurore a exploité, sur notre théâtre du Châtelet, avec la fable du roman, les procédés de magie décorative que l'œuvre de miss Braddon avait suggérés.

Le succès ne s'arrête pas à moitié chemin. Les romans de miss Braddon formeront avant peu une série complète dans la Bibliothèque des meilleurs romans étrangers. Le Secret de lady Audley, traduit par Mme Judith BernardDerosne, de la Comédie-Française, a paru en feuilletons dans les journaux avant de faire partie de cette collection, où M. Charles Bernard-Derosne a donné ensuite et coup sur coup, Lady Lisle, la Trace du serpent, le Capitaine du Vautour, l'Intendant Ralph et autres histoires'. On annonce en outre, par les soins du même traducteur, le Triomphe d'Eleanor (2 vol.) et le Testament de John Marchmont (2 vol.).

Ces diverses histoires de miss Braddon portent encore plus loin que les romans de son compatriote Wilkie Collins, l'emploi des ressources du mélodrame. L'auteur aime également les inventions terribles et les intrigues compliquées; elle excelle à poser ses personnages dans les énigmes et les mystères. On ignore longtemps, par exemple, si le capitaine du Vautour est un officier de la marine anglaise ou un corsaire, ou un voleur de grand chemin. La femme

1. Hachette et Ci, 2 vol. in-18, 352-324 p.
2. Même librairie, 2 vol. in-18, 318-358 pages.
3. Même librairie, in-18, 404 p.

4. Même librairie, 2 vol. in-18, 328-414 p.

5. Même librairie, in-18, 360 p.

6. Même librairie, in-18, 356 p.

dont il fait le malheur ne sait qui il est, et le lecteur ne l'apprend avec elle que par de longs détours. L'intrigue de Lady Lisle roule sur une substitution d'enfant, complotée par d'insignes coquins pour se rendre maîtres de la fortune qui doit revenir à un héritier unique. Un meurtre de grand chemin et la chute d'une voiture dans une fondrière précipitent le dénoûment, en assurant cette fois la satisfaction de la justice et le bonheur de la vertu par l'amour. Je ne puis donner ici les analyses exactes et complètes de ces divers romans. Elles montreraient comment miss E. Braddon, ainsi que le dit le rédacteur de la Revue critique, « exploite de préférence le champ non moins fécond que vaste de la scélératesse humaine. » M. J. Cherbuliez appelle chacun de ces livres un cauchemar; il y aura toujours parmi les oisifs et les heureux des gens qui aimeront à se procurer, tout éveillés, des rêves terribles.

Je citerai, entre les romans qui nous viennent d'un autre point de l'étranger, deux volumes traduits de l'espagnol par M. Aug. Dumas: la Famille Alvaredo, roman de mœurs populaires de F. Caballero1, et Un jeune Libéral et un Legitimiste, suivi de l'Ex-voto, etc. 2, du même auteur. On trouve, dans le premier de ces deux livres, des peintures intéressantes des mœurs espagnoles, et dans le second, des révélations passionnées, partiales peut-être, sur l'état des idées religieuses et politiques de ce pays si voisin de la France et pourtant si peu connu de nous. On a eu beau dire et on redira longtemps en vain qu'il n'y a plus de Pyrénées. Voilà un peuple de race et de langue latines, qui, à en juger par sa littérature des romans, est singulièrement loin de notre situation intellectuelle et mo

1. Dentu, in-18.

2. Même librairie, in-18.

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