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rale; nous sommes plus près, malgré la différence des langues ou des races, malgré l'étendue des mers, des principes et des idées des peuples de famille saxonne ou germanique.

THEATRE.

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Situation générale du théâtre en 1863. Les plaintes sur le présent et les espérances pour l'avenir.

Si l'on examine successivement les phases de notre mouvement dramatique pendant une suite de plusieurs années, on est frappé des alternatives d'activité féconde et de stérilité, d'agitation et de repos, de réveil et de somnolence. Pendant l'année qui vient de s'écouler, notre littérature de théâtre paraît avoir été saisie d'un engourdissement général. Peu d'œuvres nouvelles se sont produites et, dans ce petit nombre, plusieurs n'ont point eu de succès. Celles même qui ont le mieux réussi, jugées plus sévèrement par la critique que par le public, ont semblé devoir leur bonne fortune à des circonstances étrangères à l'art plutôt qu'au talent et à l'originalité.

Dans la disette des œuvres nouvelles, les reprises, les imitations, les traductions de drames étrangers, les restitutions de l'antique, en un mot les exhumations de toute sorte, ont été la ressource de plusieurs théâtres aux abois. Ces études rétrospectives n'ont pas réussi partout, et malgré le succès soutenu d'un drame de Shakspeare à l'Odéon, on peut dire que les nombreux appels faits au répertoire de ces derniers temps ont accusé l'insuffisance des productions du jour, sans y porter remède. A l'embarras causé par le manque de créations littéraires supé

rieures, les théâtres de drame ont, en général, échappé en abandonnant leur genre propre pour se jeter exclusivement dans la féerie. Le public a été leur complice, et il s'est montré facile à consoler de l'absence des œuvres qui excitent la pitié, la terreur ou l'admiration héroïque, par son empressement à courir à ces spectacles de décorations éblouissantes et de savantes machines, où le libretto sans valeur ni prétentions littéraires n'est qu'un prétexte de mise en scène et de changements à vue.

Aussi, de toutes parts, entendons-nous crier à la décadence de l'art dramatique ; de toutes parts on appelle une résurrection, on rêve des réformes qui puissent la favoriser. Vers la fin de l'année, la liberté des théâtres est mise à l'ordre du jour par les promesses mêmes du gouvernement. Ce sera bientôt un fait accompli, et déjà plusieurs de ceux qui signalaient le mal se montrent étonnés, alarmés ou effrayés du remède 1. Il y a toujours de l'exagération dans les plaintes des hommes, comme dans leurs espérances. Je ne crois pas que le mal fût si profond qu'on le représentait, et il est prématuré de juger aujourd'hui de l'efficacité ou des dangers d'un changement. Voltaire disait que le théâtre est, de tous les arts cultivés en France, celui qui, du consentement de tous les étrangers, fait le plus d'honneur à notre patrie. Ce mot est toujours vrai, et, si nous voyons l'art dramatique baisser autour de nous, nous pouvons dire que l'abaissement doit se faire sentir dans toutes les branches de la littérature. Ceux qui ne voient que la décadence du théâtre et qui comptent, pour l'arrêter, sur une réforme administrative de notre organisation théâtrale, ont la vue courte et l'illusion facile. Si le théâtre brille momentanément d'un moindre éclat, quelles sont donc les branches de la littérature qui

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1. Voy. ci-dessous, dans notre Chronique, le décret sur la liberté

des théâtres.

soient, au même instant, plus brillantes ou plus fécondes? Et si le théâtre ne fait que manifester d'une façon plus frappante l'amoindrissement universel de notre génie, croit-on qu'on arrêtera par des mesures particulières l'action lente et profonde des causes générales?

Si le théâtre n'est pas tombé, même dans une année stérile, au-dessous des autres genres littéraires, je ne vois pas, en le comparant à un passé récent, qu'il soit beaucoup descendu au-dessous de lui-même. L'année 1863 a peu produit, mais elle peut revendiquer une part dans les destinées dramatiques de l'année précédente où la comédie s'était relevée avec une certaine vigueur. Les œuvres les plus fortes d'études morales et de satire politique inaugurées dans les derniers mois de 1862, se sont maintenues sur plusieurs de nos théâtres pendant un grand nombre de mois de l'année qui vient de s'écouler, et elles lui appartiennent par le succès. Elles n'ont pas eté remplacées immédiatement par des œuvres de même valeur, j'en conviens, mais quelle est donc l'époque assez favorisée pour que les créations puissantes se succèdent sans interruption?

On se plaint que le théâtre moderne ne se signale pas chaque jour par des œuvres qui puissent durer et survivre au succès du moment. Mais qu'on cherche dans le passé combien on peut compter de telles œuvres, je ne dis pas par année, mais par dizaine d'années ou par demisiècle! De la mort de Racine ou de Molière jusqu'à la réforme violente du romantisme, qui tient dans nos souvenirs la place d'un fait contemporain, combien est-il resté de pièces de théâtre, tragédies, comédies ou drames qui puissent être encore représentées avec succès, ou dont la reprise soit autre chose qu'une affaire de curiosité littéraire? Des pièces qui survivent à leur première fortune ou à leur auteur, il n'en est peut-être pas dix, en dehors des modèles classiques, dans les centaines de vo

lumes dont se compose le répertoire complet de la scène française.

Demandons beaucoup au présent, mais ne l'accusons pas trop s'il ne donne pas tout ce qu'on lui demande. Ne l'écrasons pas sans cesse de la supériorité plus ou moins chimérique d'un passé qui a été le présent à son heure et qui s'est vu alors en butte aux mêmes contestations. Chaque époque a ses maîtres et ses œuvres, qui en reflètent particulièrement l'esprit, qui en marquent les phases et les alternatives, qui agissent dans une certaine mesure sur la marche des idées et du goût, mais qui donnent mieux encore la mesure de leur temps que leur propre mesure. En décadence ou non, le théâtre, en 1863, mérite autant notre attention que dans les années précédentes, car il est toujours la représentation la plus complète de nos destinées littéraires et de l'état général des esprits dont la littérature est le reflet.

Comédie-Française: la Loge d'opéra, Trop curieux, Jean Baudry, le Dernier quartier, la Maison de Pénarvan. reprises.

Importance des

Pendant plus de la moitié de l'année, le Théâtre-Français n'a eu besoin ni de provoquer des œuvres nouvelles, ni de fouiller dans son ancien répertoire pour attirer la foule et la retenir. S'il reprend les œuvres des jours ou des siècles précédents, c'est par pur désintéressement, c'est par fidélité à sa mission littéraire. L'intérêt de l'art le ramène en arrière; il lui commande de tenir, par la variété des représentations, le champ toujours ouvert aux études comparées, de Molière à Marivaux, de Marivaux à Scribe. S'il ne consultait que l'intérêt de sa caisse, l'heure présente lui suffirait. Son heureux Fils de Giboyer, que nous avons fait

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