Il met sur le présent une main familière, Car il sait que la mort est devant et derrière Voici, dans le ton le plus ordinaire à l'auteur, les magnificences de la nature créatrice. C'est le début de la Naissance de Vénus: C'était aux jours pleins de mystère Voilà bien, en style digne d'elle, la genèse du monde, entrevue par la science et conquise à l'art par le sentiment poétique. On peut dire de ces vers ce que le poëte dit luimême de la vie : J'aime la vie où la pleine Beauté Entre dans le contour de la réalité. Les idées que l'auteur de la Flûte de Pan a, pour ainsi dire, incarnées en lui, ne sont peut-être pas aussi fécondes qu'il paraît le croire. Elles ne sont plus celles de notre époque qui a plutôt besoin d'être rappelée à l'activité que d'être invitée au sommeil. D'ailleurs, plus profondes que variées, elles engendreraient bientôt la monotonie: peutêtre l'engendrent-elles déjà. Elles jettent dans une forme harmonieuse et brillante quelque chose de vague, de suageux, d'indéterminé qui n'est pas dans les traditions de l'esprit français. Toutefois, les cinq ou six mille vers qu'elles ont inspirés à M. André Lefèvre, pour son début, n'en prouvent pas moins, en général, que c'est de l'idée seule que la poésie peut attendre un rajeunissement. 4 Les femmes poëtes. Mmes A. Penquer, L. Ackermann Les poésies qui ont des femmes pour auteurs sont choses doublement délicates. La critique qui doit la vérité à chaque écrivain, n'a souvent pour les plumes féminines que des sourires, ou elle se défend de l'excès de flatterie qu'on attend d'elle, par le silence. Il y a pourtant des recueils de poésie signés par des dames qui révèlent assez de talent pour que le silence et la flatterie soient à leur égard une injustice égale. Pourquoi ne pas louer tous les bons vers que l'on rencontre, à une époque où il s'en fait tant de mauvais? Mais pourquoi les louer aussi sans mesure? pourquoi porter dans la critique les hyperboles de la galanterie, et, se prêtant aux faiblesses de l'amour-propre, enivrer une pauvre muse d'hommages et d'encens? Ce n'est pas moi qui, malgré ma sympathie pour les Chants du Foyer, dirais à l'auteur, Mme Auguste Penquer, comme un illustre et complaisant poëte: « Madame, vos beaux vers m'ont entraîné, du premier au dernier, par un charme. que je ne me croyais plus permis de subir avec tant d'empire; ou encore : « Cette poésie est une des plus belles pages que j'aie lues. » Ces exagérations, signées d'un grand nom, peuvent se transcrire comme recommandation auprès du public, en tête d'un volume, mais la modestie en doit. souffrir, et l'amour-propre même ne peut les accepter. Je D ferai mieux pour recommander les Chants du Foyer à mes lecteurs; j'en dirai les qualités sérieuses et réelles, sans en taire les faiblesses. Mme Aug. Penquer a un mérite très-rare chez les femmes poëtes elle a le souffle, le mouvement, l'inspiration soutenue. Une idée, un sentiment bien marqué domine quelques-unes de ses pièces et les conduit ou les anime tout entières. Les mollesses de pensée ou de style, ordinaires à la poésie féminine, ne se retrouvent que dans les détails. Je ne crains pas de citer, comme un exemple de poésie vraie, sentie et bien menée, l'élégie intitulée : Pourquoi je ne crois plus. Hélas! je vois tant de chimères Je vois tant d'ailes vagabondes, Je vois tant de fâcheuses choses; Et même quand la nuit est belle, Quand le jour se lève et flamboie; Par la rosée encore mouillée, Goutte à goutte, hélas! tant de pleurs! Je vois souvent tant d'espérances Je vois sur le front de la femme Puis je vois dans le cœur des hommes Tout le recueil des Chants du Foyer n'est pas de cette bonne venue; mais on y trouvera partout de la grâce, du sentiment, de l'harmonie. Mme A. Penquer est de l'école de M. de Lamartine et son rhythme a quelque chose de l'ampleur, de l'abondance et de la facilité poussées jusqu'à l'excès dans les Harmonies et les Recueillements poétiques. Chez le maître lui-même la forme s'était déjà amollie, la. facilité avait produit la diffusion, les mots caressaient encore l'oreille, sans dire beaucoup de choses à l'esprit. Les disciples doivent surtout se défendre des défaillances de leur modèle: c'est ordinairement ce qu'il y a en eux de plus facile à imiter. Je signalerai particulièrement à Mme A. Penquer, l'abus de certaines rimes harmonieuses mais banales, telles que les roses et toutes les choses qui les accompagnent d'ordinaire; l'azur et le front ou le ciel pur ces douces et faciles consonnances reviennent plus de vingt fois. Les lauriers montrent aussi un peu trop leurs feuilles, l'ombre amène sombre, et l'étoile brille à travers le ou la voile. Il est difficile sans doute de se passer de ces rimes, mais il ne faut pas les prodiguer. La monotonie. qu'elles produisent suffit souvent pour faire méconnaître. l'originalité d'un talent poétique comme celui dont l'auteur des Chants du Foyer a fait preuve. Un des recueils de vers les mieux accueillis par la presse, et qui le méritait, est celui des Contes et poésies, de L. Ackermann sans la qualification de Madame, que divers critiques ont restituée à l'auteur. Il n'appartient pas, celui-là, au genre mystique et idéal. Le sentiment de la réalité y domine, s'il n'y règne pas seul. Lisez, par exemple, son Éden. Vous verrez que l'auteur fait assez bon marché des choses ineffables et de l'éternité. Je ne sais trop quel paradis prépare Voyez aussi sa façon de concevoir la fidélité dans l'amour. Il n'y a pas de quoi satisfaire les exigences ou les rêves d'une âme altérée d'idéalisme. Tout le passé ne peut en un jour s'effacer. 1. Hachette et Cie, in-18 jésus, 300 p. |