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ciété du temps de Mme de Maintenon. Mais si le vice régnait, on n'en mettait pas les héroïnes sur le théâtre. La comédie pouvait effleurer dans les femmes la légèreté de conduite; elle ne les suivait pas dans toutes leurs chutes, elle ne donnait pas l'immoralité impudente en spectacle ou en leçon; elle faisait rire la société de ses faiblesses, elle ne mettait pas ses hontes sur le premier plan.

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Gymnase-Dramatique : le Bout de l'an de l'amour ; la Maison sans enfants; Nos alliées; le Train de minuit; le Démon du jeu; Montjoye.

Le Gymnase-Dramatique, après avoir épuisé, pendant les deux premiers mois de l'année, son grand succès des Ganaches, que lui avait légué l'année précédente, n'a d'abord donné, en fait de pièces nouvelles, que de petites pièces, monnaie insuffisante d'une grande. Ce sont d'abord trois comédies en un acte le Défaut de Jeanne, de M. Moreau (21 février); Permettez, Madame, de MM. Labiche et Delacour (même jour), et le Bout de l'an de l'Amour, causerie à deux, de M. Théodore Barrière (26 mars). Ce sont ensuite deux pièces en trois actes: Sortir seule, de MM. E. Grangé et H. Rochefort (21 février), et la Maison sans enfants, de M. Dumanoir (26 mars). Sur ces cinq comédies, deux seulement ont fait quelque bruit, par des causes contraires : le Bout de l'an de l'Amour, par les critiques, en général très-justes, qui lui ont été adressées, la Maison sans enfants, par les éloges excessifs dont elle a été l'objet.

Dans la causerie à deux de M. Théodore Barrière, je ne retrouve rien qui rappelle l'heureux auteur des Faux Bonshommes. C'est une sorte de proverbe, sans rôle de femme,

1. Voy. t. V de l'Année littéraire, p. 211-217.

quoique le genre ait la grâce ou même la prétention féminine pour élément ordinaire. Deux anciens zouaves, de retour de la campagne d'Italie, attendent dans un cabinet particulier de Café Anglais, devant une table somptueusement dressée, les deux femmes qu'ils avaient pour maîtresses avant leur départ. Ces dames ne viennent pas et font bien; car, en les attendant, on devise sur leur compte et, à l'analyse du souvenir, le charme s'envole. Le bout de l'an de l'amour, comme tous les autres bouts de l'an, finit par médire du défunt. Alors un médaillon que l'un des zouaves porte au milieu de ses breloques, fait comprendre à l'autre que son ami a une sœur capable de lui donner dans le sanctuaire de la famille un bonheur qu'on ne peut demander à des amours de passage.

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Toute la suite de ce dialogue est invraisemblable à plaisir. Le style et les idées sont d'une égale fadeur, rien n'y manque de ce qui est ordinairement applaudi dans nos théâtres, quand ils sont en veine de sensiblerie et de moralité. Ici, c'est l'éloge du chauvinisme à l'adresse d'un pays où tout le monde est chauvin, en s'efforçant de s'en défendre. Là, c'est la glorification de la famille avec ses joies pures et ses saints devoirs dans un lieu dont les échos ne sont pas habitués à répéter un tel langage. Le revirement qui s'opère dans les idées du plus jeune des commensaux, sur le théâtre même d'une partie de débauche, est trop prompt, et le dénoûment de ce projet d'orgie trop brusquement moral. L'utilité de la leçon ne sort que de la vérité des peintures, et dans ces tableaux à l'eau de rose le moraliste et le coloriste échouent également.

Je ferai la même remarque, quoique avec plus de défiance de mon sentiment, à propos de la Maison sans enfants de M. Dumanoir. Il y avait là, sous la main de l'auteur ou à côté de sa main, une grande idée que je ne me chargerais pas, pour ma part, de mettre en drape,

mais qui est bien faite pour tenter les dramaturges de profession. Le malheur de n'avoir point d'enfant, dans une société où la famille, si sainte et si poétique qu'on la fasse au théâtre, est arrivée à avoir peur des enfants, ses charges et ses joies naturelles, c'était un beau thème à développer, un beau sujet de leçons et d'effets dramatiques. Désolation de la famille sans enfants, bonheur apporté par l'enfant dans la famille, voilà le contraste que M. Dumanoir a voulu développer, mais en passant à côté des questions morales et des émotions profondes que ce contraste enfermait. Il aurait fallu nous faire voir que la part des unions trop fécondes vaut mieux, même dans un siècle égoïste et avide de jouissances, que la part des mariages stériles. Il aurait fallu donner raison au vieux proverbe qui fait bénir de Dieu les grandes familles. On pouvait, du moins, montrer en regard des charges imposées par le nombre des enfants ce que l'absence d'enfants peut entraîner de dangers et de souffrances. On pouvait faire naître du désœuvrement de la femme qui n'est point mère des maux de toute sorte l'ennui, la satiété, la fatigue réciproque, au sein de cette solitude à deux que l'égoïsme de l'amour ne suffit pas à remplir. On pouvait rendre enfin la lutte de l'homme contre des devoirs accablants plus enviable, dans le sein de la famille, que l'absence des devoirs paternels.

Ce ne sont pas là les tableaux auxquels l'auteur de la Maison sans enfants, plus désireux de plaire à son public que de l'instruire, a demandé l'intérêt dramatique. Il a mis seulement en opposition la tristesse de n'avoir pas d'enfants avec les joies naïves et charmantes que donne à de jeunes époux le simple espoir de voir naître un jour un premier fruit de leur amour. Il nous présente deux sœurs dont l'aînée, après quatre ans de ménage, n'a pas encore de berceau à son foyer; sa douleur, qu'elle cache, est profonde; les plaisirs bruyants où elle s'est jetée n'ont

point étourdi ses regrets, et elle cherche une consolation plus sûre dans des œuvres de charité maternelle. La joie de la sœur cadette qui éprouve, au bout de quelques mois de mariage, les premiers symptômes de la maternité, est toute puérile, et, quand la sœur aînée s'associe aux espérances du bonheur que la plus jeune lui confie, les deux femmes ont l'air de petites pensionnaires qui jouent à la maman et à qui les enfants sont nécessaires pour remplacer les poupées. L'auteur a eu, en outre, la mauvaise idée de rendre ces premières joies de la famille naissante risibles et grotesques. Le mari de la jeune femme future mère de famille est une espèce de bouffon qui fait rire, sans cesse ni raison, de ses espérances et de ses rêves paternels. Son rôle est, on ne sait pourquoi, tout en charge, comme si l'auteur avait voulu, en prenant le contre-pied de sa propre pensée, consoler ceux qui n'ont pas d'enfants, en montrant combien on peut être ridicule rien que par l'espérance d'en avoir. L'intrigue dramatique se développe à côté de l'idée principale qui devrait s'y mêler intimement. Le mari de la femme privée d'enfants a eu jadis, d'un amour passager, une petite fille qu'il fait élever en secret et auprès de laquelle il goûte clandestinement les douceurs paternelles que son union légitime lui refuse. La femme découvre son secret, et, après un premier moment de jalousie bien naturelle, elle amène la fille de son mari à son foyer et lui sert de mère.

La pièce de M. Dumanoir réussit surtout par les détails que font valoir deux acteurs aimés du public du Gymnase, M. Lafontaine et Mme Victoria, à la veille de quitter ce théâtre pour passer à la Comédie-Française. J'y trouve, pour ma part, une scène particulièrement touchante; c'est celle où la petite fille qui ne connaît point sa mère et attend chaque jour sa venue, se jette dans les bras de la femme de son père naturel, en l'appelant « maman. » Hors de cette scène, qui est d'un effet rapide et sûr, je vois dans

toute la pièce plus de sensiblerie que de sentiment, plus d'artifices larmoyants que d'émotions véritables, et en remarquant combien le malheur des personnages qui n'ont pas d'enfants et le bonheur de ceux qui espèrent en avoir sont superficiels, je me dis que ni les pleurs ni le rire ne sont suffisamment justifiés. L'Ecole des agneaux, dont la reprise accompagnait au théâtre du Gymnase la représentation de la Maison sans enfants, prouve que M. Dumanoir est homme à prendre sa revanche par de plus légitimes succès.

Avant de rencontrer encore une fois de ces œuvres populaires, qui depuis tant d'années ne manquent pas à sa bonne fortune, le Gymnase fait passer sous nos yeux deux pièces agréables et honnêtes qui méritent d'êtré signalées : ce sont Nos alliées (20 mai) de M. Pol Moreau et le Train de minuit (15 juin) de M. H. Meilhac et L. Halévy. Toutes deux nous offrent ces aimables combinaisons qui conduisent de jeunes héros auxquels on s'intéresse au double port du mariage et du bonheur. Par leurs imbroglios et leur dénoûment, qui rappellent la première manière de Scribe, elles sont dignes toutes deux du répertoire du théâtre de Madame et en font revivre les traditions devant un public accoutumé à des complications plus savantes et à un déploiement d'effets de scène plus ambitieux.

Les trois actes de Nos alliées ne renferment aucune situation nouvelle et sont bien faciles à analyser. Un jeune officier, aussi timide auprès des dames que brave devant l'ennemi, aspire au cœur et à la main d'une jeune fille qu'il ne sait comment conquérir et que lui dispute un rival plus audacieux. Il prend pour alliée une jeune veuve, très-aimable, mais qu'il ne songe pas à aimer et qui, partant, ne lui inspire pas d'effroi. Celle-ci le sert de son mieux et lui assure une victoire inespérée sur son rival. Mais, au dernier moment, le jeune homme s'aperçoit que

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