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S'il ne parvient d'emblée à se donner le change,
S'il a des démêlés avec ses souvenirs,

C'est son affaire, qu'il s'arrange!

Ce dernier trait donne bien le ton général, surtout celui des Contes. Ils sont assez vivement menés, malgré l'abus des interruptions qu'on a l'habitude de jeter dans ces genres de récits, pour faire place aux réflexions plus ou moins piquantes de l'auteur. Il faut, du moins, qu'elles soient courtes, comme celle-ci :

Or, ce jour-là notre jeune et beau sire
Précisément avait fort bien dîné.

-Un roil je crois que cela va sans dire.

Certaines suspensions, comme la suivante, sont un peu longues:

Mais au logis un mauvais son de cloche
Ceci rendit. Il n'est point de moitié,
Fût-elle un ange, à qui pareille absence
N'eût donné prise à gronder d'importance.
Femme à huis clos est-elle sans pitié?
Je ne dis pas; lorsque l'amour s'en mêle,
Après l'orage on revoit le beau temps.
Mais dans l'abord une rude querelle
Reçut le prince et lui montra les dents.

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Les maîtres du genre, la Fontaine, Voltaire, Gresset lui-même vont plus vite au but, c'est-à-dire au fait. Il n'est pas essentiel au récit badin de s'arrêter si longtemps à batifoler en route. Les deux principaux des Contes de L. Ackermann sont Savitri et Sakountala, tirés du sanscrit, nous dit l'auteur, mais assez bien transformés de légendes orientales en apologues à la française.

Hors de ce genre un peu gaulois, où l'imitation a nécessairement plus de place que l'originalité, l'auteur des Contes et poésies rencontre quelques accents sérieux, tristes même, et plus personnels. Les Adieux à la poésie, In me

moriam, la Lampe d'Hèro, ont des beautés d'un ordre plus élevé. La dernière pièce surtout tourne une vieille légende en un poétique symbole de la puissance tutélaire de l'amour.

Tant que du haut sommet de la tour solitaire
Brille le signe aimé sur l'abîme en fureur,
Il ne sentira point, le nageur téméraire,
Défaillir son bras ni son cœur.

Le pâle et doux rayon tremble encor dans la brume.
Le vent l'assaille en vain, vainement les flots sourds
La dérobent parfois sous un voile d'écume,

La clarté reparait toujours.

Et nous, les yeux levés vers la lueur lointaine,
Nous fendons, pleins d'espoir, les vagues en courroux;
Au bord du gouffre ouvert la lumière incertaine
Semble d'en haut veiller sur nous.

O phare de l'amour qui, dans la nuit profonde,
Nous guides à travers les écueils d'ici-bas,
Toi que nous voyons luire entre le ciel et l'onde,
Lampe d'Héro, ne t'éteins pas!

Nous voilà loin, avec ce beau mouvement, du genre badin et érotique. C'est le cas de dire de la poésie et de la variété qu'elle admet, ce que le poëte dit de lui-même et de son inconstance :

J'aime à changer de lieu, de climat, de lumière.
Oiseau d'une saison, je fuis avec l'été,

Et mon vol inconstant va du rivage austère
Au rivage enchanté.

Il serait donc difficile de caractériser d'un seul mot l'auteur des Contes et poésies, puisque, de cette chose mobile qu'on appelle le sentiment poétique, il a, d'ordinaire, la légèreté et quelquefois la profondeur.

Parmi les femmes poëtes, la Normandie ne me pardonnerait pas d'omettre ici le nom d'une de ses muses, que j'ai eu déjà le malheur d'oublier dans le Dictionnaire des Contemporains. Le Moniteur du Calvados, par la plume d'un des hommes les plus distingués de Caen, M. Charma, me signale cette omission comme une très-regrettable lacune de ce livre d'or de la noblesse intellectuelle. » Pour réparer mes torts involontaires, je dirai que Mme la baronne de Montaran, dont le dernier recueil de poésies est intitulé Passiflores, est auteur d'une dizaine d'ouvrages au moins, livres d'impressions de voyage, romans ou nouvelles, études biographiques et volumes divers.

Comme poëte, à en juger par ses Passiflores, elle a le sentiment de l'harmonie, si familier, depuis environ quarante ans, aux oreilles françaises. Elle s'émeut à la vue des grandes scènes de la nature, les montagnes, les mers, un lever ou un coucher du soleil; elle sait reporter ses regards sur l'homme et sur les problèmes de son origine et de sa destinée. Ce sont bien là des sources d'inspiration poétique. Mais la forme répond-elle aux sentiments et aux idées? ou les uns et les autres, trahis par le style, restentils à l'état de simples intentions? Quelques vers permettront au lecteur de prononcer.

Ah! la voilà la mer! la voilà l'immortelle ?
Reine esclave, immobile en sa mobilité;
Infatigable voix, solitude éternelle,

Visible immensité !

Quand l'écume blanchit et s'amasse à la cime
Des flots tumultueux, ces grands coursiers des mers,
On les voit s'élancer dressant hors de l'abîme
Leurs crêtes dans les airs.

Mais voici du soleil la fournaise allumée;
Bientôt l'astre des nuits va prendre son essor:

1. Didier et Cie, in-18, vш-352 p.

Roi du ciel descendu sur ta couche enflammée,
Étends tes ailes d'or!

Quatre-vingts pièces environ composent le volume des Passiflores, dont le titre même doit annoncer la diversité par allusion à la multitude des variétés de ces fleurs. Un très-grand nombre ont des titres de romances et sont remplies des choses trop gracieuses et un peu banales que ce genre appelle. Quelques vers ressemblent à des réminiscences.

Partons enfants, la mer est belle

Montons gaiement notre nacelle,

ont déjà servi de refrain à mainte barcarole.

Aimer, chanter, voilà toute ta vie,

est, à un mot près, un des vers les plus connus de Lamartine. Quelquefois l'auteur passe à côté d'une idée nouvelle et qui pouvait être féconde, comme dans le Cimetière et le Chemin de fer. Je serais tenté de croire que le genre qui conviendrait le mieux à Mme de Montaran est celui qu'elle traite le moins souvent, le genre badin.

Je trouve, en feuilletant mes souvenirs divers,
Que du grand Dumouriez je suis un peu cousine;
En prose on le dirait tout aussi bien qu'en vers,
Mais j'aime à me servir de la langue divine.

Ce début de la pièce intitulée Pourquoi je suis au monde rappelle assez bien le ton des Contes de Mme L. Ackermann. Est-ce que par hasard la poésie élégiaque, de nos jours, chez les femmes comme chez les hommes, ne serait que factice, et sommes-nous à la veille de voir reparaître, derrière les tristesses lyriques de la dernière mode, la gaieté vive et frondeuse du naturel français ?

5

Nos anciennes connaissances. Publications prématurées; continuation de débuts. MM. N. Martin, de Montvaillant, A. Renaud, L. Valery.

M. N. Martin, l'auteur du Presbytère, de Mariska, et dont le nom est déjà venu plusieurs fois s'offrir à nos éloges, a ajouté à ses œuvres poétiques quelques pages de plus, sous ce double titre : Julien l'apostat. Poésies nouvelles'. Les pièces principales de ce recueil sont celles consacrées au dernier empereur païen. Ce sont de simples fragments d'un grand poëme que l'auteur avait rêvé. M. N. Martin ne croit-il pas le moment favorable à un ouvrage historique et philosophique et a-t-il renoncé à l'achever? ou bien a-t-il voulu faire connaître par avance quelques parties d'un monument qu'il élève et prendre possession publiquement d'un titre et d'un sujet? Toujours. est-il que ces morceaux détachés, épîtres, scènes et dialogues, tout en montrant quelques-unes des qualités connues de l'auteur, ne dessinent point son œuvre. On en voit tout au plus l'esprit. Le poëte s'efforce de comprendre Julien dans son caractère et dans sa vie, sans s'associer aux déclamations et aux haines dont il a été l'objet. Il lui reproche seulement de s'être acharné à restaurer un passé qui s'écroulait, sans comprendre, dans le présent, les nouveaux besoins de l'humanité et le progrès moral dont le christianisme devait être la formule, au moins pour quelques siècles, dans l'avenir :

Ton malheur cependant fut d'avoir méconnu
Le Dieu révélateur qui nous était venu.
Tournant vers le passé ta face, quand l'aurore
D'un plus juste avenir, semblait, plus vive, éclore,

1. Jules Tardieu, in-18, 156 pages.

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