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trer dans le monde ou qu'elles en soient repoussées, elles le haïssent également, furieuses de ne pouvoir s'y faire admettre ou de ne savoir pas s'y tenir. Sorties par l'intrigue de leur fange, elles y sont fatalement ramenées, et, pour rappeler un mot qui résume bien toute la pièce, elles ont la nostalgie de la boue. »

«

Les détails où cette donnée se développe, dans le Mariage d'Olympe, sont d'une grande vérité et contribuent à l'effet vigoureux de l'ensemble. Le drame est rempli de mots et de traits à l'emporte-pièce. La plupart des scènes laissent une impression profonde mais pénible: telle est celle où la courtisane devient l'objet de l'amitié et des caresses d'une pure et naïve jeune fille, la bonne Geneviève. Ce spectacle fait mal, comme celui du contact impur d'une bête immonde et méchante avec un être aimable et gracieux. Quand on voit que le malheur et le déshonneur de cet ange vont devenir l'instrument des honteux desseins de cette créature dépravée, on comprend que le marquis la tue d'un coup de pistolet comme un chien enragé. On accepte le dernier mot qui tombe de sa noble bouche: << Dieu nous jugera, » et, quoi que la loi humaine puisse dire, dans ces affreuses conjonctures, la conscience absout l'homme qui n'a pas d'autre moyen pour défendre son honneur que celui auquel on est excusable de recourir pour défendre sa vie.

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Ce coup de pistolet est la seule morale que les pareilles d'Olympe puissent comprendre. M. Emile Augier s'entend à manier ces sortes de leçons. Dans l'Aventurière, le fils de la maison lève la main sur l'impudente courtisane, qui vient arracher le père à ses enfants jusque dans son foyer, et cette femme qu'aucun sentiment ne pouvait toucher, est du moins accessible au sentiment de la peur. Encore une fois, il est fâcheux que le théâtre s'occupe de ces sortes de créatures, même pour leur donner de telles leçons, et, après avoir admiré tout le savoir-faire déployé

par des hommes comme MM. Émile Augier ou Alexandre Dumas fils, dans de semblables peintures, on déplore que ce soient depuis dix ans, à peu près les seules qui aient exercé et exercent encore nos talents dramatiques les plus vigoureux.

C'est aussi avec une reprise que le Vaudeville a inauguré la saison d'hiver. Malheureux avec les auteurs vivants, il s'est adressé à un illustre mort et a monté avec beaucoup de soin une grande comédie en cinq actes, de H. de Balzac, les Ressources de Quinola (12 octobre)'. On sait que cette pièce avait été signalée à l'Odéon, il y a vingt ans, par une chute outrageuse. Elle ne méritait pas alors d'être ainsi écrasée sous les sifflets; elle ne valait peutêtre pas aujourd'hui les honneurs d'une exhumation aussi pompeuse. La première représentation de cette reprise a été l'occasion d'une sorte d'apothéose pour l'auteur; son buste a été couronné sur la scène, et toute la critique s'est accordée à venger le génie dramatique du grand romancier des injustices des contemporains. On a, dans ce dessein pieux, surfait volontiers la dernière œuvre qui servait de prétexte à cet hommage, et le public ne parut pas ratifier par un extrême empressement des jugements un peu trop favorables.

Singulière destinée des hommes et de leurs œuvres ! Quand Balzac donnait autrefois un roman accueilli par la presse avec quelque froideur, on l'engageait à écrire pour le théâtre; quand il faisait jouer une pièce qui tombait, on le renvoyait au roman. Depuis sa mort toute l'œuvre de ses romans est devenue l'objet d'une faveur croissante; on a placé l'auteur de la Comédie humaine dans une sphère à part, au-dessus de tous les romanciers, sur un

1. Acteurs principaux: Quinola, MM. Félix; Don Ramon, Parade; Fontanarez, Laroche; - Faustine, Mmes Jeanne Essler; Marie, Béatrix; la Marquise, Brindeau.

piédestal, presque sur un autel. On n'est plus reçu, en parlant de lui, qu'à varier les formules de l'admiration; il est presque téméraire de le discuter. Pour son théâtre les jugements n'ont pas suivi, avec la même régularité, la même progression. On l'a regardé longtemps comme de beaucoup inférieur à ses romans, et dans un ouvrage de biographie universelle où les morts récents ont une assez grande place, je lis cet arrêt sévère : « Il a donné au théâtre plusieurs comédies fort immorales et aujourd'hui presque oubliées, où l'on retrouve quelques-unes de ses qualités et tous ses défauts. »

Les Ressources de Quinola ne justifient pas cette rigueur d'appréciation. L'immoralité, s'il y en a, n'est pas systématique et n'est pas plus choquante que dans les trois quarts au moins des pièces de théâtre qui n'ont pas l'édification pour but. D'autre part, l'originalité des caractères, la force des situations, la verve du langage mettent cette œuvre de Balzac bien au-dessus d'une foule d'autres du même temps qui ne sont pas encore entièrement tombées dans l'oubli.

Le sujet des Ressources de Quinola, c'est la glorification du génie de l'invention qui a été donné à quelques hommes d'élite pour le bonheur de leurs semblables peut-être et pour leur propre malheur.

On les persécute, on les tue,
Sauf, après un lent examen,
A leur dresser une statue

Pour la gloire du genre humain.

L'invention dont il s'agit n'est rien moins que celle de la vapeur et de son application aux vaisseaux. Balzac l'attribue à un certain Fontanarez qui vivait sous le règne de Philippe II. La société et la cour espagnole de ce temps, l'inquisition et les cachots du Saint-Office, la destruction récente de l'invincible Armada, les souvenirs de Colomb

et de la découverte du nouveau monde, voilà le fond sur lequel se détachent les personnages mis en scène. Le plus original n'est pas l'inventeur, mais son valet, homme de sac et de corde, condamné aux galères une fois sans l'avoir mérité, mais ayant mérité dix autres fois de l'ètre; véritable Scapin pour l'esprit de ressources et sa promptitude à se tirer d'embarras aux dépens de la bourse d'autrui. On aurait pu intituler la pièce « les fourberies de Quinola, » si son audace n'allait pas souvent plus loin que la fourberie, et si son habileté de coquin n'était relevée par quelque chose d'assez noble, le dévouement au savant son maître et par l'instinct de la grandeur de la science. Peut-être trouvera-t-on qu'il descend bien bas, comme valet fripon, pour monter quelquefois bien haut par l'affection désintéressée et l'intelligence. Il peut y avoir de ces contrastes dans les fortes natures, et il est positif que Balzac fait de ce composé original quelque chose de trèsvivant.

Il y a aussi dans le personnage de l'inventeur deux éléments différents, mais qui s'associent moins bien : il a le génie de la recherche et il est amoureux. Or, son amour revient si souvent sur le premier plan que son caractère d'inventeur fléchit, s'efface à plusieurs reprises. Lassé des efforts et des sacrifices, irrité de l'esprit de routine et dégoûté de l'égoïsme des hommes, il abandonnerait son œuvre, il rendrait son secret au hasard ou à Dieu; mais il aime une jeune fille riche que sa famille n'accordera jamais à un savant pauvre, et il veut tirer de sa découverte gloire et fortune pour se rapprocher de sa bien-aimée. La fortune. passe avant la gloire, dans son ambition, puisque ce sont les écus qui doivent combler la distance. Avec cette préoccupation constante de l'argent, qu'un des pères de l'Inquisition lui reproche, on ne comprend plus les élans d'enthousiasme auxquels, en sa qualité d'inventeur, il se livre encore de temps en temps. Sa principale foi est

l'amour; foi intolérante, dont le dieu ne permet guère d'en adorer un autre avec lui.

Soutenu par Quinola, Fontanarez sert de son mieux ses deux maîtres, et poursuit, à travers mille difficultés, la réalisation de cette machine motrice qui, en l'enrichissant, assurera son bonheur. Les obstacles lui viennent de toutes parts: ils lui viennent des hommes et des femmes; de la haine et de l'amour; de la jalousie et de l'ignorance; de la fausse science, la science officielle, et de la sottise. Il se ruine, il s'endette; il joue sa tête, grâce aux conditions que le roi lui a faites, et il va perdre son enjeu. Sa machine enfin construite est mise en vente à l'encan, pièces par pièces, et dispersée. Mais son valet en a fait faire à son insu une seconde, qui lui sauvera la vie et l'honneur.

L'action, que je simplifie et abrége, est chargée d'incidents et d'épisodes. Une foule de personnages de tous rangs, de tous caractères, depuis le courtisan jusqu'à l'ouvrier, depuis la favorite du roi jusqu'à la jeune fille pure et dévouée, se rencontrent et entrent en lutte, poussés par les passions et surtout par les intérêts contraires de l'humanité. C'est une suite de grandes pages d'observation mises en drame, et où le tragique et le bouffon se coudoient. On sent la force d'un esprit qui a besoin d'espace et qui se donne carrière en brisant le cadre du genre où il se proposait de s'enfermer.

Parmi les autres reprises du Vaudeville, il est superflu de mentionner les Faux Bonhommes, que le souvenir des anciens succès ramène périodiquement sur ce théâtre; mais je ne dois pas oublier la Chercheuse d'esprit, comédie en un acte de Favart (2 juin). Rien de plus simple, de plus frais, et de plus gracieux, sous un air un peu vieillot, que cette comédie, ce vaudeville, si l'on veut, ou, mieux encore, cette opérette; rien qui contraste davantage avec les grandes

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