Tu marchas au rebours du progrès, et ta main Et bien que noblement ton cœur ait combattu, On pourrait citer, à côté de ce jugement, le tableau de la mort de Julien qui rappelle, quoiqu'à distance, celui de la Mort de Socrate par M. de Lamartine : Sans râle et sans effort, Il mourut. Avec lui l'ancien monde était mort. Parmi les autres poésies du recueil on remarque cinq suites d'une Gazette en vers, qui indique, chez M. N. Martin, avec une grande facilité de rimes, une connaissance familière des grands hommes ou des petites choses du jour. Tous les noms un peu connus de la littérature contemporaine viennent d'eux-mêmes se placer dans ces rimes, la plupart avec à-propos : Si je descends de ces hauteurs D'où jaillit son flot sur le sol, D'où sortit aussi M. Taine Pour nous commenter la Fontaine. C'est avec la même désinvolture que le gazetier poëte prend et laisse, en passant, et Lamartine, et de Vigny, et et Aug. Barbier, et Sainte-Beuve, Qui refera toujours peau neuve.... et V. Hugo, et Alfred de Musset, et Brizeux, et Arsène Houssaye, et Th. de Banville, et Le poëte-sculpteur Gautier, et P. de Saint-Victor, et le marquis de Belloy Et ce gros poëte latin De la décadence, Janin, Moins gros pourtant encor que fin, et jusqu'à ... Ce gourmand de Monselet, Qui fait si bien un verselet Et prend encor mieux un sorbet. Puis, craignant de tourner au répertoire, M. N. Martin renvoie les omis ou les oubliés au Dictionnaire des Contemporains, avec leur billet de logement pour la postérité. - Mais trop parler littérature A maints lecteurs fort alarmés : Vous tous que je n'ai pas nommés! Couchés dans sa nomenclature. Il y a, dans ces vers légers et faciles, plus d'esprit et de verve que tout le poëme de Julien l'Apostal ne nous promet de véritable poésie; ils faut pardonner à l'auteur de choses si diverses et si mêlées, sa trop grande hâte d'en faire un volume. M. Alfred de Montvaillant qui avait débuté par un gros volume de pièces fugitives, Feuilles aux vents, dont nous nous sommes assez longuement occupé1, annonçait dès lors trois autres volumes de vers. Multipliant ses promesses à mesure qu'il en tient une partie, il donne aujourd'hui un nouveau recueil et en promet quatre pour un prochain avenir. Celui de cette année s'intitule: Rêves poétiques et il sera suivi immédiatement d'un volume de Nouveaux rêves poétiques, déjà sous presse. C'est beaucoup de rêves et, malheureusement, peu de poésie. M. de Montvaillant dont j'ai assez fait connaître une première fois, par des exemples, les mollesses de style, ne manque pas d'intentions poétiques, mais les effets n'y répondent pas. Il prend volontiers tous les tons, depuis le plus noble jusqu'au plus familier, mais il n'en soutient aucun par l'éclat, la verve ou la grâce qui peut convenir à tel ou tel sujet et que parfois le début de la pièce faisait espérer. Je soupçonne M. de Montvaillant d'écrire ses vers avec une merveilleuse facilité. Si l'inspiration peut être spontanée, et la conception d'un sujet, rapide, l'exécution, je ne dis pas parfaite, mais seulement convenable, réclame une patience de travail et un art de faire difficilement des vers faciles, que M. de Montvaillant paraît ignorer. Un autre débutant de ces années dernières, M. Armand Renaud, avait, comme versificateur, dans ses Poemes de l'Amour et comme prosateur, dans la Griffe rose*, témoigné 1. Voy. t. III de l'Année littéraire, p. 45-47. 2. Dentu, in-18, 372 pages. 3. Voy. t. III de l'Année littéraire, p. 52-53 4. Voy. t. V de l'Année littéraire, p. 115-116. 1 d'un certain talent auquel la critique avait fait bon accueil. Je doute qu'il trouve pour ses nouveaux essais poétiques la même indulgence. Ses Caprices de boudoir sont le fruit de je ne sais quelle inspiration mauvaise qu'aucun mérite ne rachète. Dans ce petit volume, dont la couverture étale ses lettres d'or sur un fond gris-perle, une mauvaise gravure aux intentions douteuses répond aux provocations du titre. Une incroyable préface dédie le livre à Vénus, dans une langue qui flotte entre l'emphase et le calembour. Vénus, suivant un camarade que l'on appelle « notre grand mystique,» veut dire : Venez. Qu'elle vienne donc prendre ce livre dans ses mains, pour lui donner son parfum, et y jeter les yeux pour lui donner son rayon. » Elle aura fort à faire, car en fait de parfums, de tels livres ont une odeur nauséabonde; aucun rayon n'y brille, pas même celui de la volupté; et celui du talent, s'il existe, s'y éteint. Rien de nouveau, rien de piquant, rien de poétique dans ces Caprices de boudoir, rien qui puisse retenir, sur une page, sur une strophe, le malheureux lecteur que le titre et le frontispice auront pris au piége. Si M. Renaud a voulu faire ce qu'on appelle un mauvais livre, il a plus. réussi qu'il ne pensait. M. Léon Valery, l'auteur des Heures intimes, élève aujourd'hui davantage la voix. Le roman en vers qu'il appelle Les Expiations, est la peinture indignée d'une des plaies morales et physiques de la civilisation dans les villes, la prostitution. Il retrace l'histoire complète d'une de ses victimes, depuis la misère qui favorise la séduction jusqu'aux maladies honteuses et à la mort sinistre qui l'expie. Les titres de chapitre indiquent des épisodes un peu risqués, comme le Bal Musard, la Morgue, le Docteur 1. Sartorius, in-18, gr. jésus, VIII-92 pages. 2. Dentu, in-18, 260 pages. " Ricord. Quelques points scabreux sont touchés avec une certaine audace que la langue ne trahit pas toujours. Des Heures intimes aux Expiations il y a progrès, sous le rapport de la forme poétique et de la personnalité. Le choix du sujet étonne de la part d'un disciple de la poésie recueillie. L'auteur nous dit, dans une préface, qu'on l'a déjà blåmé de chercher ses inspirations dans un milieu équivoque où l'on est plus surpris qu'heureux de le rencontrer. Il proteste au nom de sa dignité et de sa conscience auxquelles il n'a imposé aucun sacrifice. Sa muse est restée honnête et pure dans les mauvais lieux où il l'a conduite, elle n'en a rapporté que des leçons sévères pour l'inexpérience et des menaces contre le vice. La préoccupation des sentiments honnêtes a peut-être même poussé l'auteur, soit dans son livre soit dans ses notes, à un autre écueil la déclamation. : 6 La poésie satirique dans deux camps opposés. MM. Pailleron Rencontrant peu de bons vers dans les volumes de l'année, je suis revenu sur quelques recueils de poésie des années précédentes dont on m'avait signalé l'omission. Le principal est celui que M. Edouard Pailleron a intitulé les Parasites1. Un accueil très-favorable a été fait, dans presque toute la presse, à ce livre d'un poëte dont nous avons signalé avec éloge l'avénement au théâtre2. Nous aurions été heureux de trouver nous-même dans cette lecture une occasion de louer sans réserve un talent 1. Michel Lévy frères. in-18, (1861), 280 pages. 2. Voy. t. III de l'Année littéraire, p. 103 et t. V, p. 165-167. Voy. aussi ci-dessous, Théâtre, § 2. |