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belle saison, dans des lieux de promenade de Paris ou dans des villes d'eaux de l'étranger: ces représentations et quelques-unes des théâtres de société, deviennent parfois l'événement du jour, le caprice de la mode, dans le monde fashionable. Quand les œuvres et les auteurs qui reçoivent ce brillant baptême ont quelque vitalité, on peut espérer de les retrouver un jour devant le vrai public, et c'est là que nous les attendons.

On ne nous saura pas mauvais gré de compléter ce tableau du mouvement dramatique à Paris, en énumérant en quelques lignes les livrets des drames lyriques nouveaux produits sur les scènes musicales françaises. Ces scènes se réduisent pour le moment à trois : l'Opéra, l'OpéraComique et le Théâtre-Lyrique. L'Opéra n'est pas riche en nouveautés; je n'y trouve que la Mule de Pedro, opéra en deux actes, de M. Dumanoir, musique de M. Victor Massé (6 mars). La reprise de la Muette, entièrement remontée à neuf (19 janvier), sinon le ballet, pantomime en un acte, de Diavolina, de M. Saint-Léon, musique de M. Pugni (6 juillet), a sans doute tenu lieu de la seconde des deux nouveautés au moins que l'Académie de musique se fait une loi de mettre à la scène.

A l'Opéra-Comique, nous voyons se produire, l'Illustre Gaspard (11 février), en un acte, de MM. Duvert et Lausanne, musique de M. E. Prévost; la Déesse et le Berger, en deux actes, de M. Dulocle, musique de M. Duprato (21 février); Bataille d'amour, en trois actes, de MM. Victorien Sardou et Karl Daclin, musique de M. Vaucorbeil (13 avril); les Bourguignonnes, en un acte, de M. H. Meilhac, musique de M. Deffès (16 juillet).

Le Théâtre-Lyrique a donné Ondine, opéra-comique en trois actes, de MM. Lockroy et Mestepès, musique de M. Th. Semet (7 janvier); les Peines d'amour, opéra en quatre actes, de MM. M. Carré et J. Barbier, imitation du

Così fan tutti, de Mozart (31 mars); le Jardinier et son Seigneur, en un acte, de M. Th. Barrière, musique de M. Léo Delibes (1er mai); les Pêcheurs de Perles, opéracomique, en trois actes, de MM. Cormon et Michel Carré, musique de M. G. Bizet; les Troyens, opéra en cinq actes, poëme et musique de M. H. Berlioz (1er novembre); enfin Rigoletto, traduction française de la traduction italienne du Roi s'amuse, de M. Victor Hugo, par M. Dupuis, musique du maestro Verdi.

L'histoire dramatique n'a rien à recueillir sur nos divers théâtres de province. Ils se condamnent toujours à la même stérilité d'invention littéraire. Une seule pièce nouvelle fait du bruit hors des théâtres de Paris, c'est au chef-lieu de la Gironde, une pièce-revue, les Vins de Bordeaux, de M. Gabriel Hugelmann (8 septembre)'. Mais quel bruit! On dit que Paris n'a rien vu qui puisse donner l'idée d'une chute aussi violente. Sifflets assourdissants, hurlements, miaulements, tumulte et vacarme dans la salle, manifestations nocturnes dans la rue et jusqu'au domicile de l'auteur, rien n'a manqué à la première et unique représentation de cette œuvre du cru. Est-ce l'imperfection de la pièce, est-ce l'impopularité faite à M. Hugelmann, comme journaliste, qui a excité cet orage? Toujours est-il qu'un tel accueil n'est pas fait pour engager les auteurs dramatiques de province à affronter sur la scène le jugement de leurs compatriotes.

1. Voir la Revue et Gazette des Théâtres du 13 et du 17 septembre.

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Conclusion. De la décadence du théâtre, et à qui on doit l'attribuer. Le public; le régime du privilège et celui de la liberté; les auteurs et la critique.

Si nous jetons un regard sur cette carrière, en définitive si remplie, d'une seule année dramatique, nous verrons que les principaux succès ont été obtenus par des pièces formant entre elles d'étranges contrastes. Le public se laisse attirer volontiers dans toutes les directions; il va où l'appelle tantôt le talent, tantôt le scandale, quelquefois le charlatanisme, plus souvent le simple attrait de la curiosité. Près de dix pièces, en 1863, ont atteint le nombre de cent représentations, ou s'en sont approchées ou l'ont dépassé même. Au Théâtre-Français, le Fils de Giboyer a ajouté quatre-vingt-douze représentations aux vingt et quelques de l'année précédente. A l'Odéon, la traduction de Macbeth en a obtenu quatre-vingt-neuf. Au Gymnase, le Démon du jeu a été représenté quatre-vingtdix-neuf fois, et Montjoye, qui l'a remplacé, dépassera probablement de beaucoup la centaine. Au Vaudeville, 'Homme de rien, sans faire de bruit, est arrivé à quatrevingt-sept représentations, et l'on ne sait jusqu'où les Diables noirs peuvent aller, malgré les sévérités de la critique. Sur les théâtres de drame, une seule œuvre littéraire, l'Aïeule, promet d'être centenaire: ses soixante-seize représentations avant la fin de l'année, étaient loin d'en avoir épuisé le succès. Centenaires : les féeries le sont toutes. Les Pilules du Diable comptent cent trente-neuf représentations; Peau d'ane, cent quarante; Aladin était, à la fin de décembre, à la quatre-vingt-dixième. Sur les scènes de genre, les Diables roses, au Palais-Royal, ont été joués cent cinq fois, et la reprise du Chapeau de paille

d'Italie, aux Variétés, ne s'est arrêtée qu'à la centième représentation.

L'abaissement général que l'on reproche de toutes parts à notre art dramatique, la décadence littéraire et morale à laquelle on cherche des remèdes, ne tient donc pas essentiellement à l'indifférence du public, ni à la domination exclusive de goûts dépravés. Il suffit qu'un seul drame bien fait soutienne la lutte contre les platitudes de la féerie, qu'un vaudeville spirituel, gai et encore assez bonnête, ait autant et plus de succès, sur une scène de genre, que des exhibitions indécentes, pour qu'on ne soit pas reçu à accuser le public d'imposer à ses fournisseurs les niaiseries splendides ou les grossières bouffonneries. Dans une sphère plus haute où l'art touche aux idées, il suffit de voir le succès égal des œuvres si contraires de M. Octave Feuillet et de M. Emile Augier, pour qu'on ne puisse pas dire que le talent soit fatalement condamné à tel ou tel genre par la nécessité du succès. Il est vraiment trop commode de s'en prendre au public de la mauvaise qualité des choses qu'on lui sert.

Il l'est trop aussi d'accuser l'organisation privilégiée des théâtres, qui n'était pas bonne sans doute, mais qui n'avait pas causé, dans d'autres temps, une pareille médiocrité. On va réformer celle-ci; sans faire disparaître le privilége, on y associe désormais le principe de la liberté. J'applaudis au principe, mais sans vouloir qu'on exagère l'importance de l'application.

Grâce à la liberté des théâtres, on voit d'avance les salles de spectacle se multiplier dans les villes, des troupes nouvelles se former; tous les genres accessibles à tous, sans délimitation arbitraire; les auteurs trouvant l'écoulement plus facile d'œuvres qui n'ont pas aujourd'hui de placement; partout les avantages de la concurrence, l'abaissement du prix des places, les progrès de toute sorte stimulés par l'émulation. Il est certain que la liberté est

toujours bonne par elle-même et que ses dangers, quand elle en a, sont moins grands que ceux de la réglementation si chère aux habitudes françaises. La liberté au théâtre, ce sera le mouvement, la vie, l'effort, le besoin du mieux, toutes choses qui peuvent faire peur en politique, mais qui, dans l'art, sont des conditions essentielles du progrès.

Ne nous faisons point d'illusions cependant: la liberté qui vient d'être promulguée n'est pas la liberté du théâtre, mais des théâtres, ce qui est bien différent, c'est-à-dire de l'exploitation industrielle de l'art dramatique. La liberté du théâtre et de l'art dramatique lui-même, ce serait la suppression de la censure, que je ne vois pas même mettre en cause. Appellerait-on, par hasard, liberté de l'imprimerie et de la librairie, celle de ne publier et de ne vendre que les livres munis d'une autorisation préalable? Si la censure était en cause, il y aurait bien à dire peut-être pour sa défense; que d'arguments aussi l'on pourrait produire contre elle! Mais il n'est pas même question, pour l'instant, de comparer les deux systèmes, celui qui consiste à mettre préventivement l'art dramatique à l'abri de toute faute par l'action de la tutelle administrative, et celui qui veut attendre que des écarts se produisent, pour les punir par la loi. Mieux vaut prévenir que réprimer, est encore la maxime d'Etat de notre organisation dramatique; personne ne la conteste, et l'on nous parle de liberté!

L'ancienne constitution des théâtres privilégiés n'était donc point la cause de l'abaissement général de l'art dramatique que l'année 1863 s'est vu particulièrement reprocher, et les réformes d'exploitation industrielle qui s'accomplissent ne sont pas de nature à en relever énergiquement le niveau. Si les œuvres sont en général médiocres, les auteurs doivent s'en prendre surtout à euxmêmes. Leurs plaintes contre le temps présent et contre

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