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Voilà qui est vrai et bien dit. C'est la bonne manière. Pourquoi est-elle si rare chez M. Merlet? Il préfère à cette largeur de vue et de style les petits effets, les demi-jours, les demi-teintes. Il aime les réticences, les sous-entendus. Il me semble le voir, dans un cercle d'auditeurs suspendus à ses lèvres et à ses regards, achevant une pensée incomplète par un geste, par un signe d'intelligence, le plus souvent par un sourire; désirant qu'on aille au delà de ses demi-mots et le craignant tout ensemble. Toutes ces façons peuvent ajouter du charme à la conversation; elles fatiguent dans le livre. Mais arrêtons-nous; car M. Merlet est de ceux dont il a dit lui-même : C'est parfois comprendre mal que de prouver qu'on a trop compris. »

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Le passé et le présent du romantisme. Un historiographe
de M. V. Hugo et M. Vacquerie.

Il a paru cette année, entourés d'une éclatante publicité, deux livres d'une importance inégale qui intéressent l'histoire du romantisme: Ce sont les Miettes de l'histoire, de M. Vacquerie, et Victor Hugo, raconté par un témoin de sa vie. L'un nous montre ce que le romantisme est devenu de nos jours, et nous fait juger de son épuisement et de sa mort par ses efforts mêmes pour se donner une apparence de vie; l'autre nous le retrace dans ses belles époques, au milieu des jeux de son enfance, des ardeurs fougueuses de sa jeunesse, de l'activité féconde de son âge mûr. Le livre de M. Vacquerie mérite de nous arrêter comme symptôme de nos modestes transformations littéraires, comme signe du temps. L'histoire anonyme de M. Victor Hugo offre un intérêt plus réel, comme tableau d'un mouvement littéraire brillant, rattaché à son point de départ et ramené à

son centre. Nous parlerons d'abord de cette dernière, en regrettant que notre plan nous impose de nous occuper plus longuement du présent que du passé, du romantisme agonisant sous nos yeux que du romantisme s'épanouissant au milieu de la génération précédente, de M. Vacquerie, le disciple, que de M. Victor Hugo, le maître.

Nous sommes dans un temps de récits autobiographiques, de confessions, de mémoires d'outre-tombe anticipés, de confidences de la première ou de la vingtième année, d'histoires ou de romans de notre propre vie. Nous aimons à prendre d'avance nos précautions pour paraître devant la postérité sous le jour le plus favorable; nous choisissons notre pose et notre attitude pour l'éternité. Nous avons l'air de nous défier de ce que l'histoire dira de nous et nous lui dictons nous-mêmes son langage. C'est prudent, c'est habile peut-être, c'est satisfaisant. pour notre amourpropre. Ce que les Chateaubriand, les Lamartine, les Guizot, les George Sand et tant d'autres ont fait si complaisamment pour eux-mêmes, M. Victor Hugo le fait-il à son tour sous le nom d'un autre, ou a-t-il trouvé un alter ego pour le faire à sa place? Il importe peu; toujours estil que l'auteur de Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie paraît le connaître à fond. Il doit l'avoir fait poser longtemps devant lui, il doit être descendu avec lui bien avant dans sa conscience, il doit avoir reçu de ses mains des monceaux de notes, ou réveillé, dans des confidences bien intimes, tout un monde de souvenirs effacés; car le livre est précis, minutieux, complet; c'est une confession générale, moins l'humilité du pénitent. Les détails sur les premières années surtout sont si intimes et si personnels qu'ils ne peuvent émaner que de M. Victor Hugo lui-même, et font croire qu'il n'est pas resté étranger à leur rédaction. D'autres ont attribué le livre à Mme Victor Hugo, confidente naturelle du poëte, écrivant auprès de lui sous son inspiration, sinon sous sa dictée. On remarque, dans toutes

les hypothèses, que ces confidences sur M. Victor Hugo ressemblent beaucoup par le ton et le style aux célèbres préfaces de plusieurs de ses œuvres. La mise en scène est celle à laquelle lui et ses disciples nous ont habitués.

Les deux premiers volumes de cet ouvrage, qui est d'une splendide exécution typographique, sont les plus intéressants pour la littérature; ils racontent, au milieu des petits événements biographiques que la distance grossit, toutes les œuvres du poëte, depuis ses premiers essais jusqu'au développement complet de la révolution romantique. Les recueils de vers sont rattachés aux circonstances qui les ont inspirés; ses manifestes littéraires ou philosophiques ne sont plus des écrits, mais des actes; ses drames sont des événements publics. Chacun de ces derniers, depuis Cromwell jusqu'aux Burgraves, a son chapitre. Chaque chapitre est un tableau, et chaque tableau a son cadre qui appelle les yeux sur lui dans la galerie générale. La vie purement ou, pour dire plus vrai, spécialement littéraire de M. Victor Hugo, car, on l'a vu, « il avait fait de la politique dès son enfance, s'arrête avec le second volume, aux portes enfin ouvertes de l'Académie française.

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Des souvenirs intéressants sont à recueillir dans cette longue suite de confidences, et toute histoire du mouvement littéraire de la première moitié de ce siècle devra en tenir compte. On pouvait cependant attendre d'un pareil livre plus de renseignements et plus d'éléments d'appréciation. Des faits insignifiants s'y rencontrent, sous des amplifications pompeuses. Les plus petits riens des années d'enfance y sont l'objet de récits parfois gracieux, souvent solennels, et dans bien des cas inutiles. L'emphase, qui est le principal défaut des narrations, s'affiche dans les titres de chapitre. Plusieurs tiennent peu ou ne tiennent pas du tout ce qu'ils promettent. L'un d'eux est intitulé: Napoléon entrevu. Vous croyez apprendre que le poëte enfant a

vu un jour le premier Empereur et en a gardé une impression vive; point du tout. Il y est question d'une simple lettre que le colonel Hugo avait été chargé de porter à Napoléon, à la tombée de la nuit. Le colonel vit un instant à peine l'Empereur le lendemain, et put en être vu: « ce simple regard suffit pour que le colonel éprouvât le besoin de sortir du salon et fût bien aise de se sentir dehors. » Voilà le Napoléon entrevu. Un titre plus singulier est celui-ci : « Les bêtises que M. Victor Hugo faisait avant sa naissance. » De quoi s'agit-il? Des vers qu'il écrivait avant d'être grand homme. On nous en cite de nombreux échantillons, plus un mélodrame en prose, intitulé: Inez de Castro.

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Je ne dis pas que tous ces souvenirs soient absolument dénués d'intérêt, mais je les voudrais mentionnés plus simplement. M. Victor Hugo a droit sans doute à une statue, mais pourquoi l'exhausser sur un tel piédestal, et vouloir y sculpter toute son enfance en bas-relief? En dépit d'une forme ambitieuse, souverainement antipathique aux anciennes qualités de l'esprit français, Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie restera comme un des livres notables de l'année, d'abord à cause de la grande personnalité qu'il met en scène, ensuite à cause des noms éminents que les relations de la vie rapprochent du nom de M. Victor Hugo, enfin et surtout à cause de la place que ses œuvres ont prise dans notre histoire littéraire.

Les Miettes de l'histoire de M. Aug. Vacquerie n'ont pas cette importance. Toute l'ancienne école de Victor Hugo semble pourtant vouloir revivre dans ce livre qui en est plutôt le dernier soupir et le pompeux adieu. On est étonné de trouver là encore, au milieu de nos mœurs littéraires pacifiées, le romantisme échevelé d'autrefois, as

1. Pagnerre, gr. in-8°, 495 pages.

sociant à un reste de vieille haine contre les maîtres immortels de notre littérature les puérilités sonores d'une forme creuse et brillante. L'auteur, l'un de ses apôtres les plus fidèles, se fait plus d'honneur en partageant les disgrâces politiques de M. V. Hugo, son père adoptif, qu'en s'efforçant de le suivre comme chef d'école.

Dans un article plein de bon sens, de finesse et de sévérités justes enveloppées sous une forme délicate, M. Cuvillier-Fleury appelle M. Vacquerie « le dernier des romantiques1» et marque bien sa place à l'arrière-garde d'une petite phalange d'esprits attardés, dont les devanciers avaient pour devise et pour mot d'ordre le progrès. A ne voir que les dehors et les accessoires de la publication, les Miettes de l'histoire ne paraissent être qu'un rejeton des Misérables, destiné à profiter du regain d'un grand succès. Le livre du disciple est annoncé avec le même bruit que l'œuvre du maître, et porté à tous les échos de l'horizon littéraire par les voix les plus retentissantes de la publicité. Ouvrons-le, nous y trouverons tous les procédés de dispositions ambitieusement symétriques que l'école romantique affectionne. Car c'est une chose curieuse que le culte de la régularité extérieure chez des hommes qui se sont insurgés si violemment contre l'ordre et la logique dans les créations littéraires. M. Cuvillier-Fleury dit à ce sujet « Ces voleurs de tonnerre, comme M. Vacquerie appelle les poëtes romantiques, ces enfonceurs de pcétique, ces ravageurs du sol littéraire, ils ont le génie de la symétrie et de l'ordre matériel. Ils composent un livre comme ils l'affichent, avec un souci du relief, un soiu d'attirer l'attention et de captiver l'œil du spectateur, qui n'a d'égal que leur insouciance de ses idées et le mépris de son jugement.

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La remarque est vraie, et jamais livre romantique ne l'a

1. Journal des Débats, 31 mars 1863.

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