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naux et des revues. Il était attribué par la plupart au prince Albert, et par quelques-uns à la reine Victoria ellemême. Si on lui avait supposé une origine moins haute, aurait-il eu, pour la critique, autant de valeur? Or il paraît que la source de ce petit livre était beaucoup plus modeste; il n'était point éclos dans les palais d'où on le voyait sortir. Une plume royale l'avait traduit en anglais, sur un manuscrit allemand, transcrit par une plume presque royale, car en Angleterre le prince- époux était presque roi; mais ce manuscrit n'était qu'une suite d'extraits d'un livre très-humble, qui, depuis quatre-vingts ans, faisait à petit bruit son chemin parmi les âmes pieuses, et l'on ne pouvait croire qu'un jour une erreur bibliographique donnerait à ces textes de méditations discrètes un pareil éclat.

J'emprunte au Mémorial diplomatique qui, après une assez longue interruptipn, a reparu cette année sous la direction du chevalier L. Debrauz de Saldapenna, l'histoire des origines de ce livre. J'en retranche seulement les passages en l'honneur de l'Eglise catholique ou contre la doctrine du progrès, qui n'ont, l'une ou l'autre, rien à voir dans l'étrange fortune de cette « Journée du chrétien protestante.

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On sait que le prince Albert avait comme un secret pressentiment de sa fin prochaine. Dans ces moments de mélancolie dont nul n'est exempt, encore moins sur les marches d'un trône qu'au sein d'une caste vulgaire, le prince-époux avait l'habitude de se retirer dans le silence de son cabinet; et là, seul avec sa pensée, il se laissait aller, comme le roi-prophète, au souvenirs des jours anciens, à la méditation des années éternelles. Il affectionnait surtout un livre écrit dans son idiome maternel, sous ce titre : Stunden der Andacht, « Heures de dévotion », dont la lecture semblait lui apporter comme un souvenir de sa patrie de la terre, comme un espoir de sa patrie du ciel. I en avait même transcrit de sa main de longs extraits, les passages qui l'avaient le plus frappé et qui faisaient l'objet habituel de ses méditations.

Après la mort si regrettable de ce prince, la reine sa veuve trouva dans les papiers de son époux ces fragments détachés d'un grand ouvrage; la lecture de ces extraits l'émut profondément. Dans ses heures de recueillement et de solitude, elle se mit à traduire en anglais ces pages si propres à nourrir et à consoler sa douleur, et les communiqua plus tard à quelques personnes de sa cour. De ce petit cercle d'intimes le bruit s'en répandit peu à peu, de sorte que la reine se décida à en faire tirer deux cents exemplaires, qui furent aussitôt distribués dans les rangs de la haute aristocratie britannique. Ce public de choix fut enthousiasmé, ravi de la sublime élévation des pensées, de la touchante beauté des sentiments exprimés dans cette œuvre royale. Enfin la reine consentit à en publier une édition anglaise et à en autoriser la traduction en français. Telle est l'origine authentique, telle est l'histoire vraie des Méditations sur la mort et l'éternité, attribuées dans le public à la reine Victoria elle-même.

Il nous reste à faire connaître quel est le premier et véritable auteur de ce livre.

Nous avons dit que le grand ouvrage auquel le prince Albert a emprunté les extraits publiés par la reine Victoria, est intitulé: Stunden der Andacht, Heures de dévotion. » C'est l'œuvre d'un ministre protestant d'Arau, en Suisse, le pasteur Zschokke, qui jouit d'une grande réputation littéraire en Allemagne. La première édition parut il y après d'un siècle, en 1782, et forme 12 volumes in-8. On peut se les procurer à la librairie étrangère de M. Franck, rue Richelieu, à Paris.

Que dites-vous de ce livre de prétendue provenance royale, qui à eu, comme la toque de Gessler, sur son måt de cocagne, les honneurs de tant de saluts?

Il n'y avait là, pour la critique française, qu'une erreur. Elle est quelquefois exposée à être dupe d'audacieuses supercheries. Il s'en est commis une qui ne nous est pas venue d'Angleterre, mais que les Anglais ont relevée vivement. Voici comment l'Athenæum l'expose :

Une impudente mystification ou une bévue grossière, commise en France, a trompé quelques-uns de nos contemporains. Un M. Havard a récemment publié à Paris un petit volume

intitulé: Voltaire et Mme Du Châtelet; révélations d'un serviteur attaché à leurs personnes. On a cru, non sans quelque hésitation. à la sincérité de cet ouvrage, mais enfin on l'a accepté, car un écrivain a dit, en appréciant ce volume: «Il serait en verité aussi bizarre que difficile de supposer que quelqu'un ait pu fabriquer un tel livre, et c'est là peut-être le plus fort argument en faveur de son authenticité. Ce volume n'est pourtant qu'une simple réimpression d'une partie d'un vieux livre bien connu Mémoires sur Voltaire et ses ouvrages, par Wagnière et Longchamp, ses secrétaires, publié pour la première fois à Paris en 1826. Tout d'abord ce livre attira beaucoup l'attention et eut deux éditions, ou même davantage. Un correspondant qui nous écrit à ce sujet, déclare avoir eu en sa possession une édition ultérieure (de 1838), laquelle, ajoute-t-il, m'a été procurée, sans aucune difficulté, par un ami à Paris, à Pâques dernier. Un article consacré à cet ouvrage et inséré, en 1829, dans le Foreign Review, a été recueilli, sous le titre de Voltaire, dans les Miscellanées de Carlyle. Longchamp était une sorte de valet secrétaire qui fut quelques années attaché à Voltaire avant sa résidence à Berlin; Wagnière était son secrétaire à Ferney. Le volume qui a mystifié nos critiques n'est qu'une reproduction du récit de Longchamp, considérablement gâté par les arrangements de l'éditeur Havard.

Que la critique et la bibliographie françaises y prennent garde, l'Angleterre a les yeux sur elles.

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La critique littéraire sous le premier Empire. J.-F. Boissonade.

Les générations studieuses du dernier règne et de l'Empire actuel n'ont guère connu de J.-F. Boissonade que l'helléniste, le philologue à l'érudition étendue et profonde, pour qui la langue grecque, malgré sa longue durée et toutes ses transforinations, n'avait pas de secrets, également capable d'interpréter, dans leurs nuances délicates, les poétiques inspirations des beaux âges homériques et

de pénétrer, jusque dans leurs énigmes, les plus obscures élucubrations de la décadence byzantine. Editeur infatigable, traducteur élégant et fidèle, commentateur savant et ingénieux, J.-F. Boissonade fut jusqu'au terme de son active vieillesse un des plus dignes représentants de l'érudition française. Les universités étrangères l'envaient à la nôtre, et tour à tour l'Angleterre, la Hollande, l'Allemagne se firent un honneur de publier ceux de ses travaux qui, faute de trouver en France les particuliers et les académies assez riches ou le gouvernement assez dévoué aux lettres, étaient menacés de rester chez nous sans éditeur. Il était juste que tous les souvenirs d'une vie si bien remplie fussent recueillis par des mains amies, et qu'une sorte de dernier monument littéraire, plus digne de tels hommes que de somptueux tombeaux, conservât ce que l'amour des lettres avait inspiré de meilleur au savant, jusque parmi ses compositions les plus fugitives.

Tel est, en effet, le but du livre qui a pour titre: J.-B. Boissonade, critique littéraire sous le premier Empire, publiée par M. F. Colincamp, professeur à la Faculté des lettres de Douai, et précédée d'une notice historique par M. Naudet1. Cette publication, qui est un hommage funéraire, nous permet de suivre la trace du célébre helléniste dans tous ses travaux d'érudition. Les deux études qui lui servent d'introduction, suffisent pour faire saisir le caractère général du savoir et du talent déployés par Boissonade, et comprendre leurs applications variées. La dissertation que M. F. Colincamp intitule: Boissonade et l'atticisme dans l'érudition, touche d'une main qui, sur un pareil sujet, pourrait être plus légère, le trait distinctif de l'érudition, quand elle est mise en œuvre par un esprit vraiment français. On est effrayé des arides sujets d'études sur lesquels Boissonade portait ses préférences; la liste

1. Didier et C, 2 vol. in-8; CIV-508-648 p.

si longue des auteurs dont il s'est plu à éditer et à commenter les œuvres ou les fragments, est hérissée des noms et des titres les plus barbares. Quelquefois il recueille les miettes encore précieuses d'ouvrages perdus et regrettés, comme lorsqu'il forme un faisceau des Apophthegmes des Saints Pères ou des Sentences de divers sages, ou qu'il transcrit, par ordre alphabétique, faute d'un ordre meilleur, les Maximes de Menandre. Mais le plus souvent ce sont des noms inconnus qu'il dispute à l'oubli, comme ceux de Jean Georgidès, de Psellus, de Théodore l'Hyrtacénien, de Nicéphore Chumnus, de L. Bardalès, de J. Gaba, de Tryphon, de Cocondrius, de Zonous, de Chortasmius, de Mégalomitès, d'Aulicalamus, etc., sans compter les anonymes. Et de ces auteurs, qui auraient pu rester à peu près tous anonymes, sans beaucoup perdre, ce qu'il reproduit ce ne sont pas toujours des monuments importants pour la connaissance de leur temps, mais, d'ordinaire, de ces pages en elles-mêmes assez insignifiantes qu'on a appelées assez dédaigneusement les rognures de l'histoire et qui ne jettent guère de lumière que sur les révolutions de la langue, moins intéressantes pour le gros du public lettré que les révolutions politiques. Ce sont le plus souvent des dissertations sur des questions ou sur des subtilités de philosophie, de médecine, de grammaire, de déclamations de rhéteurs, des scholies, des lettres, des vers techniques, des poëmes didactiques sur des sujets étonnés d'être traités dans les formes de la poésie; ce sont encore des éloges, des monodies sur des souverains ou des personnages célèbres de leur vivant, comme la monodie sur la mort de ce « Préposé à l'encre impériale. » C'est que les Angelo Maï eux-mêmes n'ont pas tous les jours la bonne fortune de trouver la République de Cicéron, ni les Boissonade celle de donner l'édition princeps du fabuliste Babrius.

Mais ce qui sauve du pédantisme l'auteur de tant de tra

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