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Tu marchas au rebours du progrès, et ta main
Crut reconstruire avec le vieux ciment romain.
Tu tentas l'impossible, à ton grand préjudice.
Comme Orphée, en voulant ressaisir Eurydice,
Tu descendis vivant dans l'empire des morts
Et ne l'en pus tirer, malgré tous tes efforts.
Et ton nom est resté, dans l'humaine mémoire,
Calomnié, maudit, en dépit de ta gloire;

Et bien que noblement ton cœur ait combattu,
Les siècles ont douté même de ta vertu.

On pourrait citer, à côté de ce jugement, le tableau de la mort de Julien qui rappelle, quoiqu'à distance, celui de la Mort de Socrate par M. de Lamartine :

Sans râle et sans effort,

Il mourut. Avec lui l'ancien monde était mort.

Parmi les autres poésies du recueil on remarque cinq suites d'une Gazette en vers, qui indique, chez M. N. Martin, avec une grande facilité de rimes, une connaissance familière des grands hommes ou des petites choses du jour. Tous les noms un peu connus de la littérature contemporaine viennent d'eux-mêmes se placer dans ces rimes, la plupart avec à-propos :

Si je descends de ces hauteurs
Dans le vallon des prosateurs,
Je dis à Sand, que l'on assiége:
<< Fais encore un Homme de neige; »
A Dumas père, qui fait tout,
Qui sait tout, voit tout, est partout,
(Sans pourtant être un solitaire),
Je ne dirai pas de se taire.
Certe on ne dira pas d'About
Que son esprit vif est à bout;
Il est trop homme de ressource,
Toujours prêt à quelque autre course.
L'École normale est la source,
D'où jaillit son flot sur le sol,
D'où sortit Prevost Paradol,

D'où sortit aussi M. Taine

Pour nous commenter la Fontaine.

C'est avec la même désinvolture que le gazetier poëte prend et laisse, en passant, et Lamartine, et de Vigny, et et Aug. Barbier, et Sainte-Beuve,

Qui refera toujours peau neuve....

et V. Hugo, et Alfred de Musset, et Brizeux, et Arsène Houssaye, et Th. de Banville, et

Le poëte-sculpteur Gautier,

et P. de Saint-Victor, et le marquis de Belloy

Et ce gros poëte latin

De la décadence, Janin,

Moins gros pourtant encor que fin,
Dont un jour glosera Patin;

et jusqu'à

.... Ce gourmand de Monselet,
Qui fait si bien un verselet

Et prend encor mieux un sorbet.

Puis, craignant de tourner au répertoire, M. N. Martin renvoie les omis ou les oubliés au Dictionnaire des Contemporains, avec leur billet de logement pour la postérité.

Mais trop parler littérature
Donnerait de la tablature

A maints lecteurs fort alarmés :
Silence! Et soyez désarmés

Vous tous que je n'ai pas nommés!
D'ailleurs, Vapereau, chose sûre
Vous porte à la race future

Couchés dans sa nomenclature.

Il y a, dans ces vers légers et faciles, plus d'esprit et de verve que tout le poëme de Julien l'Apostat ne nous

promet de véritable poésie; ils faut pardonner à l'auteur de choses si diverses et si mêlées, sa trop grande hâte d'en faire un volume.

M. Alfred de Montvaillant qui avait débuté par un gros volume de pièces fugitives, Feuilles aux vents, dont nous nous sommes assez longuement occupé1, annonçait dès lors trois autres volumes de vers. Multipliant ses promesses à mesure qu'il en tient une partie, il donne aujour d'hui un nouveau recueil et en promet quatre pour un prochain avenir. Celui de cette année s'intitule: Rêves poétiques et il sera suivi immédiatement d'un volume de Nouveaux rêves poétiques, déjà sous presse. C'est beaucoup de rêves et, malheureusement, peu de poésie. M. de Montvaillant dont j'ai assez fait connaître une première fois, par des exemples, les mollesses de style, ne manque pas d'intentions poétiques, mais les effets n'y répondent pas. Il prend volontiers tous les tons, depuis le plus noble jusqu'au plus familier, mais il n'en soutient aucun par l'éclat, la verve ou la grâce qui peut convenir à tel ou tel sujet et que parfois le début de la pièce faisait espérer. Je soupçonne M. de Montvaillant d'écrire ses vers avec une merveilleuse facilité. Si l'inspiration peut être spontanée, et la conception d'un sujet, rapide, l'exécution, je ne dis pas parfaite, mais seulement convenable, réclame une patience de travail et un art de faire difficilement des vers faciles, que M. de Montraillant paraît ignorer.

Un autre débutant de ces années dernières, M. Armand Renaud, avait, comme versificateur, dans ses Poëmes de l'Amour et comme prosateur, dans la Griffe rose, témoigné

1. Voy. t. III de l'Année littéraire, p. 45-47.

2. Dentu, in-18, 372 pages.

3. Voy. t. III de l'Année littéraire, p. 52-53 4. Voy. t. V de l'Année littéraire, p. 115-116.

d'un certain talent auquel la critique avait fait bon accueil. Je doute qu'il trouve pour ses nouveaux essais poétiques la même indulgence. Ses Caprices de boudoir sont le fruit. de je ne sais quelle inspiration mauvaise qu'aucun mérite ne rachète. Dans ce petit volume, dont la couverture étale ses lettres d'or sur un fond gris-perle, une mauvaise gravure aux intentions douteuses répond aux provocations du titre. Une incroyable préface dédie le livre à Vénus, dans une langue qui flotte entre l'emphase et le calembour. Vénus, suivant un camarade que l'on appelle << notre grand mystique, » veut dire : Venez. Qu'elle vienne donc • prendre ce livre dans ses mains, pour lui donner son parfum, et y jeter les yeux pour lui donner son rayon.» Elle aura fort à faire, car en fait de parfums, de tels livres ont une odeur nauséabonde; aucun rayon n'y brille, pas même celui de la volupté; et celui du talent, s'il existe, s'y éteint. Rien de nouveau, rien de piquant, rien de poétique dans ces Caprices de boudoir, rien qui puisse retenir, sur une page, sur une strophe, le malheureux lecteur que le titre et le frontispice auront pris au piége. Si M. Renaud a voulu faire ce qu'on appelle un mauvais livre, il a plus réussi qu'il ne pensait.

M. Léon Valery, l'auteur des Heures intimes, élève aujourd'hui davantage la voix. Le roman en vers qu'il appelle Les Expiations', est la peinture indignée d'une des plaies morales et physiques de la civilisation dans les villes, la prostitution. Il retrace l'histoire complète d'une de ses victimes, depuis la misère qui favorise la séduction jusqu'aux maladies honteuses et à la mort sinistre qui l'expie. Les titres de chapitre indiquent des épisodes un peu risqués, comme le Bal Musard, la Morgue, le Docteur

1. Sartorius, in-18, gr. jésus, vш-92 pages. 2. Dentu, in-18, 260 pages.

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Ricord. Quelques points scabreux sont touchés avec une certaine audace que la langue ne trahit pas toujours. Des Heures intimes aux Expiations il y a progrès, sous le rapport de la forme poétique et de la personnalité. Le choix du sujet étonne de la part d'un disciple de la poésie recueillie. L'auteur nous dit, dans une préface, qu'on l'a déjà blåmé de chercher ses inspirations dans un milieu équivoque où l'on est plus surpris qu'heureux de le rencontrer. Il proteste au nom de sa dignité et de sa conscience auxquelles il n'a imposé aucun sacrifice. Sa muse est restée honnête et pure dans les mauvais lieux où il l'a conduite, elle n'en a rapporté que des leçons sévères pour l'inexpérience et des menaces contre le vice. La préoccupation des sentiments honnêtes a peut-être même poussé l'auteur, soit dans son livre soit dans ses notes, à un autre écueil : la déclamation.

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La poésie satirique dans deux camps opposés. MM. Pailleron
et L. Veuillot.

Rencontrant peu de bons vers dans les volumes de l'année, je suis revenu sur quelques recueils de poésie des années précédentes dont on m'avait signalé l'omission. Le principal est celui que M. Edouard Pailleron a intitulé les Parasites. Un accueil très-favorable a été fait, dans presque toute la presse, à ce livre d'un poëte dont nous avons signalé avec éloge l'avénement au théâtre 2. Nous aurions été heureux de trouver nous-même dans cette lecture une occasion de louer sans réserve un talent

1. Michel Lévy frères. in-18, (1861), 280 pages.

2. Voy. t. III de l'Année littéraire, p. 103 et t. V, p. 165-167. Voy. aussi ci-dessous, Théâtre, § 2.

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