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dévoué courageusement aux causes libérales et digne de nos sympathies par la franchise.

Les Parasites, qu'il ne faut pas confondre avec le Parasite, comédie en un acte du même poëte, sont une suite de pièces détachées où la satire domine. L'auteur prend tour à tour des tons assez différents, mais n'en soutient encore aucun d'une manière assez originale et personnelle. On y sent l'amour du vrai, la haine de l'hypocrisie, le sentiment des maux de l'époque et la résolution de les mettre à nu pour en håter la guérison. C'est l'acte d'un poëte et d'un homme de bonne volonté. Mais si la conscience est droite et la raison ferme, le talent poétique faiblit souvent ou n'est pas encore formé. Les Parasites ne sont évidemment pas une œuvre de maturité. Je croirais volontiers que ce sont les premiers vers d'un jeune homme qui cherche sa voie, qui la reconnaît et y entre, mais avec les hésitations ordinaires des débuts. On y trouve les traces de diverses manières et les courants opposés entre lesquels ont flotté ses études. Ici, c'est l'éclat plus ou moins métallique de M. V. Hugo; là, c'est la recherche de l'horrible à la façon de M. Baudelaire; rarement c'est le mouvement large et vigoureux de M. Aug. Barbier. Quelquefois l'idée et l'image tournent au lyrisme; plus souvent la peinture se délaye, et la tirade languissante se prolonge en une molle conversation. De temps en temps passent des vers qui feraient de l'effet dans une scène de comédie. Les Parasites sont un prélude où des modulations plus variées que bien conduites ne laissent pas assez distinguer le ton qui sera le plus familier à l'auteur.

Je passe sur les pièces de clinquant et sur les fantaisies lugubres où M. Pailleron ne me semble pas être du tout lui-même, et je m'arrête à des peintures satiriques où le poëte comique se fait pressentir. Deux longues scènes, intitulées Basiles et Tartufes, ont été les plus remarquées. L'auteur, pour mieux peindre ces deux sortes de person

nages, leur donne la parole et les suppose en humeur de faire eux-mêmes leur confession. Basile et Tartufe ont quitté l'un et l'autre le sombre costume de leur emploi, la soutanelle et le pourpoint; ils ont pris l'habit de tout le monde et se sont faits journalistes. Leur industrie est la même au fond, mais elle s'exerce en grand et rapporte davantage. La calomnie et le mensonge sont classés et cotés, pour ainsi dire, parmi les valeurs officielles; ils ont leur hausse, leur baisse, et sont en hausse à l'heure qu'il est. C'est le moment, pour la satire courageuse, de s'attaquer à leur autorité. M. Pailleron ne manque pas à cette tâche. Voici quelques traits de la confession de Basile:

Un malheur éclata qui vint tout déranger.

La Révolution puisqu'il faut qu'on la nomme,
Vint, du droit du plus fort appelé droit de l'homme,
Aux libertés du maître attabler les valets.
Contre de tels brutaux faites donc des pamphlets!
Leurs mœurs avec mes goûts étaient incompatibes;
Et puis leurs arguments étaient irrésistibles,
Au moins autant que ceux du comte Almaviva.
N'osant crier haro! moi, je criais vivat!

Et ce, moyen s'offrant à mon humeur servile,
Je me fis pourvoyeur du bon Fouquier-Tainville.

Pour Tartufe, enivré de sa puissance, il lève le masque et semble reprendre cette maîtresse parole que lui a prêtée Molière :

La maison m'appartient, je le ferai connaître.

La maison, c'est la société moderne qu'il se vante d'avoir enveloppée toute d'un imperceptible mais solide réseau :

Prenant pour points d'appui l'orgueil et l'intérêt,
Avec un tel levier, qui nous résisterait?
Aussi, de plus en plus, chacun sur nous s'appuie;
Nous faisons sourdement le beau temps et la pluie.
C'est que pour arriver nous avons cent chemins;

En vérité, mon cher, vous êtes dans nos mains;
De nos réseaux secrets personne qui se sauve.

La main dans chaque bourse, et l'œil dans chaque alcove,
Nous sommes tout-puissants et ne négligeons rien:
Pas de petits effets, pas de petit moyen.

Marier nos amis, placer un domestique

Tout ce qui peut servir est grand en politique.
Aussi pouvons-nous faire à notre volonté,

De quiconque un grand homme ou bien un député.
Notre invisible force est immense et j'espère
Que le temps est prochain où, laissant le mystère,
Tartufe le coquin, méprisé, mais subtil,

Tartufe sera roi, mon cher. Ainsi soit-il !

Mais Tartufe rencontra jadis, dans son triomphe, « un prince ennemi de la fraude. » M. Pailleron le menace, de nos jours d'un autre maître :

On le nomme Bon Sens, vous en mourrez. Adieu!

C'est ainsi qu'il y a dans les Parasites, des scènes ou plutôt des tirades de comédie que M. Pailleron s'est hâté de livrer au public avant de leur avoir trouvé un cadre. Un jour viendra sans doute où quelque grande combinaison dramatique lui permettra de les reprendre. Peutêtre alors ce volume d'essais et d'exercices poétiques, sera-t-il assez oublié pour que personne ne reproche à l'auteur de s'être pillé lui-même.

A l'extrême bord du parti politique et religieux, si vivement houspillé par M. Pailleron, nous trouvons un robuste lutteur, aussi bien armé pour l'attaque que pour la défense: c'est M. Louis Veuillot, l'ancien rédacteur en chef de l'Univers, l'auteur de pamphlets célèbres en prose, les Libres Penseurs, Vindex; puis, de romans pieux et de livres d'édification, Rome et Lorette, les Pèlerinages de Suisse, le Parfum de Rome, sans compter de volumineux recueils d'articles: Ça et là, et Mélanges religieux historiques, poli

tiques et littéraires, qui sont une immense collection de plaidoyers outrés en faveur de l'orthodoxie ultramontaine et de violentes attaques contre ses adversaires de toute origine et de toute taille. M. L. Veuillot a trouvé que la prose ne lui suffisait pas pour défendre, comme il l'entendait, le trône et l'autel. Le vers lui a paru une arme plus acérée, et il s'en est saisi. Quelques recueils religieux ont reçu de temps en temps les épanchements plus ou moins poétiques de sa sainte bile, et nous avons emprunté à l'un d'eux un échantillon de sa versification vengeresse, à une époque où le poëte, en M. L. Veuillot, était à peine connu. Il a recueilli lui-même toutes ses petites méchancetés et en a fait un volume de Satires1.

Le livre a fait du bruit, et il en devait faire. Les gens modérés n'ont pas compris ces ardeurs implacables d'un tempérament violent qui, après s'être donné carrière dans les luttes quotidiennes de la politique, a coulé complaisamment dans le moule du rhythme, les invectives et les trivialités de langage que l'entraînement de la polémique pouvait seul excuser. Le monde ne connaît pas la pieuse maxime de se mettre en colère, sans pécher : Irascimini et nolite peccare. Pour M. L. Veuillot, la colère est sans mesure, parce que les doctrines, au service desquelles il s'est mis, n'ont pas de contre-poids. Il s'est fait le ministre du Dieu vengeur et l'intolérance est son premier dogme. « Pour moi, disait-il, en 1838, dans ses Pèlerinages en Suisse, ce que je regrette, je l'avoue franchement, c'est qu'on n'ait pas brûlé Jean Huss plus tôt et qu'on n'ait pas également brûlé Luther. Vingt ans plus tard, il disait : « Ce que je pensais en 1838, je le pense encore. » Avec de pareilles idées, quelle irritation chronique ne doit-on pas avoir contre la société moderne? et avec quels transports ne

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1. Gaume frères, in-18. Voy. t- III de l'Année littéraire, p. 261262.

maudira-t-on pas ceux que l'on s'attriste de ne pouvoir brûler! Ne pouvant livrer ses adversaires au bourreau, M. Veuillot se fera bourreau lui-même. Son vers furieux sera tour à tour le fouet, le bâton, le fer rouge, la hache du supplice ou la torche du bûcher. Il sera surtout l'insulte que les vengeances pénales d'autrefois mêlaient aux tortures. Il y a des gens qui regardent leurs ennemis avec assez de colère pour les tuer, si un regard pouvait donner la mort; M. Veuillot voudrait foudroyer les siens avec des mots, tant il y concentre de haine.

La poésie gagnera-t-elle beaucoup, dans la forme, à cette violence des sentiments? Non : les plus furieuses idées se traduisent, on ne sait pourquoi, dans un style généralement plat, malgré les injures qui l'émaillent. M. Veuillot, par exemple, croira avoir porté le dernier coup à un philosophe ou à un littérateur de ses ennemis, quand il l'aura plaisanté sur sa misère et ses habits râpés. Il traitera ses confrères, les journalistes, de marchands; il dira d'un journal supprimé, comme devait l'être plus tard l'Univers lui-même :

Depuis le Deux Décembre, adieu l'Événement!
La patrouille a fermé cette fraîche boutique.

Par un curieux hasard, les meilleurs vers peut-être de toutes les Satires de M. Veuillot, sont ceux que nous avons cités par anticipation, il y a trois ans, pour montrer jusqu'à quel point peuvent s'envenimer de simples querelles littéraires. Nous n'insisterons pas davantage aujourd'hui sur cet étrange livre. La seule conclusion qu'on en puisse tirer, c'est que le plus sûr moyen de manquer un but, est de le dépasser. Sans que M. Veuillot fit violence à son talent, plus fougueux que poétique, toute sa vie de polémiste ultra catholique ne suffisait-elle pas à donner cet enseignement?

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