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oubliés; d'autres sont oubliés et n'ont point été indépendants. Des écrivains indépendants! je n'en vois guère, en France, au dix-septième siècle, dans le sens où nous prenons ce mot. Quand un livre était inspiré par des velléités d'indépendance, il s'imprimait quelquefois clandestinement à Paris mais sans nom d'auteur, le plus souvent à l'étranger, à Amsterdam, à Londres, où l'écrivain était exposé à aller lui-même chercher un asile. Tel fut le sort de Saint-Evremond, dont le nom, omis par M. Victor Fournel, aurait dû, ce me semble, venir le premier dans un tableau de la Littérature indépendante» au dix-septième siècle. Ce qu'il entend par indépendants, ce sont les écrivains qui ont un peu manqué de tenue, de dignité, de sérieux dans la vie, et qui formaient déjà, toutes proportions gardées, une sorte de « bohême littéraire. » Un chapitre est en effet consacré, sous ce titre particulier, aux poëtes crottés, aux poëtes de cabaret. Théophile de Viau, Saint-Amand, Chapelle, représentent ici incomplétement cette petite école qui, en dehors du grand mouvement des idées cartésiennes, prenait Gassendi pour guide et retournait, sur ses pas, à la philosophie d'Epicure. Molière lui-même en était, et c'était sous cette influence peu sévère qu'il avait entrepris la traduction du de Natura rerum de Lucrèce. Il y avait là un noyau de libertins, comme on disait alors, avec lesquels nos libres penseurs ont une lointaine parenté. Il y avait, de ce côté, de certaines tendances émancipatrices que M. Victor Fournel aurait pu mettre mieux en lumière. Mais son livre a été formé d'articles détachés qui, sans manquer absolument d'unité, n'avaient pas un lien assez intime pour tenir les promesses du titre.

Parmi les essais de critique et d'érudition consacrés à des écrivains qui, indépendants ou non, ne sont pas oubliés, nous citerons les chapitres sur Cyrano de Bergerac, Scarron et Saint-Simon. Cyrano permet à l'auteur d'étudier la littérature de second ordre dans la première

moitié du dix-septième siècle; Scarron lui fournit le prétexte d'une étude sur le burlesque, en France, et sur son histoire; Saint-Simon enfin l'engage à faire la part de l'histoire et du pamphlet dans le principal monument de notre littérature des mémoires. On s'étonne de voir l'appréciation de ce dernier, après avoir inspiré à l'auteur des pages de critique très-remarquables, dégénérer en une véhémente philippique contre le Jansénisme. Mentionnons encore un essai sur les origines nationales du drame français; un autre sur le roman chevaleresque et poétique, à l'occasion de d'Urfé, de Mlle de Scudéry, de Mme de La Fayette, etc.; un autre sur le roman comique, satirique et bourgeois à propos de Barclay, Théophile, Furetière, Scarron; un autre enfin sur la critique littéraire du temps et la querelle des anciens et des modernes, et nous aurons indiqué les différents sujets sur lesquels M. Victor Fournel a porté la double lumière d'une critique animée et d'une érudition sûre d'elle-même,

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Les pages inédites ou reliquiæ des grands écrivains.
La Fontaine et M. P. Lacroix.

La recherche de l'inédit, quand il s'agit de nos grands écrivains, n'est pas toujours inspirée par l'intérêt de leur gloire. C'est l'effet d'une curiosité naturelle qui a ses écueils et doit avoir ses limites. Il faut se garder de croire facilement à l'authenticité des choses qui se produisent pour la première fois sous un nom célèbre, même lorsqu'elles semblent dignes de lui, et quant à celles qui en sont indignes, il ne faut pas, même si elles sont authentiques, se håter de leur donner place dans les œuvres définitives d'où leurs auteurs ont jugé à propos de les exclure. Il y a des brouilions, des ébauches, des exercices d'une plume qui s'essaye,

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qu'un écrivain jette au feu ou au panier. Si le hasard, l'indiscrétion d'un valet les sauvent d'une juste destruction, ils auront encore du prix à cause du nom qu'ils rappellent; ce sont des reliques qui iront grossir le trésor de la curiosité, comme les défroques de certains grands personnages qui figurent avec honneur dans nos musées; mais ni les unes ni les autres n'intéressent l'art ou la littérature.

La Fontaine est, parmi nos écrivains classiques, un de ceux qui n'ont pas beaucoup à gagner à l'exhumation de quelques pages inédites. Ce qu'il a de meilleur était, de son vivant, dans le domaine public, et la curiosité s'est depuis si longtemps attachée à tout ce qui le touche que l'on a recueilli et publié sous son nom soit des choses qui ne sont pas de sa main, soit des choses qui ne sont pas dignes d'en être. Des recueils imprimés en Hollande au commencement du dix-huitième siècle ou à la fin du dix-septième, tels que le Nouveau choix de pièces de poésie (la Haye 1715), le Recueil de quelques pièces nouvelles et galantes (Utrecht 1799), contiennent des fables, des contes, des épîtres et autres pièces sans valeur, auxquelles un nom célèbre pouvait assurer un certain accueil. M. Paul Lacroix, si connu sous le pseudonyme de bibliophile Jacob, a cru devoir reprendre une partie de ces opuscules suspects qui n'avaient reçu encore qu'une demi-publicité : il y a joint une douzaine de fables, d'une authenticité plus ou moins certaine qu'il a retrouvées dans la poudre des manuscrits, à la bibliothèque de l'Arsenal dont il est conservateur. Il a intitulé le tout Œuvres inédites de Jean de la Fontaine, avec diverses pièces en vers et en prose, qui lui ont été attribuées, recueillies pour la première fois1.

Parmi les fables inédites, il n'en est point qui méritent l'honneur de figurer à côté de celles qui ont immortalisé le fabuliste. Quelques-unes ne sont que des variantes de fa

1. Hachette et Cie, in-8, xvi-462 p.

bles déjà connues, peut-être de premières ébauches rejetées par l'auteur à cause de leur faiblesse. Qui sait si plusieurs ne sont pas seulement des imitations, et de médiocres, sorties d'une main étrangère? Walkenaër, l'éditeur et l'historien de La Fontaine, avait déjà fait remarquer que le bonhomme, corrigeant et remaniant son œuvre jusqu'à ce qu'il en fût à peu près content, avait fait deux ou trois versions différentes de ses meilleures fabies. Il en donnait pour preuve celle intitulée le Renard, les Mouches et le Hérisson. On avait retrouvé une première composition de la main de La Fontaine, et en la comparant à celle qu'il a fait imprimer, on voyait qu'il n'en avait conservé que deux vers'.

Les fables plus ou moins nouvelles publiées par M. Paul Lacroix, fourniraient quelques exemples de plus de ce procédé. Ce sont les sujets déjà connus ou des sujets analogues avec la même morale, traités d'une manière inférieure. La première, par exemple, l'une des plus authentiques, et des plus intéressantes, est le Renard et l'Ecureuil. Elle paraît se rapporter à la disgrâce de Fouquet, dans les armes duquel figurait un écureuil. Elle développe, par un exemple différent, le Ne insultes miseris, qui sert de morale à la fable du lièvre et la perdrix.

Il ne se faut jamais moquer des misérables,
Car qui peut s'assurer d'être toujours heureux ?
Le sage Esope, dans ses Fables,

Nous en donne un exemple ou deux.
Je ne les cite point, et certaine chronique
M'en fournit un plus authentique.

Après cette fable d'un style un peu vieilli, et qui ne mérite pas de tous points les éloges de l'éditeur, viennent des fables reproduites d'après des copies dont l'une paraît

1. Voir l'Histoire de la vie et des ouvrages de La Fontaine, par Walkenaër.

être, nous dit M. Paul Lacroix, de la main de La Fontaine. » Pour plusieurs, le copiste était si inexpérimenté qu'il a laissé passer certain nombre de vers faux qu'on ne pouvait attribuer à l'auteur, et l'éditeur les a corrigés. Quelquesunes enfin avaient été publiées isolément, soit à l'étranger dans les Pièces fugitives tirées du cabinet de Saint-Evremond (Utrecht, 1697) et dans la Bibliothèque volante ou Elite de pièces fugitives (Amsterdam, 1700), soit, en France, par le P. Bouhours dans son Recueil de vers choisis, ou plus récemment, par Walkenaër dans son Histoire de la vie et des ouvrages de La Fontaine. M. Paul Lacroix les a pour la première fois réunies en un volume.

Le recueil des Fables de La Fontaine se grossira donc bien peu par la nouvelle publication; celui des Contes s'enrichira moins encore. Les cinq Contes et Nouvelles qui figurent parmi les œuvres inédites, avaient paru dans les recueils hollandais; l'authenticité n'en est pas prouvée, et le mérite littéraire n'en est pas supérieur. Les mêmes remarques se doivent faire sur la partie la plus étendue du livre, intitulée Poésies diverses. Toutes ces pièces sont réimprimées d'après les anciens recueils, où M. Paul Lacroix aurait pu en prendre encore davantage. Il en a écarté un certain nombre à cause de leur obscénité. Il aurait bien pu en éliminer plusieurs à cause de leur platitude. La réputation de La Fontaine, si elle pouvait recevoir quelque atteinte, aurait à souffrir autant de la publication de vers médiocres que de vers trop libres.

Des observations analogues se feront aussi sur les Pièces diverses en prose qui complètent le volume des OEuvres inédites. Plusieurs émanent de La Fontaine et ont déjà reçu une certaine publicité; mais elles méritent d'être connues davantage; d'autres rédigées par divers auteurs, sont relatives à sa vie ou à ses ouvrages et présentent des détails intéressants. Telle est par exemple, la Lettre du R. P. Pouget, de l'Oratoire, à l'abbé d'Olivet, contenant la rela

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