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Roman de Molière, des faits très-intéressants d'un caractère tout historique. Tel est le grand chapitre intitulé : Molière, sa vie et sa fortune, d'après le registre du comédien La Grange et autres documents inédits. Celui qui traite des Reliques de Molière a un grand attrait de curiosité. J'aime moins Molière et le procès du pain mollet : je trouve que M. Edouard Fournier se donne beaucoup de peine pour restituer à Molière ce qui ne lui appartient peut-être pas ou ne vaut guère l'honneur de lui appartenir. La petite dissertation sur Molière et les Anglais intéresse davantage la littérature. Molière a-t-il connu les pièces de Shakspeare et s'en est-il inspiré? En cherchant les traces de l'influence que les écrivains anglais auraient pu exercer sur nous au dix-septième siècle, on ne trouve que les preuves de l'influence que les nôtres ont exercée sur eux. En résumé, l'auteur du Roman de Molière n'a peut-être pas fait faire à l'histoire de son héros, du nôtre à tous, un bien grand progrès; mais comme il a voulu seulement prouver, en attendant mieux, qu'aucune partie de cet intéressant sujet ne lui est restée étrangère,» il a suffisamment atteint son but.

Sur beaucoup de points importants de la vie de Molière, on était réduit jusqu'ici à des conjectures. Désormais elles feront place à des faits, et à des faits solidement établis Là où les preuves authentiques manquaient le plus, elles abonderont; là où régnait le doute, il s'établira désormais la certitude la plus ferme que l'histoire puisse produire. Et d'où viendra ce changement? D'une idée qui paraît ingénieuse à force d'être simple, mais dont l'exécution demandait de la suite et de la persévérance. Molière, tout grand homme qu'il devait être pour la postérité et qu'il était déjà pour plusieurs de ses contemporains, Molière était soumis, dans la pratique de la vie civile, aux lois ordinaires et à toutes les formalités qu'elles prescrivent pour

les actes plus ou moins solennels. Sa naissance, son mariage, sa mort, la naissance de ses enfants, les naissances, mariages ou décès survenus dans sa famille; les testaments, successions, partages dans lesquels lui ou les siens étaient intéressés; les engagements plus ou moins importants qu'il contractait, et ceux que l'on contractait envers lui tous ces actes et bien d'autres ont dû être consignés quelque part, dans des papiers authentiques; et l'on ne voit pas pourquoi ces papiers n'auraient pas été conservés dans les dépôts publics ou particuliers, où vont s'enfouir toutes les pièces de notoriété garantissant les droits et les intérêts du premier venu.

Mais il s'agissait de les retrouver; il s'agissait d'en saisir près de nous les dernières traces et de remonter de proche en proche jusqu'aux documents originaux. C'est ce qu'a fait, avec la volonté et l'intelligence d'un fureteur, M. Eud. Soulié. Sachant qu'une maison d'Argenteuil avait appartenu à la fille de Molière, il a pensé qu'il pourrait, au moyen des titres qui établissent, dans toute vente, l'origine de la propriété, être mis sur la trace des pièces concernant la succession de Molière et par celles-ci sur la trace de tous les actes intéressant sa personne ou sa famille. Il ne s'était pas trompé, et il nous donne dans ses Recherches sur Molière et sur sa famille1 le résultat de ses patientes investigations. Voilà d'étranges et de précieuses conquêtes. On ne se doutait pas que les archives des notaires pussent contenir de si utiles révélations pour l'histoire littéraire.

Le livre de M. Soulié comble de nombreuses lacunes de la biographie de Molière. Il jette un jour éclatant sur des points obscurs; il supprime bien des points d'interrogation; il nous donne une idée exacte de la vie de théâtre à cette époque et de celle de Molière en particulier; il nous

1. Hachette et Cie, in-8, 386 pages.

introduit dans son intérieur; il nous révèle sa fortune et l'emploi qu'il en faisait, ses relations avec toute sa famille, avec les auteurs, avec ses camarades. Un des services qu'il rend à la mémoire de Molière, est d'établir à diverses reprises la filiation de sa jeune femme, Armande Béjard. Non-seulement Madeleine Béjard signe à plusieurs contrats, comme sœur d'Armande; non-seulement elle met cette dernière dans son testament au rang et au titre de sœur ce qui, dans le cas d'une substitution frauduleuse de sa part, aurait supposé beaucoup d'audace; mais dans plusieurs contrats où elle ne figure pas, où dans lesquels elle figure accessoirement, Armande et elle sont toujours traitées comme sœurs. Le contrat de mariage de Molière surtout est catégorique. La veuve Béjard comparaît en première ligne, « stipulant, en cette partie, pour damoiselle Armande-Grésinde-Claire-Elisabeth Béjard, sa fille. » Madeleine assiste et signe, en qualité de sœur. Ainsi tombe devant l'évidence des faits la calomnie de Montfleury, et l'on comprend maintenant que, du vivant de Molière, elle n'ait pas été prise au sérieux. Dans l'ignorance de ces relations authentiques de famille, on lui a fait l'honneur de la discuter; devant les contemporains, il était superflu de la démentir.

Les Recherches sur Molière et sur sa famille ne contiennent pas moins de soixante-cinq documents notariés. L'auteur, avant de les transcrire intégralement, les résume dans une narration générale qui devient une véritable biographie de Molière et l'une des plus intéressantes qui se puissent lire; car on sent sous chacun des détails présentés par l'historien l'autorité des pièces justificatives qui se déroulent ensuite sous nos yeux.

Les œuvres de Molière intéressent plus l'histoire littéraire que les actes privés ou publics de sa vie. Aussi, tout en applaudissant au zèle des chercheurs de révélations

biographiques, nous voyons surtout avec plaisir mettre dans une lumière nouvelle les titres de l'écrivain à notre admiration. Il y a deux manières de le faire. L'une consiste à reproduire les œuvres de son génie dans des éditions dignes d'elles, moins encore par le luxe typographique que par une fidélité respectueuse envers le texte primitif. Cet hommage ne manque pas à Molière, et, sans compter les éditions en cours de publication, on annonce que M. Soulié lui-même en prépare une nouvelle pour la collection des Grands écrivains de la France, où Malherbe, Corneille, Mme de Sévigné sont déjà si dignement représentés. L'autre manière d'honorer Molière consiste à faire de son théâtre un sujet d'études toujours nouvelles, à chercher l'explication de chacune de ses œuvres dans les circonstances qui l'ont inspirée, à replacer le grand homme au milieu de ses contemporains, à le comparer à ses précurseurs et à ses émules. Il y a là une source inépuisable de travaux, et nous sommes loin d'avoir fait pour notre Molière ce que les Anglais ont fait pour leur Shakspeare. Pour mieux pénétrer dans l'œuvre de leur grand dramaturge, ils ont porté la lumière sur les moindres hommes et sur les moindres choses de son époque.

C'est à un mouvement semblable que M. Victor Fournel a voulu prendre part en publiant les Contemporains de Molière. J'avoue que je mettais sous ce titre un autre livre que celui de l'auteur. Les contemporains de Molière, c'était, pour moi, la société qui a fourni à Molière des sujets d'étude et les modèles de ses portraits. J'ai quelquefois blåmé les auteurs de monographies qui traitent d'un écrivain et de « son temps, quand cet écrivain n'est pas une expression puissante, un résumé vivant, un reflet immortel de toute une époque. Mais Molière est un de ces

1. Voy. t. V de l'Année littéraire, p. 299-311, et ci-dessous, § 11. 2. F. Didot et Cie, in-8, t. I, 552 p.

hommes assez grands pour permettre d'étudier en eux la société qu'ils ont voulu peindre, et l'on peut éclairer Molière et son temps l'un par l'autre. On peut, à propos de ce fils du tapissier du roi, de ce comédien du roi, évoquer le roi lui-même et sa cour, les grandeurs et les faiblesses de son règne.

Tel n'est pas le but de M. Victor Fournel. Par contemporains de Molière, il entend les auteurs comiques de second ordre, de troisième ordre souvent, qui ont vécu et écrit de 1650 à 1680. Il recueille leurs œuvres dont la plupart sont devenues rares ou sont peu connues. Il les groupe par théâtres, en commençant par l'un des plus fameux, le théâtre de l'hôtel de Bourgogne. Il fera l'histoire de chaque troupe. Il ramènera au jour bien des noms oubliés, bien des œuvres médiocres, mais qui ont eu leur heure de succès et même de vogue, et qui, à défaut d'autre mérite, ont l'avantage de nous faire juger le goût du temps et de mettre en relief les défauts auxquels le génie de Molière devait apporter un terme. M. Fournel reproduit des comédies entières devenues des raretés bibliographiques; il les entoure de notes et de commentaires propres à les faire comprendre et à expliquer par elles les choses obscures de l'histoire littéraire. En suivant l'auteur des Contemporains de Molière, nous entrons assez avant dans la connaissance de ce qu'il appelle les côtés intimes et familiers du dix-septième siècle, non-seulement de ses mœurs, de ses idées, de sa littérature, mais de ses usages, de ses habitudes, de ses amusements, de ses modes, des personnages qui occupaient à divers titres l'attention; nous nous préparons merveilleusement à mieux comprendre Molière lui

même..

Parmi les nombreux ouvrages comiques produits avant Molière du autour de lui, sur les différents théâtres de Paris, il en est deux sortes qui intéressent particulièrement les études de littérature comparée : il y a des auteurs

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