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faire de mieux en mieux connaître les écrivains qui ont contribué aux progrès des idées de tolérance religieuse. C'est une dette de reconnaissance. On ne s'étonnera donc pas que M. Athanase Coquerel, le fils du pasteur précédent, pasteur lui-même, complète son livre sur Jean Calas et sa famille par la publication de Lettres inédites de Voltaire sur la tolérance1. La correspondance de Voltaire est un trésor inépuisable, et, malgré toutes les lettres inédites qui ont été publiées depuis quelques années, on trouvera encore bien des pages inconnues qui ajouteront à la lumière déjà faite sur la vie et le rôle de l'écrivain philosophe. Dans les lettres relatives à la malheureuse famille de Calas et à la question de la liberté de conscience, Voltaire se montre sous son plus beau jour. A son bon sens incomparable il unit l'élévation des idées, la noblesse des sentiments, une chaleureuse éloquence. Sa persévérance dans cette belle lutte pour la réhabilitation d'une famille innocente lui fait beaucoup d'honneur. On cède facilement à un mouvement généreux, mais il est plus rare de poursuivre à travers tous les obstacles la tâche qu'on s'est imposée jusqu'à ce qu'elle soit accomplie. M. Coquerel a mis en relief ce mérite. Les lettres nouvelles qu'il publie sont au nombre de cent vingt-huit. Quelquesunes se rapportent au procès Sirven, qui est, avec l'affaire. des Calas, un des épisodes intéressants de l'histoire de la. liberté religieuse.

Passer de Voltaire à Rousseau c'est à peine changer de sujet. M. Arsène Houssaye ne prend pas toutefois le philosophe de Genève dans les grandes luttes qui ont agité sa vie, mais dans un des épisodes plus ou moins scabreux de sa jeunesse. Il le peint au milieu de ces amours qui ont rendu célèbres et leur héroïne et les beaux lieux qui en

1. Paris et Genève, J. Cherbuliez, in-12.

furent le théâtre. Son livre s'intitule les Charmettes, Jean-Jacques Rousseau et Mme de Warens'. M. Arsène Houssaye se plaît à reproduire ce mélange de grâce et de maturité qui caractérise Mme de Warens. Il témoigne beaucoup d'indulgence pour cette femme qui se chargeait d'achever, sous tous les rapports, l'éducation de son protégé et se faisait sa maîtresse par charité maternelle.

Tout ce chapitre de la vie de Rousseau était assez connu pour permettre à l'écrivain fantaisiste d'en tirer un tableau complet et des portraits au pastel comme il aime à les faire. Il a ajouté cependant aux renseignements ordinaires quelques documents inédits qui pouvaient servir de prétexte à cette nouvelle publication. Quoique M. Arsène Houssaye se montre dans ce livre plus sévère pour Jean-Jacques Rousseau que pour sa belle hôtesse, il le traite pourtant avec plus de sympathie qu'il n'avait encore fait. Dans une nouvelle édition, la septième, de l'Histoire du quarante-et-unième fauteuil de l'Académie française, je trouve cette note en tête du chapitre consacré à Rousseau En relisant aujourd'hui ces pages déjà anciennes, je me trouve injuste pour cette grande figure que je viens de peindre avec plus de vérité dans les Charmettes. Reconnaître une injustice est bien, essayer de la réparer est mieux encore.

M. Henri Nadault de Buffon poursuit la tâche qu'il a entreprise de faire autour de l'illustre écrivain, dont il porte le nom, une lumière nouvelle et de plus en plus favorable. Après avoir publié la Correspondance inédite de son arrière-grand-oncle3, il fait paraître aujourd'hui un intéressant volume intitulé: Buffon, sa famille, ses colla

1. Didier et Cie, in-18.

2. Hachette et Cie, in-18, 420 p.

3. Voy. t. III de l'Année littéraire, p. 300-301.

borateurs et ses familiers, etc.1. Il se compose surtout des Mémoires de Humbert Bazile, secrétaire du grand naturaliste. M. Henri Nadault les a mis en ordre, annotés et augmentés de documents inédits. C'est toute une galerie de portraits de famille, et, quand je dis portraits, ce n'est pas par métaphore; car chacune des notices consacrées aux membres de la famille est accompagnée d'un charmant médaillon gravé sur acier où revivent les traits intelligents ou gracieux des personnages.

Buffon a naturellement la première place. Il nous apparaît, d'après le témoignage de son secrétaire, entièrement dépourvu de cette roideur, de cette froideur qu'on s'est plu à lui attribuer. La Correspondance inédite nous avait déjà fait voir, sous le savant et l'écrivain, un homme bon et aimable. Cette impression est ici confirmée. Si Buffon composait ses écrits les plus pompeux en costume de cour et en manchettes, cette toilette ne lui ôtait pas dans le monde le sentiment de la grâce et de la galanterie. Dans les mêmes sociétés où il récitait de mémoire des pages entières de son Histoire naturelle, il improvisait ou paraissait improviser de jolis petits vers; il écrivait ceux-ci au crayon sur les genoux d'une jeune dame:

Sur vos genoux, ô ma belle Eugénie,
A des couplets je songerais en vain;
Le sentiment étouffe le génie,
Et le pupitre égare l'écrivain.

Nous ne pouvons suivre le secrétaire de Buffon dans cette histoire intime de Buffon et de sa famille. Les principales figures qu'il esquisse encore sont celles de la comtesse de Buffon, la femme du naturaliste, du comte de Buffon son fils, condamné à mort en 1793, du chevalier de Buffon son neveu, et de Mme Nadault sa sœur, l'aïeule de

1. Ve J. Renouard, in-8. xv1-430 p.

M. Henri Nadault de Buffon. Les documents recueillis par ce dernier complètent le tableau déjà si intéressant tracé par le secrétaire Humbert Bazile, et achèvent d'honorer une grande mémoire.

Parmi les publications de documents inédits, j'en aurais encore à citer plusieurs qui éclairent divers points de l'histoire littéraire, à des époques de plus en plus voisines de nous. Ainsi les Lettres inédites de J. C. L. de Sismondi, de M. de Bonstetten, de Mme de Staël et de Mme de Souza, publiées avec une introduction par M. Saint-René Taillandier1, ont été accueillies avec empressement par la critique de la presse périodique. Parmi ces lettres un très-petit nombre appartiennent aux trois derniers personnages dont le nom figure dans le titre; mais celles de Sismondi, adressées à la comtesse d'Albany depuis 1807 jusqu'en 1823, suivent dans une grande partie de sa carrière celui que M. Saint-René Taillandier appelle avec raison « le grand historien libéral. »

Je regrette que le temps et l'espace me manquent pour parler d'une publication qui nous permettrait de parcourir des temps encore plus rapprochés, celle des Ecrits et discours du duc de Broglie. C'est un recueil de souvenirs intéressants pour la politique, la philosophie et la littérature. Toutes les questions, qui ont agité, dans ces trois sphères, une époque d'activité intellectuelle féconde, se retrouvent ici débattues avec talent et résolues souvent avec autorité.

Ramenant nos regards d'un horizon aussi vaste sur un point particulier de l'histoire littéraire, nous signalerons

1. Michel Lévy, in-12.

2. Didier et Cie, in-18, 406 p.

les deux petits volumes elzéviriens publiés par M. Armand Lebailly dans la collection du bibliophile français, sur un poëte aussi célèbre par les malheurs de sa vie que par son talent. Il s'agit d'Hégésippe Moreau. M. Armand Lebailly a publié de lui quelques Œuvres inédites, avec introduction et notes, puis une étude intitulée Hégésippe Moreau, sa vie et ses œuvres. Les pages inédites ne sont pas de nature à accroître la gloire littéraire de Moreau, ce sont, avec quelques vers de séminaire cités dans l'introduction, des variantes d'une romance, une épître, quelques petites nouvelles et de bonnes et simples lettres à diverses personnes, notamment à sa sœur. Le nom de l'auteur en fait seul le prix. L'étude sur Hégésippe Moreau, à la fois littéraire et biographique, est, en faveur de l'homme et de son œuvre, un plaidoyer chaleureux et convaincu.

Parmi les auteurs vivants, il y a un groupe sur lequel l'attention est particulièrement appelée par le plus haut titre d'honneur littéraire, ce sont les membres de l'Institut et spécialement ceux de l'Académie française. Une série d'études sur ces écrivains d'élite ou au moins d'élection, a été entreprise par M. G. Vattier, sous le titre de Galerie des académiciens, portraits littéraires et artistiques. Pour commencer, l'auteur fait poser devant lui MM. SainteBeuve, Mérimée, Ponsard, Saint-Marc Girardin, Michelet, et ajoute à ces auteurs distingués un peintre illustre, M. Ingres. Il trace le caractère propre de chacun d'eux d'un crayon très-ferme. Il expose moins leurs œuvres qu'il ne les juge; il en dégage le principe moral et en mesure la portée. Il ne cache rien de ses sympathies ou de ses antipathies, et ces dernières s'expriment quelquefois avec sévérité. M. Sainte-Beuve aurait le plus à s'en

1. Mme Bachelin-Deflorenne, pet. in-16, 128 p.
2. Même librairie, même format, 124 pages.
3. Amyot, in-18, 1 série.

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