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plaindre; les incertitudes ou les contradictions de sa carrière sont mises en un relief impitoyable. M. Mérimée au contraire est traité d'une main plus douce. Les lacunes du talent dramatique de M. Ponsard sont durement signalées; l'originalité de M. Michelet comme écrivain est l'objet de louanges un peu excessives. Une qualité précieuse de la critique de M. Vattier est, à défaut d'impartialité, l'indépendance. S'il s'égare, c'est de bonne foi; s'il exagère, c'est dans le sens de ses idées personnelles. Les nouvelles séries de portraits qui viendront compléter sa Galerie d'académiciens nous permettront de revenir sur cette œuvre de critique distinguée, et, par elle, sur quelques-uns des noms plus ou moins célèbres de notre littérature, que des publications récentes n'auraient pas amenés sous notre plume.

HISTOIRE ET ÉTUDES ACCESSOIRES.

Coup d'œil général sur le mouvement de la littérature
et sur la bibliographie historique en 1863.

La faveur dont jouissent les études historiques à notre époque est toujours la même, et aucun symptôme n'indique qu'elle tende à décroître. Les causes morales et politiques, qui reportent si vivement l'esprit de notre temps vers l'exploration du passé, sont persistantes, et notre pusillanimité à aborder les questions du présent ou les problèmes de l'avenir encouragera longtemps encore les discussions. sans danger sur des intérêts qui ne sont plus les nôtres, et les conquêtes pacifiques de l'histoire.

Mais l'activité de cet ordre favori d'études se traduit plus ordinairement par le nombre des publications que par l'éclat des œuvres. Les grands noms de la littérature historique manquent, en général, à notre bibliographie de l'année, ou n'y figurent que pour des réimpressions et des publications qui ne portent pas la trace d'un travail personnel.

M. Thiers, qui a achevé son grand monument élevé au Consulat et à l'Empire, a bien le droit de se reposer; l'historien est redevenu orateur; ses discours au Corps législatif en faveur du gouvernement parlementaire et des libertés dites nécessaires ont aujourd'hui un retentissement plus éclatant que ses volumes d'histoire les plus remarquables.

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M. Guizot, qui n'est pas rentré dans la vie politique, peut continuer ses travaux historiques sans distraction. Nous voyons paraître sous son nom une publication considérable, dont nous ne pouvons nous empêcher de regretter le titre ambitieux, Histoire parlementaire de la France1. Un soustitre nous avertit immédiatement qu'il s'agit du Recueil com plet des discours prononcés par M. Guizot dans les Chambres de 1819 à 1848; il n'en est pas moins vrai que la simple annonce d'un tel ouvrage peut donner une fausse idée en France ou à l'étranger, et faire croire à un travail nouveau et personnel de l'illustre historien sur l'origine, l'existence et les destinées du gouvernement parlementaire en France. Ce complément des Mémoires pour servir à l'histoire de mon temps » offre un intérêt incontestable; mais le recueil des discours d'un seul orateur ne constitue pas l'histoire parlementaire » d'un pays, de même que la vie d'un ministre ne peut s'intituler l'histoire d'un règne. L'homme d'État avait eu raison de considérer ses notes autobiographiques comme des mémoires pour servir à l'histoire de son époque; l'orateur devait se borner de même à donner ses discours comme des documents pour l'histoire de l'éloquence politique. C'est bien là une des tendances de notre temps: nous avons vu plus haut un érudit distingué réunir quelques fragments sur notre vieille langue, et son éditeur leur donner pour titre : « Histoire de la langue française 2! »

1. Michel Lévy frères, in-8, t. I et II, CLI-921 pages; t. III et IV, 1302 pages; t. V, 638 p.

2. Comme travail plus personnel de M. Guizot, il faudrait citer l' projet de mariage royal. (Hachette, in-18-iv-360 pages.) C'est un épisode de la révolution d'Angleterre, servant de pendant à celui qu'il a raconté, huit ans auparavant, sous le titre de l'Amour dans le mariage. Ces deux ouvrages ont reçu l'un et l'autre une première publicité dans la Revue des Deux-Mondes. Ils méritent d'être examinés ensemble comme un double échantillon d'un genre à part de littérature historique, le roman dans l'histoire, genre non moins intéressant mais plus vrai que celui de l'histoire dans le roman..

Un de nos historiens les plus populaires, M. Michelet, a publié cette année un volume nouveau de cette vaste Histoire de France, qu'il découpe en brillantes monographies. La dernière a pour sujet et pour titre la Régence; elle offre les sérieuses qualités de savoir et les étincelants défauts de forme dont l'auteur a donné tant de preuves. En attendant qu'il achève sa tâche, nous verrons plus loin comment il se produit, chaque année, de nouvelles histoires générales de la France.

La Révolution française, dont M. Michelet avait aussi entrepris le récit, ne manque pas d'historiens, pour reprendre, sous des formes et à des points de vue différents, l'œuvre à peine achevée depuis une année par M. Louis Blanc. M. Hippolyte Castille termine son Histoire de la Révolution française, États généraux, Constituante, Convention, Directoire (1788-1800)', qui forment la première série de son Histoire de soixante ans. M. Granier de Cassagnac embrasse dans un cadre plus grand une période plus courte et se plaît à exposer dans son Histoire du Directoire les défaites et la chute du principe révolutionnaire. M. Mortimer Ternaux continue, avec tous les développements que comporte un sujet restreint, son Histoire de la Terreur, dont nous avons apprécié la première partie3. Son récit, qui semble devenir plus intéressant à mesure qu'il devient plus sombre, comprend les massacres de Septembre, et il s'appuie comme toujours sur un nombre considérable de notes, d'éclaircissements et de pièces inédites. Pour nous reposer l'esprit de ces horreurs, nous avons le spectacle de la vie d'un citoyen honnête et utile, dans les Mémoires sur Carnot publiés par son fils*.

1. Sartorius, 4 vol. in-8, 1619 p.

2. 3 vol. in-8, 1428 p.

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3. Michel Lévy in-8, t. III, 648 p. Voy. t. III de l'Année littéraire, p. 329-335.

4. Pagnerre, t. II, in-8, Ire partie, 252 p.

L'attention est vivement appelée sur une des plus illustres victimes de la Révolution par une publication de M. de Lescure intitulée: La vraie Marie-Antoinette, étude historique, politique et morale, suivie du recueil réuni pour la première fois de toutes les lettres de la reine, connues jusqu'à ce jour, dont plusieurs inédites, et de divers documents. Une affaire malheureuse qui contribua, malgré l'innocence de la reine, à la rendre impopulaire, est étudiée avec un soin particulier par l'archiviste M. Émile Campardon qui publie Marie-Antoinette et le procès du Collier, d'après la procédure instruite devant le parlement de Paris. Divers autographes inédits du roi, de la reine, du comte et de la comtesse de la Motte jettent un jour nouveau sur cette affaire qu'on a vu reparaître avec étonnement, cette année même, devant une des Chambres du tribunal civil de Paris.

Quels que soient les malheurs, les fautes ou les crimes d'une époque terrible et féconde, elle peut inspirer encore une sympathie enthousiaste à ceux qui l'étudient de près. C'est le sentiment qui préside à l'ouvrage entrepris, sous ce titre, par M. Ch. Chassin : le Génie de la Révolution3. Son premier volume « expose les élections de 1789, d'après les brochures, les cahiers et les procès-verbaux manuscrits.» A ce début tout est promesses et espérances. Les excès qui Suivirent sont, selon l'auteur, le fruit naturel des anciennes fautes de la monarchie.

En remontant aux règnes précédents, nous voyons se produire moins de livres d'histoire que de recueils de documents et de matériaux: ici des mémoires, là des correspondances, dont quelques-unes ont une grande valeur. On en trouvera la liste dans tous les catalogues et bulletins bibliographiques de l'année. Ce qui doit nous intéresser

1. Dupray de la Mahérie, in-8, 256 p. et portrait.
2. In-8, VII-452 p. avec la gravure douce du collier.
3. Pagnerre, t. I, in-8, xxiv-496 p.

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