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le plus dans les livres nouveaux, c'est la composition, c'est la mise en œuvre. Il faut sans doute attacher une grande valeur historique à des recueils comme celui des Lettres, instructions et mémoires de Colbert, publiés d'après les ordres de l'Empereur, sur la proposition de M. Magne, alors ministre des finances, par M. Pierre Clément, membre de l'Institut1; mais, comme travail personnel, toute la critique a remarqué davantage l'Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire depuis la paix de Nimègue, par M. Camille Rousset, professeur d'histoire au lycée Bonaparte. M. Sainte-Beuve, en particulier, lui a consacré toute une série de ses articles du Constitutionnel. Du reste, les monographies sont en vogue, et nous devons signaler celle que l'auteur d'une de nos bonnes histoires. générales de France, M. Théophile Lavallée, a écrite sous ce titre la Famille d'Aubigné et l'enfance de Mme de Maintenon 2.

Les provinces deviennent, comme les individus ou les familles, l'objet de recherches approfondies; il se fait sur tous les anciens gouvernements de la France des publica. tions analogues à celle que M. Hippeau a entreprise sous ce titre le Gouvernement de Normandie aux dix-septième et dix-huitième siècles. Des documents tirés des archives du château d'Harcourt composent ce premier volume qui traite de la guerre et de la marine. En général, les ouvrages sur nos provinces sont plutôt des recueils de matériaux précieux pour l'histoire que des compositions historiques.

En fait de recueils de documents et de recherches, il est difficile de voir un particulier en former un plus riche que celui qui vient d'être achevé par M. Maurice Champion sous ce titre les Inondations en France depuis le VI siècle jusqu'à

1. T. II (1650-1661), gr. in-8, CCLXXXVII-935 p.

2. Paris, in-8, VIII-496 p.

3. Caen, t. I, in-8, xxxiv-482 p.

nos jours. C'est le résultat d'une vaste enquête historique où un phénomène, un fléau spécial trouve ses annales complètes. Le but que se proposait l'auteur est atteint à force de labeur et de persévérance. En réunissant les faits et renseignements relatifs aux inondations dans les mêmes archives, et en les mettant à la portée du gouvernement et des administrations publiques, il aura concouru, dans une mesure qui n'est pas ordinairement chez nous celle de l'action individuelle, à la protection de nos intérêts nationaux. De plus, les histoires locales et l'histoire générale qui doit, elle aussi, prendre son bien partout où elle le trouve, posséderont, dans cette grande collection de documents spéciaux, des points de repère et de contrôle.

L'antiquité, les pays étrangers, l'histoire universelle sont en même temps l'objet de publications générales ou spéciales. Hors de la France, les pays et les peuples que nous étudions le plus, comme nous le verrons plus loin, sont ceux sur lesquels les événements contemporains attirent l'attention de tous. Il y a toujours place cependant pour les travaux étrangers à tout intérêt d'actualité. Par exemple, le comte de Champagny consacre trois volumes à une courte période de la Rome impériale, sous ce titre : les Antonins. C'est, sur un plan plus vaste, un seul point du tableau que nous verrons tout à l'heure en raccourci dans les Empereurs romains de M. Zeller. M. A. de Bellecombe continue son Histoire universelle qui fait une si grande place aux peuples anciens dédaignés jusqu'ici par l'histoire classique. MM. Henry et Charles de Riancey recommencent, au point de vue des idées orthodoxes, une œuvre qu'ils avaient improvisée au sortir du collège, l'Histoire du monde, ou Histoire universelle depuis Adam

1. Dunod, t. V, in-8, VIII-264-CLXXXIV p.

2. Paris, 3 vol. in-18, 1405 p.

3. T. VIII (306-480 après J. C.), in-8°, 526 p. - Voy. t. IV de l'Année littéraire, p. 305-309.

jusqu'au pontificat de Pie IX. Puis, comme si nos propres historiens ne nous suffisaient pas, nous traduisons les grands travaux historiques accomplis à l'étranger par les Prescott, les Macaulay, les Bancroft et plusieurs autres qui ont élevé la science historique dans leur pays à la hauteur où d'illustres écrivains l'ont soutenue dans le nôtre. Il n'est jamais entré dans mon plan de prendre un à un ces divers travaux, si utiles, si estimables qu'ils puissent être; je me bornerai, suivant mon usage, à examiner un certain nombre de publications qui me permettent de marquer, avec le caractère propre de quelques écrivains distingués, les diverses tendances qui dominent ou qui se partagent la littérature historique.

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Etudes sur l'Empire romain. Les jugements et les portraits historiques.

M. J. Zeller.

L'Empire romain sera toujours un sujet d'études de prédilection pour l'homme d'Etat et pour le philosophe : la politique n'a point de ressorts secrets, l'âme humaine n'a point de mystères que son histoire ne mette au jour. Malheureusement, la politique n'y montre le plus souvent que le triomphe du crime, et l'âme humaine y étale de préférence ses misères et ses hontes. On se sent pourtant attiré vers ces tristes abîmes; on veut voir jusqu'où les hommes et les nations peuvent descendre, dans quels excès le maître est emporté par la toute-puissance, à quel degré d'abaissement peut entraîner la servitude. Il nous prend, à ce spectacle, une espèce de vertige; on se demande avec une apre curiosité si la nature humaine tombée de plus en plus bas ne tombera pas plus bas encore; on est effrayé de ce

1. Paris, t. I, in-8, xix-515 p.

qu'il peut tenir de mal dans un siècle ou dans un règne de quelques années. Au milieu des crimes, des bassesses, des folies, les vertus, les nobles sentiments, les pensées généreuses, quand il en paraît, semblent avoir plus de beauté et de grandeur « comme ces plantes, que, suivant l'expression de Montesquieu, la terre fait naître dans des lieux que le ciel n'a jamais vus. »

Bien des historiens qui pensent et font penser sont là pour nous ramener à ce spectacle; Tacite nous le présente en raccourci avec des traits d'un immortel relief. Le Tacite français, Montesquieu, s'est moins attaché à le peindre qu'à montrer les lois qu'il révèle. Le savant et profond Gibbon l'a étudié dans tous les sens, et y a vu la plus complète manifestation de la nature humaine. Les personnages faibles et pâles des temps modernes, nous dit-il, ne nous présentent point des caractères aussi nets et aussi variés. On pourrait saisir dans les empereurs romains toutes les nuances de la vertu et du vice, depuis la perfection la plus sublime jusqu'à la plus basse abjection de l'espèce.»

Tel est le sujet de méditations plutôt que de recherches historiques que M. J. Zeller a choisi dans son livre intitulé les Empereurs romains, caractères et portraits historiques'. Il semble quitter avec plaisir les faits contemporains que son Année historique nous raconte au jour le jour, et de trop près pour pouvoir les apprécier, et il va exercer librement sa faculté de juger sur des siècles que l'histoire accusatrice a livrés depuis longtemps aux sévérités de la conscience. Il voit avec Gibbon tout ce que la décadence romaine a fait prendre de relief à tous les vices et à quelques vertus. Il va même plus loin que l'historien anglais; il dit « que ces représentants du pouvoir le plus absolu qui ait jamais existé dans une société civilisée, n'offrent pas seulement tous les degrés de la vertu et du

1. Didier et Cie, Iv-540 p.

vice, mais tous les genres de vices et de vertus. » Tous les genres de vices: on le lui accordera volontiers; les noms de Tibère, de Claude, de Caligula, de Néron, de Vitellius, de Commode, d'Héliogabale, de Domitien présentent, sous les apparences d'un même despotisme, toutes les variétés imaginables du crime et de la folie. Pour ce qui est des vertus, espère-t-on en trouver tous les types divers entre le stoïcien Marc-Aurèle et le chrétien Théodose? Il faudra, de la part de M. Zeller, un peu de bonne volonté et un certain besoin de voir la nature humaine plus belle qu'elle n'est, pour placer, dans cette galerie historique de Caractères et portraits, entre dix modèles de vice, un seul modèle de vertu.

Les Empereurs romains ne sont pas précisément une histoire de l'Empire, mais le tableau du rôle que chaque empereur a joué et de la part de responsabilité qui lui revient dans le mouvement général de la décadence Domaine. Ce tableau est proportionné et complet; il est lumineux plutôt qu'énergique. Il ne respire point ces haines vigoureuses >> que nul spectacle humain n'éveillera en nous, si celui-là ne le fait pas. M. Zeller reste toujours historien, alors qu'il veut traiter l'histoire en moraliste et nous montrer les hommes plutôt que les faits. Le propre de l'historien est d'expliquer toutes choses, les actes et leurs mobiles, tantôt par des nécessités fatales, tantôt par des influences puissantes. Il n'excuse pas les crimes, mais il s'efforce plus de les comprendre qu'il ne songe à les flétrir. M. Zeller s'est-il mis lui-même en garde contre les impressions de Tacite, ou s'en est-il éloigné involontairement? toujours est-il qu'il ne nous les a point transmises. Qu'on se rappelle, par exemple, le tableau de l'avénement de Tibère au premier livre des Annales: « At Romæ ruere in servitium consules, patres, eques; quanto quis illustrior, tanto magis falsi ac festinantes. Voilà les dispositions des esprits; voici avec quelle hypocrisie Tibère en profitait : « Ille varie disserebat

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