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de magnitudine imperii, sua modestia.... plus in oratione tali dignitatis quam fidei erat; Tiberioque etiam in rebus quas non occuleret, seu natura, sive assuetudine, suspensa semper et obscura verba; tunc vero, nitenti ut sensus suos penitus abderet, in incertum et ambiguum magis implicabantur. Dans Tacite, le règne de Tibère est monstrueux, d'un bout à l'autre; d'après M. Zeller, il le deviendra seulement en finissant. Il débute par dix années d'un gouvernement peu agréable, sévère mais juste; il continue par << huit années d'erreurs, dans lesquelles le despotisme le fit tomber et dont il fut la plus douloureuse victime; il se termine enfin par « cinq années d'une horrible et délirante cruauté que rien n'excuse, mais qu'expliquent la douleur du père abusé, la honte du despote impuissant qui se venge au hasard sur tout ce qu'il peut atteindre, et pendant lesquelles le monstre se fait hor

reur. »

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A propos de Tibère, M. Zeller énonce cette maxime générale « Ce sont les circonstances, ce sont surtout les institutions mauvaises qui créent de pareils monstres. » Mais ne sont-ce pas aussi ces monstres qui font les institutions et profitent des circonstances pour donner cours à leur rage? Cette théorie va trouver dans les règnes suivants matière à de nombreuses applications. Les institutions mauvaises sont créées; les monstres pullulent. Mais à la mort d'Auguste, les institutions du despotisme étaient encore mal assurées; le monde romain n'avait pas pris le pli fatal d'une honteuse servitude; c'est Tibère qui le lui a donné ou qui a été heureux de le lui laisser prendre. C'est une fâcheuse tendance que de dégager la responsabilité de tels hommes pour la rejeter sur les lois qu'ils ont faites, les circonstances qu'ils ont exploitées, les mœurs qu'ils ont achevé de corrompre. Est-ce l'effet de cette tendance ou est-ce un acte de justice nous voyons invoquer en faveur de Caligula la circonstance atténuante dont la médecine

moderne assure le bénéfice aux plus grands criminels; ce sont des malades, dit-on, des monomanes.

La maladie n'avait point laissè à l'empereur une intelligence parfaitement saine. Une idée, une seule idée, terrible, monstrueuse, devait bientôt l'occuper tout entière. Caligula, prince, empereur, était maître du monde; il pouvait tout, il le savait.... Puisqu'il commandait en maître absolu aux hommes, il devait être supérieur à eux. L'imagination de Caius travailla en conséquence à faire de sa personne un dieu.... Vouloir être dieu, le croire, et chercher à le faire croire au monde tantôt par l'insinuation, tantôt par la violence, telle fut l'idée fixe dont Caligula sembla possédé. L'étrange constitution du pouvoir impérial à Rome pouvait pousser jusqu'à cette monstruosité le maître du monde. La tête faible et la nature maladive de Caius ne l'y préparaient que trop.

De semblables fous, de semblables malades, on peut les faire acquitter devant un tribunal, mais on ne peut pas les justifier devant l'histoire. Un avocat peut plaider la monomanie devant des juges ou des jurés pour exciter la compassion; l'historien ne doit la développer devant ses lecteurs que pour inspirer plus d'horreur d'un système qui peut mettre le pouvoir aux mains de ces monstres monomanes et l'y maintenir.

Les erreurs d'un souverain, dans un tel système, ne sont pas moins funestes que ses crimes. Voici un curieux résumé de celles où Claude se laissait entraîner :

Ce ne fut pas dans sa famille seulement, ni sur ce qui intéressait sa personne, que Claude fut trompé. A la fin, il le fut au sénat, en plein forum, en plein tribunal, sur tout le monde et snr toutes choses. On dénatura son gouvernement, on égara sa justice; ses volontés furent méprisées, ses actes changés, ses décisions falsifiées, ses arrêts faussés. Claude ne voulait délivrer le droit de citoyen qu'à bon escient; ses affranchis le vendaient à vil prix. Il voulait noter des chevaliers; on lui fit passer un célibataire pour un père de famille. Claude rendait un décret, on le retirait le lendemain. Il condamnait, on absolvait; il absolvait, on condamnait. Sous ses yeux mêmes, on le trompait.

Cylon, gouverneur de Bithynie, était accusé violemment par ses administrés devant Claude. Endormi peut-être cette fois sur son tribunal, ou ne démêlant rien aux cris des avocats qui l'entouraient, Claude demanda à Narcisse ce que voulaient ces gens.- - Ils rendent grâce à leur gouverneur, répondit l'affranchi, et Cylon fut renvoyé dans son gouvernement. Plusieurs fois l'empereur se serait plaint qu'on eût exécuté des jugements sans ses ordres. Enfin, il aurait parfois demandé à sa table des personnes qu'on aurait fait mourir à son insu.

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Encore un fou, un malade, un idiot si l'on veut ! Quand on voit la toute-puissance impériale se constituer au profit de tels maîtres, on se demande quelle prise et quels moyens d'action ils ont eus sur la nation romaine. On est tenté de chercher en dehors d'eux le secret de leur élévation, et l'on craint de ne le trouver que dans les profondeurs de la corruption humaine. Plus on met les monstruosités de ces maîtres imbéciles ou pervers en dehors de la nature, plus on s'étonne qu'une grande nation les ait souffertes. Inspirés par la perversité ou la folie, tolérés, encouragés par la lâcheté universelle, ces forfaits ou ces extravagances restent à la charge de l'humanité.

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Pour sortir un peu de cette honte, il faut passer aux Vespasien, aux Titus, aux Trajan, aux Marc-Aurèle. Il faut voir sur le trône le stoïcisme, auquel Rome, dit Montesquieu << dut ses meilleurs empereurs. Cependant une grande lutte se prépare, celle du paganisme et du christianisme, ou plutôt celle du monde ancien et du monde moderne. L'époque des persécutions religieuses est moins triste, à tout prendre, que celle des folies sanguinaires de Tibère ou de Caligula. Une grande cause est en jeu ; le sang ne coule pas moins, mais celui qui le fait répandre croit obéir à une idée, à un devoir Trajan est au nombre des persécuteurs. Puis l'enthousiasme des martyrs chrétiens relève la nature humaine que déshonorait la stupide résignation des victimes des premières cruautés impériales. M. Zeller nous présente tout le tableau de l'antagonisme plus compliqué qu'on ne

pense entre la société ancienne et les principes nouveaux. Il a bien vu comment la victoire du christianisme, loin d'être complète, ne fut qu'une transaction entre les idées en présence. Constantin est le type d'un christianisme hellénisant, Ελληνίζοντος Χριστιανισμοῦ. La fondation de Constantinople en est le triomphe. C'était, dit M. Zeller, « une capitale d'ordre tout composite.... On y vit une église des douze apôtres, une de la Sainte Paix (sainte Irène), un temple de la fortune de Rome, un temple de la Cybèle du mont Dyndime, Magnæ matris deum. Les statues de Castor et de Pollux se dressèrent dans l'hippodrome, la statue du soleil, portant la croix sur la tête, s'éleva près de la borne milliaire. » Sur toute cette époque, M. Zeller s'est heureusement inspiré des travaux des Allemands, de M. Ernest de Lasaulx particulièrement, qui joint à tant de savoir un sentiment si profond de la vie antique.

C'est aussi la science moderne qui lui a servi de guide dans son appréciation de l'empereur Julien. Il a compris ses tentatives impuissantes de restauration païenne; il a vu les motifs d'un ordre élevé qui les inspiraient, les erreurs philosophiques qui les compromettaient, les conditions. sociales et politiques qui les condamnaient à l'impuissance. Pour voir le christianisme sur le trône il faut aller jusqu'à Théodose, dont le portrait termine cette galerie des empereurs romains. M. Zeller le montre dépouillant la majesté impériale des garanties terribles que lui avait créées Tibère. Il enseigne, il pratique le pardon des outrages qui s'adressent à sa tête couronnée. Mais l'Église ramassera les armes qu'il laisse tomber, et, comme dit l'auteur,« par un singulier retour, l'accusation de lèse-majesté, crimen majeslatis, créé pour défendre la personne des empereurs païens, passe au service de l'Eglise pour atteindre le paganisme vaincu. »

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Mais nous arrivons à d'autres temps dont l'auteur des Empereurs romains ne veut pas franchir le seuil. Il avait à

parcourir une carrière assez vaste, et il l'a fournie avec bonheur et talent. Il y a fait preuve de science historique, d'indépendance d'appréciation; le seul reproche qu'on puisse lui faire est celui d'avoir diminué par des explications indulgentes cette horreur pour le mal, qui en est le premier châtiment et peut en arrêter la contagion.

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Des réhabilitations historiques. Marie Stuart et Philippe II.
MM. L. Wiesener et Ch. de Mouy.

L'histoire, qui est, dit-on, un tribunal, ne rend pas des jugements sans appel. Ses plus illustres procès sont sujets à révision, et les condamnations les plus unanimes peuvent être suivies de déclarations inattendues d'innocence. Les tentatives de réhabilitation sont même tout à fait dans le goût de notre époque; elles sont en histoire ce que le paradoxe est en philosophie; légères et frivoles, elles donnent un air d'originalité et font honneur à l'esprit d'indépendance; quand elles sont sérieuses, elles témoignent d'une connaissance approfondie des sources et du besoin de remonter, par delà les travaux de seconde main, aux documents authentiques. J'ai à mentionner deux tentatives de cette nature qui semblent indiquer de la part de leurs auteurs la recherche consciencieuse de la vérité plutôt que le désir de se signaler par des excentricités d'opinion.

M. L. Wiesener, professeur d'histoire au lycée Louis-leGrand, a entrepris de décharger la mémoire de Marie Stuart des hontes et des crimes qui pèsent sur elle. C'est l'objet d'un premier volume qu'il lui consacre sous ce titre : Marie Stuart et le comte de Bothwell1. Les noms de deux hommes dominent les événements malheureux ou coupa

1. Hachette et Cie, in-8, x11-552.

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