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les efforts des principaux acteurs. L'histoire n'est que la vie humaine en grand, et ce qu'il faut nous y montrer, c'est l'homme même. L'homme disparaît un peu dans le vaste tableau mouvant d'un siècle, d'une nation entière, pour ne laisser voir que la suite des faits, leurs résultats acquis, incontestés. Quelques noms propres surnagent escortés du souvenir d'avénements, de révolutions, de batailles, de traités de paix ou d'alliance, d'institutions et de constitutions. Mais quelle a été la part de tels et tels personnages dans ces événements? Y ont-ils présidé ou assisté? Les ont-ils voulus ou subis ? préparés ou mis à profit? Se rendre compte du rôle des acteurs et de leur influence sur la marche ou le dénoûment de la pièce est plus intéressant que de réduire la pièce, par l'énumération des actes et des scènes, à une sèche analyse, à un squelette. L'histoire, par l'infinité des choses qu'elle doit résumer, est souvent condamnée à n'être que le squelette des événements; la biographie, comme l'indique son nom même, est l'étude de la vie, et elle anime toute l'histoire en cherchant le res sort de ses mouvements divers dans des idées et des sentiments humains.

Ces réflexions expliquent l'intérêt qui s'attache aux monographies historiques en général, et je les invoque volontiers en faveur des nombreuses études réunies, sous le titre de Biographies contemporaines, par un ancien magis trat, M. A. Boullée. L'auteur n'entend pas par contemporains les personnages vivants, acteurs des événements du jour; il n'a pris pour sujets de ses études que morts, plus ou moins illustres. Ils appartiennent, dit-il, à la période comprise entre les dernières années du dixhuitième siècle et la première moitié du dix-neuvième: période qui n'a pas vu se succéder moins de six régimes divers, et proportionnellement la plus remplie de notre

1. Aug. Vaton, 2 vol. in-8, xí-492-524 p.

des

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histoire. Cette époque tour à tour si glorieusement et si tristement féconde, il la parcourt en tous sens, dans toutes ses sphères d'action; il y passe et repasse, sur la trace d'hommes d'Etat éminents, de généraux célèbres, d'administrateurs distingués, de magistrats ou d'écrivains estimés, et il cherche ce que la vie de chacun a reçu d'influence de ces grands événements ou en a exercé sur eux.

Sans prendre les premiers acteurs de ce long drame national de soixante ans, ceux dont le nom est synonyme de terreur, de puissance ou de génie, M. A. Boullée fait passer devant nos yeux une foule de figures intéressantes. En général, il les a choisies selon ses sympathies et il espère leur conquérir la sympathie des lecteurs. Ce ne sont pas à ses personnages que s'adressent les sévères leçons qu'il nous montre, dans sa Préface, comme la moralité même de l'histoire. Suivant l'auteur, l'étude sérieuse du passé fournit une « protestation contre les surprises apparentes de la Providence.... C'est à cette maîtresse de la vie humaine qu'il convient d'opposer aux prospérités éphémères de la force et de l'injustice, ces expiations formidables par lesquelles la sollicitude divine manifeste de temps à autre son réveil et sa puissance. » Il traduit alors et commente avec conviction ces beaux vers de Claudien :

Sæpe mihi dubiam traxit sententia mentem,
Curarent superi terras an nullus inesset
Rector, et incerto fluerent mortalia casu....
Abstulit hunc tandem Rufini pœna tumultum,
Absolvitque Deos. Jam non ad culmina rerum
Injustos crevisse queror; tolluntur in altum,
Ut lapsu graviore ruant.

Les Biographies contemporaines n'offriront point directement de si graves enseignements; M. Boullée n'a point de Rufin dans ses galeries. Il y a placé, en fait de ministres, des hommes honnêtes, faibles, indécis, aveuglés quelquefois par des idées fausses ou par la passion, incapables de pré

venir les malheurs publics par leurs bonnes intentions, ou y contribuant involontairement par leurs fautes. Il a moins demandé aux annales de la Révolution l'histoire de ses auteurs que celle de ses adversaires impuissants ou de ses victimes. Mais son évidente sympathie pour les serviteurs d'un régime vaincu ne lui fait pas oublier les devoirs de l'impartialité.

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D

Une étude touchante sur Louis XVII résume tout ce qui a été écrit de plus intéressant dans ces derniers temps sur cet enfant royal, plus digne que son père du titre de roimartyr. M. Boullée, d'après le Louis XVII, sa vie, son agonie et sa mort1, de M. de Beauchesne, nous dira toutes les tortures physiques et morales auxquelles il était réservé, et cet horrible régime qui faisait calculer à un commissaire de service avant combien de décades le jeune prince serait fou, idiot ou crevé. Comme contraste, il nous dit son heureuse et brillante enfance, précoce et toute pleine de promesses. Quel enfant de roi n'a beaucoup promis! Le futur esclave de Simon prononce des mots historiques, ou bien on lui en prête: c'est de rigueur. C'est ainsi qu'à la suite de l'exercice du maniement du fusil, un officier ayant demandé au Dauphin de lui rendre son arme, l'enfant s'y refusa brusquement, et sur une réprimande de sa gouvernante, il répondit : « Si monsieur m'eût dit de la lui donner, à la bonne heure; mais la lui rendre!... » Quelle joie et quel espoir ces étincelles de l'esprit causent au cœur d'un père! Chez le jeune Louis-Charles, on admirait moins la précocité de l'esprit que la bonté du cœur.

La plus importante des études appelées Biographies contemporaines est la notice sur le comte de Villèle. Elle ne compte pas moins de deux cents pages, et elle reproduit particulièrement tous les grands événements de la Restauration auxquels le nom et l'influence du comte de Villèle

1. 1852, 2 vol in-8; 2o edition, 1853, 2 vol. in-18.

ont été mêlés. Avec des personnages de cette importance, la biographie ne se distingue de l'histoire qu'en fournissant l'occasion de pénétrer plus intimement dans les ressorts secrets des événements. M. Boullée ne se refuse pas à cette tâche, et fait sur le rôle politique de son héros une lumière qui rejaillit sur tout un règne.

Des notices moins étendues mais encore importantes sur d'autres acteurs célèbres de la même période permettent à l'auteur de n'en laisser aucun point dans l'obscurité. Autour du comte de Villèle, il groupe le comte de Vaublanc, le baron Hyde de Neuville, le prince de Polignac, le comte de Peyronnet, de Vatismenil, et plusieurs autres dont le nom se rattache soit aux fautes qui ont perdu la monarchie légitime, soit aux efforts inutiles faits pour la sauver. Les notices de ces divers personnages témoignent d'une connaissance approfondie de leur vie, de leur caractère et de leur temps.

La notice qui permet à M. Boullée d'embrasser la période la plus longue est celle du général la Fayette. L'auteur voit en lui, avec raison, « la personnification la plus complète et la plus constante du principe révolutionnaire de 1789, » et à ce titre, il pense que « la Fayette a des droits incontestables au jugement de l'histoire. » Il trouve même qu'il est bien plus facile à juger, malgré sa mort encore récente, que des personnages disparus depuis longtemps. « Nous appartenons à une époque où l'expérience n'est pas lente à prononcer sur les théories; où le temps, juge favorable ou sévère, ne fait guère crédit aux systèmes; où les événements multiplient avec rapidité, sous toutes les formes, leurs utiles enseignements. » Voilà l'inspiration sous laquelle l'auteur des Biographies contemporaines aborde l'étude de « celui qui concourut puissamment à briser deux fois l'ordre monarchique en France. >> On sent que, s'il suivait son inclination, il tournerait volontiers la biographie en accusation contre cette mémoire deux fois

révolutionnaire, mais il s'efforce de se défendre des récriminations inutiles contre le passé; la mission de l'historien est d'expliquer les faits plutôt que d'accuser les hommes. Le second volume des Biographies contemporaines comprend, avec l'étude importante sur la Fayette, une vingtaine de notices beaucoup plus courtes sur des personnages qui ont en général servi la politique monarchique ou conser. vatrice des soldats, comme le général Vendamme ou le maréchal Valée, des ministres de Louis-Philippe, comme Casimir Périer et de Salvandy, des littérateurs qui ont défendu le parti de l'ordre, comme Ch. Lacretelle et surtout Gabriel Michaud. Rappelons aussi le nom d'une femme, illustration glorieuse de plusieurs règnes, Mme Recamier, et celui de la famille de Villeneuve dont les deux branches sont représentées par six personnages. Le chancelier de l'Hospital est le seul qui n'appartienne pas à l'époque contemporaine: la notice que lui consacre M. Boullée est empreinte de la plus sympathique admiration.

Les Biographies contemporaines se tiennent entre le panégyrique et le pamphlet, plus éloignées toutefois de ce lui-ci que du premier. L'auteur ne cache pas le mal, mais comme ses personnages sont, en général, selon son cœur, il fait surtout valoir le bien. Il donne aux hommes une physionomie intéressante, il expose avec clarté et autorité les grands événements où ils ont mis la main, il possède bien toutes les choses dont il parle et est familier avec les sources. Son style manque peut-être de relief et ne se défend pas toujours des négligences; mais tout son livre porte l'empreinte de l'écrivain consciencieux et instruit.

Quand il s'agit des vivants ou des morts d'hier, il est difficile de déterminer leur part dans les événements et de juger la valeur d'une œuvre à peine achevée. L'histoire par la biographie ne pourra s'écrire alors qu'avec une extrême réserve. Ce sentiment recommande particulière

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