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de publier cette année n'est pas écrite sous l'inspiration des préoccupations du public, mais pour le besoin d'un enseignement privé confié à l'auteur. Préparé par d'anciennes études, il a pensé que des leçons rédigées spécialement pour un élève vaudraient mieux que les livres d'histoire composés dans un autre but. Ses leçons mises bout à bout, dit-il lui-même, ont formé un ouvrage assez étendu, et il s'est vu pressé par ses amis de les publier dans l'intérêt de la jeunesse des écoles et dans celui des gens du monde. Aussi, ajoute-t-il lui-même, après ce renseignement, qu'il donne au public un livre qui n'était point fait pour lui.

M. Trognon n'a point reculé toutefois devant le travail de remaniement réclamé par une composition dont le but primitif était d'enseigner l'histoire et non de l'écrire. Auteur estimé de travaux historiques dont quelques-uns auront bientôt quarante ans de date1, il s'est servi de ceux qui ont été publiés dans l'intervalle par les Sismondi, les Guizot, les Thierry, les Henri Martin. Il a suivi d'aussi près que possible ces modèles, toutes les fois qu'ils lui ont paru avoir élevé certaines parties de nos annales au degré de vérité et de clarté qu'elles comportent. Quelquefois son principal travail a consisté à donner à son livre l'unité de plan et la proportion qui manquent trop souvent à des œuvres plus importantes.

Il lui a donné aussi l'unité d'esprit. Elle réside dans l'alliance, tant de fois préconisée, de la liberté et de la foi. M. Trognon considère l'une et l'autre comme les pivots de la société moderne et les conditions inséparables du progrès. L'esprit religieux n'a rien à craindre de l'esprit libéral, et celui-ci trouve dans le premier un allié naturel

1. Hachette et Cie, 3 vol. in-8; II-652-588-548 p.

2. On cite notamment : Histoire admirable du franc Harderad et de la vierge Aurélia, publiée en 1825; et les Études sur l'histoire de France, publiées en 1836.

pour défendre et conserver ses conquêtes. Jusqu'à quel point l'enseignement de notre histoire prouve-t-il cette union intime et étroite entre l'esprit libéral et l'esprit religieux, entre la foi armée d'autorité qui était l'âme de nos institutions du moyen age, et la tolérance issue de la liberté philosophique et passée dans les lois et les mœurs? Nous n'avons pas le loisir de le discuter; nous nous bornons à indiquer le point de vue où s'est placé M. Trognon et la transaction entre le passé et le présent par laquelle il a rattaché son œuvre, sans le vouloir peut-être, aux exigences et aux goûts d'une partie notable du public.

L'esprit de la nouvelle Histoire de France, les efforts de l'auteur pour conserver l'indépendance de la pensée dans le respect de la tradition religieuse, le soin avec lequel tout le livre est écrit, paraîtront mieux dans quelques citations. Voici par exemple, sous des couleurs plus favorables que d'habitude, le portrait de Louis le Débonnaire.

Il serait injuste de traiter avec dédain le successeur de Charlemagne, parce qu'il n'eut ni le génie ni la fortune de son père. Nos premiers historiens ont très-mal à propos traduit par le surnom à demi méprisant de Débonnaire celui de Pieux' donné à Louis par les contemporains pour rendre hommage à ses vertus religieuses, Il n'y eut chez lui faiblesse d'esprit ni de cœur; élevé par deux saints personnages dont les lumières égalaient la piété, Guillaume de Toulouse et Benoît d'Aniane, instruit dans l'art de régner par plusieurs années d'une expérience personnelle, brave à la guerre et « d'une force sans pareille à tirer de l'arc et à manier la lance, » simple et grave dans ses mœurs, ami de l'ordre et de la justice, il avait fait aimer et respecter son pouvoir en Aquitaine, et il eût pu gouverner l'empire avec honneur, si l'empire eût été gouvernable au temps où il en reçut l'héritage. L'histoire présente plus d'un exemple de princes montés sur le trône à l'heure fatale d'une révolution qu'ils n'avaient point provoquée, qu'ils furent impuissants à diriger et dont ils furent les victimes. Ce fut la destinée de Louis le Pieux.

1. En langue teutonique, fromm; en latin, pius.

Cet essai de réhabilitation des princes à la fois religieux et inférieurs à leur tâche royale est relevé ici par la nouveauté de l'aperçu. Ailleurs, nous trouvons une tentative d'apologie plus dangereuse, c'est celle de l'extermination des Albigeois ou du moins des résultats que cette atroce persécution devait produire.

Que fussent devenues, s'écrie l'historien en terminant son récit, ces provinces méridionales avec toutes leurs richesses et leur gai savoir, si elles eussent été abandonnées aux dognes pervers du manichéisme et à l'abrutissement oriental qu'il eût traîné à sa suite; si l'hérésie vaudoise y eût fait son chemin, côte à côte avec les erreurs laissées dans la Septimanie par le passage du génie arabe, et imparfaitement effacées par influence du christianisme? Que pouvait-il sortir de ce chaos de doctrines au milieu d'une société qui, vieille en sa jeunesse, avait appris déjà à rire des choses saintes, qui s'enivrait avec frénésie des jouissances du luxe, et qui, dans les raffinements de sa dépravation, allait applaudir à des consultations donnees et à des arrêts rendus en ses « cours d'amour > en faveur de l'adultère? Cette civilisation, comme celle que, dans le même siècle, le génie de l'empereur Frédéric II travaillait à faire éclore en Sicile, eût mené les peuples de l'Europe au rebours de la voie qui leur est tracée par la Providence; elle eût donné à Toulouse et à Palerme la splendeur de Bagdad et de Cordoue, si promptement et si irréparablement éclipsée. Au point où les choses en étaient venues dans la France méridionale, c'était pour elle une question de vie ou de mort que d'être ramenée à l'unité catholique, et, par elle, à la véritable civilisation européenne. Il faut gémir des moyens violents par lesquels la barbarie de cet âge l'y fit rentrer. Il faut repousser la doctrine fausse et perverse qui prétendrait justifier ces moyens par la fin à laquelle ils tendaient; mais il faut en même temps reconnaître que la désastreuse guerre des Albigeois passa sur le Midi comme un de ces ouragans qui purifient l'air en bouleversant la terre, et qu'elle laissa aux peuples de la Langue d'Oc, pour dédommagement de leur ruine matérielle, le bénéfice moral de leur association à l'unité religieuse et politique de la France et à ses grandes destinées....

A propos de semblables passages, M. Cuvillier-Fleury,

tout en professant pour M. Trognon et son livre une vive sympathie, a bien raison de s'écrier: « Pourquoi les révolutions sanguinaires faites au nom du ciel auraient-elles le privilége que nous contestons justement à celles qui sont accomplies, avec la même cruauté, au nom du peuple? Pourquoi la Terreur religieuse qui ravagea le Languedoc au treizième siècle serait-elle comparée à un orage dévastateur et bienfaisant, si la Terreur politique de 1793 ne mérite pas la même excuse!'» Et cependant M. Trognon protestera lui-même contre « la doctrine abominable de la moralité du succès, à propos de Louis XI, dont les crimes et les prospérités ont été si utiles à l'unité de la monarchie française. Tant il est rare de tourner contre une cause qui nous est particulièrement chère nos plus solides maximes d'équité; tant il est difficile à l'esprit religieux de rester vraiment libéral!

D

L'Histoire de France de M. Trognon doit former quatre volumes. Trois ont déjà paru. Les deux premiers traitent de la France au moyen âge », de 481 à 1483; ils n'embrassent pas moins de dix siècles. Les deux derniers sont consacrés à « la France moderne,» de 1483 à 1789. Trois siècles suffiront à les remplir et à les bien remplir. Le troisième va jusqu'à la mort d'Henri IV. A mesure qu'on se rapproche de notre époque, les faits sont plus connus et nous intéressent davantage. Les proportions sont bien gardées, et l'espace est suffisant pour tout ce qui vaut un souvenir.

1. Journal des Débats du 10 avril 1863.

6

L'histoire de France écrite et figurée. MM. H. Bordier,
Ed. Charton, V. Duruy.

Il était naturel, au milieu du goût général de notre épcque pour les livres et les journaux illustrés, de songer à populariser par l'illustration notre histoire nationale. Nous avons à signaler deux tentatives de ce genre inspirées par des tendances un peu différentes et réalisées dans des conditions assez dissemblables d'exécution et de succès. Je veux parler de l'Histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours, d'après les documents originaux et les monuments de l'art de chaque époque, par MM. Henri Bordier et Édouard Charton1, et de l'Histoire populaire de la France, publiée sans autre nom que celui de l'éditeur, M. Ch. Lahure. Le premier de ces deux ouvrages est né d'un des plus longs succès que les publications illustrées puissent se promettre, de celui du Magasin pittoresque. Pendant les trente années d'une prospérité qui n'a pas dit son dernier mot, le Magasin piltoresque avait donné des séries de dessins relatifs à notre histoire, des portraits, des médailles, des vues de monuments, des armures, des costumes, des inscriptions murales, des fac-simile d'écritures ou de gravures anciennes, des scènes historiques, etc. Il ne s'agissait que de réunir et coordonner ces dessins pour en faire le commentaire figuré de toute notre histoire.

Le fondateur du Magasin pittoresque, M. Ed. Charton s'est associé un paléographe distingué, M. Henri Bordier, pour en écrire le texte. La pensée qui a présidé au choix

1. Aux bureaux du Magasin pittoresque; 2 vol. in-4, 572-606 p. 2. Hachette et Cie, 4 vol. in-4.

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