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les résultats, en reproduisant au moins le texte de ses anciennes investigations. De là une deuxième édition de deux livres le Soudan et Égypte et Éthiopie. Ils ont, à défaut du mérite de la nouveauté, l'avantage de ne pouvoir être remplacés; car la plupart des conquêtes de Méhémet-Ali sont perdues pour l'Égypte, et il ne serait pas sans danger de mettre aujourd'hui les pieds dans des contrées où la race blanche n'a guère laissé que d'odieux souvenirs. Cela ajoute encore à l'intérêt des récits et des observations du premier et dernier voyageur européen admis à les étudier librement et de si près.

Nous ne suivrons pas davantage les artistes, les écrivains, les philosophes ou les publicistes dans leurs excursions à l'étranger. Nous avons hâte de revenir à la France, au mouvement d'idées qui s'y produit et que les publications de l'année nous attestent. C'est la France et la peinture de notre propre état intellectuel et moral que nous présente, sous la fiction d'un voyage lointain, le Paris en Amérique, du docteur René Lefèbre. Le publiciste libéral caché sous ce pseudonyme a trouvé plaisant de transporter dans cette Amérique du Nord, dont il a toujours jugé très-favorablement les principes, un bourgeois parisien habitué aux bienfaits forcés de la centralisation et de la tutelle administrative. C'est un cadre ingénieux ouvert à l'appréciation comparée des types les plus opposés de système politique et de mœurs publiques.

Rentré en France, nous avons pour la connaître dans ses diverses parties, un certain nombre de livres spéciaux écrits sur chaque province par des hommes curieux et lettrés qui l'habitent. Ces livres sont trop souvent gâtés,

1. Hachette et Cie, in-8, 456 p. 2. Même librairie, in-8, 432 p. 3. Charpentier, in-18.

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pour le fond, par les exagérations du patriotisme de clocher, dans la forme, par l'inexpérience ou par l'ambition de l'écrivain. Je signalerai avec plaisir, comme échappant à ces écueils, M. J. Loiseleur, bibliothécaire de la ville d'Orléans, auteur des Résidences royales de la Loire1. Ce livre justifie sans peine la qualification qu'il donne à la Loire de fleuve national par excellence. La part des belles provinces qu'elle arrose, dans les luttes et les destinées de la France monarchique, les monuments semés sur ses bords la disent assez haut, l'histoire l'a dit plus haut encore. M. Loiseleur reprend ce double témoignage pour le commenter et l'éclaircir; il nous conduit dans les fameux châteaux de Chambord, de Blois, de Chaumont, d'Amboise, de Chenonceaux, qui marquent autant d'étapes de la monarchie; il les décrit en cicerone intelligent, curieux, artiste et érudit. Il a autant de science que de goût, de curiosité pour soulever les questions que de sagacité pour les résoudre. Il est historien et archéologue; sur les monuments comme sur les faits dont ils ont été témoins, son savoir est sûr, exact et précis.

Les Résidences royales sont le vrai guide de ces voyages à petites journées, comme les jeunes gens intelligents et curieux aimaient à en faire autrefois, le sac sur le dos, quelques bons livres dans les bagages, pour aider les lieux visités à fournir une plus riche provision de souvenirs. Avec M. Loiseleur, rien ne vous échappe de la nature, de l'art qui l'embellit, de l'histoire qui l'anime ou l'assombrit tour à tour, sur les rives de la Loire où la nature est gracieuse, l'art florissant et l'histoire féconde.

Pour nous aider à connaître toute la France, il nous tarde de voir paraître sur ces différentes régions les Guides et Itinéraires dont M. Ad. Joanne enrichit, chaque année,

1. Dentu, in-18, 380 p.

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la précieuse collection qui porte son nom. J'ai dit les qualités qui recommandent ces livres de voyage exécutés par lui-même ou sous son inspiration et son contrôle, l'intérêt et la variété des renseignements qu'ils embrassent, les habitudes de précision et le besoin d'exactitude scrupuleuse dont ils témoignent. Aux nombreux volumes qui sont sortis de la main de M. Joanne lui-même, il faut ajouter l'Itinéraire descriptif et historique du Dauphiné, dont il vient d'achever la publication'. C'est un des Guides qu'il paraît avoir rédigés avec le plus de complaisance et de soin. L'histoire, la géographie, les curiosités naturelles, l'art, la science, l'administration, les traditions, les mœurs, rien n'a été oublié de ce qu'on cherche à connaître, quand on visite avec intelligence une belle et intéressante contrée; et sur ces divers points toutes les notions que M. Joanne nous transmet ont été vérifiées, contrôlées au prix des plus minutieuses recherches. L'exactitude de tels tableaux en est toujours le premier mérite. Le choix intelligent des détails, la proportion des parties, la clarté de la mise en œuvre ne sont pas non plus des qualités à dédaigner, et M. Joanne nous a depuis longtemps habitués à les goûter dans ses ouvrages.

1. Hachette et Cie, in-18, Ire partie, xxxvi-376 p.; II° partie, xII472 p.

SCIENCES MORALES ET POLITIQUES.

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Prédominance des questions religieuses et renaissance de la liberté de discussion. M. Renan et ses divers appréciateurs.

La question religieuse qui grondait sourdement dans les esprits depuis un certain nombre d'années s'est posée en 1863 avec un singulier éclat. Elle a dominé toutes les autres questions, dans les publications relatives aux sciences morales et politiques. Le roman, la poésie, le théatre, l'histoire l'avaient plus d'une fois traitée, mais d'une manière détournée et en la subordonnant aux passions, aux sentiments, aux intrigues, aux événements auxquels elle peut se mêler. Il semblait interdit au philosophe, au rationaliste, au libre penseur, d'aborder de front l'examen des principes mêmes sur lesquels les idées religieuses reposent. Après les attaques si vives du siècle dernier contre la divinité du Christianisme, après les discussions plus calmes mais non moins libres de la première moitié de ce siècle, il était difficile de trouver quelque chose de nouveau en fait de doutes ou de négations bardies; et pourtant, il n'était plus permis de soumettre à la critique les origines de la religion établie, l'authenticité de ses livres, la vérité de ses dogmes, son avenir compatible ou incompatible avec les progrès de la civilisation moderne. Une vérité officielle s'était accréditée sur ces divers points, et les livres écrits pour la contredire, exposés aux poursuites des tribunaux pour « outrages envers les reli

gions, dont l'établissement est légalement reconnu,» devaient s'imprimer à l'étranger; Bruxelles était devenu pour eux, comme autrefois Amsterdam ou La Haye, le refuge de la libre pensée. Quand ces livres rentraient en France, ils étaient traités comme des pamphlets ou des libelles diffamatoires, quel que fût le ton de leurs discussions savantes. On les arrêtait à la frontière; on incriminait l'auteur à propos de leur circulation prohibée; il devait prouver que l'introduction de son ouvrage avait lieu sans sa participation et consentir à la destruction des exemplaires saisis, pour voir cesser les poursuites contre sa personne. Si un journaliste, trompé par les apparences favorables d'une ordonnance de non-lieu, hasardait un compte rendu de l'ouvrage non poursuivi, il s'exposait à la terrible répression de l'avertissement, et pour un article de haute discussion religieuse mettait un grand journal politique à deux doigts de sa perte1.

En quelques mois, les choses ont bien changé de face. Les livres de la critique religieuse la plus téméraire, de l'exégèse la moins orthodoxe, s'impriment librement en France, quel que soit l'effroi causé par leurs conclusions aux représentants des cultes légalement reconnus, quelques censures, condamnations et anathèmes ecclésiastiques qu'ils attirent sur la tête de leurs auteurs. Ces livres deviennent même l'événement de l'année; ils sont le centre d'un mouvement bibliographique considérable; ils sont l'objet de comptes rendus innombrables dans les journaux et les revues; non-seulement on les analyse et on les commente, mais tandis que les organes de l'orthodoxie fulminent contre des hardiesses dont nous étions déshabitués, ceux de la libre

1. Voy. t. III de l'Année littéraire, p. 497-498, le texte de l'avertissement donné au journal le Siècle, à propos du compte rendu de deux ouvrages de M. P. Larroque, ancien recteur de l'Académie de Lyon, ainsi que l'extrait du réquisitoire du procureur impérial reproduit par l'avertissement (10 mars 1860).

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