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Plomb merveilleux, dans nos outils
Fais résonner ton cliquetis.

Un jour, mousquet, sabres et piques,
En socs le marteau vous tordra;
Seul, des grandes luttes épiques
Le souvenir surnagera;

Et vous, petits-fils des Xaintrailles,
Des Catinat et des Joubert,

Dans le creuset de Gutenberg
Vous fondrez le plomb des batailles.

Plomb merveilleux, dans nos outils
Fais résonner top cliquetis.

Refuserai-je un souvenir à la quatrième édition du petit recueil d'un autre ancien correcteur d'imprimerie, de M. André Lemoyne, que j'ai déjà apprécié et fait connaître par une citation'. Son livre s'appelait, du titre de quelques-unes de ses pièces, Stella maris, Ecce homo, etc.; il reparaît accru de quelques pièces nouvelles qui lui donnent un autre titre : Chemin perdu, la Fée des pleurs, etc. 2. Le petit morceau que j'ai reproduit il y a trois ans, me semble encore celui qui fait le plus d'honneur au talent sobre et gracieux de l'auteur. Mais pourquoi cette mobilité d'un titre insaisissable? Par pitié pour les bibliographes de l'avenir, ne les exposons pas à prendre les diverses éditions de nos livres pour autant de livres distincts. Peut-être sommes-nous trop modestes pour croire que les bibliographes s'occuperont de nous.

Ils auraient fort à faire, s'ils devaient s'occuper de tous nos recueils de vers; car j'en passe moi-même beaucoup, et des grands et des petits, et des meilleurs peut-être et des pires. J'en passe comme les Flors de lys de M. Réné

1. Voy. t. II de l'Année littéraire, p. 48-50. 2. Firmin Didot, petit in-18, 118 p.

Biémont', qui rachètent la faiblesse d'une poésie de début, par une piquante préface de critique et d'histoire litté raire; j'en passe qui aggravent, par une préface ambitieuse, le tort de publier de mauvais vers. Je passe aussi des poëmes qui, écrits très-sérieusement, pourraient obtenir, s'ils étaient plus connus, un succès de fou rire, comme les Désespérés, poëme héroï-comique, didactique, classique et satirique en dix-huit chants, par M. Tapon Fougas 2. On y verrait pourtant comment un grand poëte et un illustre critique ont fait, chacun de leur côté, un horrible complot pour étouffer la gloire d'un écrivain. Mais celui-ci ne se laisse pas égorger en silence, et sa muse indignée dénonce l'Hugolatrie et la Janinocratie comme les deux fléaux du siècle; ce sont eux qui ont empêché les onze drames de l'auteur d'être représentés, ou de se vendre et d'opérer la régénération complète du théâtre. Mais, Dieu merci! son poëme en aura délivré le monde.

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Pourquoi faut-il passer sous silence ou n'indiquer qu'en courant les poésies si curieuses, si attristantes ou si bouffonnes, suivant le point de vue, de M. Gagne, avocat et homme de lettres, l'avocat des fous, comme il s'appelle et le «< candidat surnaturel, universel et perpétuel des dernières élections législatives? Il a pourtant donné, cette année, le Calvaire des rois, qui lui fournit une occasion de rappeler, au-dessous de son nom, tous ses titres. On saura donc que M. Gagne est « auteur de l'Unitéïde, poëme en douze chants et soixante actes; de l'Histoire des miracles, renfermant l'histoire de ma mort, de ma vie miraculeuse et le bonheur du crucifiement; de la Constitution universelle de l'avenir, ou le salut de l'Italie, de la France et du monde; du Suicide, de la Monopanglotte ou langue univer

1. Versailles, Beau jeune, petit in-18, 168 pages. 2. Chez tous les libraires, in-12 (prix 6 francs).

selle; de l'Od-Esprit prouvant l'intervention des esprits de l'Od; de la Comète de l'Antéchrist; des Vendeurs du temple; des Bêtes de la liberté ; rédacteur en chef de l'Espérance, du Théâtre du monde, du Journalophage, de l'Uniteur du monde visible et invisible, journal surnaturel prouvant l'intervention de Satan dans le Spiri-satanisme, ou évocation des esprits; - candidat surnaturel, universel et perpétuel à la députation et à l'Académie française, etc., etc. >>

«

Parmi ces ouvrages, l'Unitéïde ou la Femme Messie, poëme universel, n'a pas moins de sept cent vingt-six pages du plus grand format in-octavo, qui doivent contenir plus de vingt-cinq mille vers. Le Calvaire des rois, qui n'a que trois cents pages du même format, est la mise en scène du martyre de Louis XVI, de Marie-Antoinette, d'Elisabeth et de Louis XVII. La couverture rouge et noire, portant une grande croix de mission entourée de larmes, donne à ce drame en cinq actes le titre de Régi-tragédie épique, historique et nationale. » Les vers, tour à tour grotesques et plats, sont précédés d'une préface comiquement furibonde dirigée contre l'école satanique, que représentent en littérature le romantisme et la fantaisie. L'École de l'enfer, ce sont les possédés démoniaques des Misérables, de la Quintinie et de la Vie de Jésus,»- le Maudit n'avait pas encore paru qui la font triompher. Quand on voit revenir en pareils échos les déclamations et les foudres lancées de haut contre M. Victor Hugo, George Sand et M. Renan, on ne sait plus si l'on doit rire ou s'affliger des conséquences du fanatisme en littérature. Mais nous voilà bien loin de la poésie, sans cesser de parler de vers; c'est ce qui prouve une fois de plus que les ardeurs du prosélytisme peuvent aussi bien égarer le poëte que lui fournir des inspirations.

AYLOR

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La traduction en vers les traductions complètes ou partielles, fidèles ou libres. MM. Mesnard, Autran, Fallex, Topin, et Desserteaux.

La traduction en vers des poëtes anciens ou étrangers prouve toujours, de la part de celui qui s'y livre, un extrême amour pour l'antiquité ou pour les littératures étrangères. Mais reproduire les modèles qu'on aime, dans des imitations qui n'en peuvent donner que la plus imparfaite idée, ce n'est pas le meilleur moyen d'augmenter le nombre de leurs admirateurs. J'applique avec regret ces réflexions à un esprit distingué, à un homme de goût à la fois et de savoir, M. Paul Mesnard, qui est allé chercher dans la Grèce ancienne celui des auteurs tragiques et l'une des œuvres qui s'éloignent le plus de notre génie : il nous donne l'Orestie, trilogie tragique d'Eschyle1, ce grand drame en trois drames que M. Alex. Dumas s'était efforcé, il y a quelques années, sans beaucoup de succès, de faire passer sur une scène française par une plus libre interprétation3.

La traduction nouvelle a été entreprise avec un tel désir d'être fidèle que l'auteur a eu la pensée de mettre le texte en regard, afin que le lecteur pût juger constamment de l'exactitude. J'avoue que ce mérite, si important qu'il soit, n'est que secondaire dans une traduction poétique: le premier mérite serait de se faire lire, et cela ne s'obtient que par le mouvement, l'éclat, la chaleur, toutes choses étrangères au plus ou moins de précision dans l'interprétation des détails. Peu importe, quand il s'agit de mettre de bons vers français sous de beaux vers grecs, qu'on ait suivi le

1. Hachette et Cie, in-8, 308 pages.

2. Théâtre de la Porte Saint-Martin, 5 janvier 1856.

texte de tel ou tel philologue. M. Paul Mesnard nous avertit qu'il a suivi celui de Boisonnade, lequel « donne très-peu aux conjectures, aux restitutions hasardées. » Il ajoute « J'ai cependant profité, pour ma traduction, de quelques-unes des ingénieuses corrections de Schütz, de Bothe, d'Ahrens, dont j'ai eu constamment sous les yeux le texte et le commentaire. Et c'est là le malheur! C'est là ce qui fait notre embarras pour détacher de la nouvelle Orestie un fragment, une page vraiment poétique, malgré de beaux vers isolés comme celui-ci :

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J'ai la crainte toujours debout à mes côtés,

dont l'image est fidèlement calquée sur le grec. Mais, en général, le traducteur en vers doit traiter les poëtes en poëte et non en philologue. Le vers doit rendre la poésie, et lorsqu'il ne le fait pas, il reste, pour l'intelligence du modèle, inférieur à la plus humble traduction mot à mot, au français interlinéaire imaginé de nos jours pour les écoliers, ou au petit latin des anciennes éditions.

M. Paul Mesnard a mis en tête de l'Orestie un Avantpropos et une Introduction. Dans l'un, il défend, comme c'est son droit, la cause de la traduction en vers, cause qui a plus besoin d'être défendue par de bons exemples que par des arguments; dans l'autre, il présente une étude savante sur l'auteur et le grand sujet qu'il a osé aborder. Ceux à qui son talent poétique semble insuffisant pour faire passer Eschyle dans notre langue, pourront prendre au moins l'érudition du traducteur pour guide d'une étude approfondie du modèle.

M. Autran est fidèle à la poésie : soyons fidèle à M. Autran. Cette année, nous le trouvons dans le groupe des traducteurs, et j'avoue qu'il est de ceux qui me reconcilieraient avec la traduction en vers. Il est vrai qu'il ne se pique pas d'y porter l'exactitude minutieuse que réclame

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