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démiciens pour travailler avec eux à leur Dictionnaire historique de la langue. On pense que le savoir si précis et l'énergie un peu rigide de M. Littré aurait été très-utile à des confrères, qui pour être savants avec délices peuvent être, comme Figaro, paresseux de la même façon. Leur goût, d'autre part, leur aimable laisser-aller, comme dit encore M. Sainte-Beuve, pouvaient ne pas être inutiles à un esprit sévère, mais un peu absolu. M. Sainte-Beuve, tout acadé micien qu'il est, ne se dissimule pas que l'Académie aurait encore plus gagné que M. Littré à ce fraternel rapprochement, et il regrette sincèrement que, la question d'athéisme venant à propos, comme un Deus ex machiná, pour tout déranger, l'illustre compagnie ait repoussé M. Littré comme elle avait repoussé Ménage, comme elle avait chassé même Furetière. L'un et l'autre étaient aussi auteurs de dictionnaires, et on pouvait presque croire à une certaine jalousie de métier. Pour nous qui ne sommes pas acadé micien, et qui n'avons pas chance de l'être, nous ne serons pas moins franc que M. Sainte-Beuve, et nous dirons toute notre pensée. Si M. Littré fût entré à l'Académie française, il se serait sans doute attaché au Dictionnaire historique qui aurait eu, grâce à lui, encore quelques livraisons, mais n'y aurait-il pas sacrifié le sien, et pour quelques beaux fragments de plus, la langue française n'eût-elle pas compté une grande œuvre de moins1?

1. M. Littré cite, dans sa Préface, un certain nombre de collaborateurs à la tête desquels il place M. Beaujean, professeur. Après avoir dit toute la part que M. Beaujean a prise et continuera de prendre à cet énorme travail, M. Littré ajoute: « Je voudrais qu'une telle collaboration fût un titre pour lui. » Elle en sera un, en effet, et des plus honorables.

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La critique savante de l'antiquité classique. MM. E. Egger,
J. P. Rossignol, Reinaud.

J'ai dit le double caractère de l'érudition chez M. E. Egger, l'un des meilleurs représentants de la philologie française1. A ses Mémoires de littérature ancienne, il vient de donner pour pendant un volume de Mémoires d'Histoire ancienne et de Philologie. Les morceaux qui composent ce nouveau recueil, offrent, en général, un intérêt plus spécial et pour ainsi dire plus technique que ceux du recueil précédent. Les recherches de l'archéologie érudite, l'interprétation de quelques énigmes de l'épigraphie ancienne, la discussion de textes obscurs, le rétablissement de monuments mutilés, tiennent ici une assez grande place. Au moins, ces questions difficiles s'éclairent de toutes les lumières qu'elles sont susceptibles de recevoir. Les inscriptions grecques et latines qu'il s'agit de déchiffrer, sont reproduites en fac simile par la gravure; le dessinateur vient aussi en aide à l'érudit pour mettre sous les yeux certains instruments antiques dont on veut déterminer les usages par l'interprétation des textes. Quand M. E. Egger fait de l'érudition, il n'en fait pas à demi et ne recule devant aucune des difficultés qu'il se propose d'éclaircir.

Le volume des Mémoires d'Histoire ancienne et de Philologie, contient cependant encore quelques études plus accessibles aux amis des lettres savantes, qui ne sont pas des savants eux-mêmes. Telle est la notice sur la vie et les travaux d'A. J. Letronne; tels sont les articles sur Polémon, le voyageur archéologue, sur les honneurs pu

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blics chez les Athéniens, sur le prix du papier au temps de Périclès, sur la fonction de secrétaire des princes, sur les journaux chez les Romains et les annales des Pontifes, sur l'esclavage dans l'antiquité, sur le recueil des fragments de la comédie grecque, sur un historien grec de la Grèce moderne. Ces divers morceaux « apportent, comme le dit l'auteur, une utile variété à ce second recueil où dominent les discussions un peu sévères de la critique et de la philologie.

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La plupart ont été écrits pour des journaux, et, selon le public auquel on s'adressait, il fallait donner la science à plus ou moins forte dose. Un homme qui, pour être savant, n'en est pas moins un esprit juste, ne sert pas les mêmes articles au Journal des Débats, au Journal général de l'Instruction publique et au Journal des Savants. M. Egger connaît les répugnances et les frayeurs des gens du monde en matière d'érudition littéraire et il dit finement: Tel admirateur de l'Énéide qui la lit et la relit sans cesse, s'inquiète fort peu de savoir s'il nous reste ou non quelques beaux vers d'Ennius, cet incorrect et pourtant éloquent prédécesseur de Virgile. Tel magistrat, tel général qui a trouvé le loisir de traduire Horace, et même de le traduire en vers, sait à peine qu'il existe aussi de beaux vers de Lucilius, le maître d'Horace dans la satire. Mais quoi? Ennius et Lucilius ont eu le tort de laisser détruire leurs œuvres par le temps. Pour jouir un peu de ce qui a survécu au naufrage, il faudrait compulser les grammairiens, aborder au moins quelque gros volume tout hérissé de commentaires et de discussions savantes. Le monde élégant a peur des discussions et des commentaires; il renonce vite au plaisir qu'il faudrait chercher trop loin et payer de quelques ennuis. Eh bien! le monde élégant a tort et deux fois tort, quand, à part l'intérêt des questions de littérature érudite, il a le bonheur d'avoir l'érudition des Boissonade ou des Egger pour guide.

C'est moins aux gens du monde qu'aux savants et aux plus versés dans les profondeurs de l'érudition grecque et latine, qu'un autre membre de l'Institut, M. J. P. Rossignol adresse un livre tout entier sur un sujet en apparence très-restreint. Il a pour titre complet: les Métaux dans l'antiquité, Origines religieuses de la métallurgie ou les dieux de la Samothrace représentés comme métallurges d'après l'histoire et la géographie; De l'orichalque, histoire du cuivre et de ses alliages, suivie d'une appendice sur les substances appelées électre'.

Malgré le caractère tout spécial et pour ainsi dire technique des questions étudiées par l'auteur, il y a des points par où son livre touche à des problèmes d'un intérêt général, il peut éclaircir quelques côtés obscurs de la mythologie grecque ou de l'histoire de l'industrie dans l'antiquité et par suite de la civilisation elle-même. M. Rossignol a été frappé de la relation établie par les traditions de l'ancienne Grèce, eutre les dieux de la Samothrace, Dactiles, Cabires, Corybantes, Curètes, Belchines, et le développement de l'industrie métallurgique. Il a remarqué que la présence de ces génies indiquait toujours la vocation d'un peuple pour les travaux métallurgiques et la nature métallifère du sol. A ses yeux, le culte des génies métallurges est un fait notable, et une institution de mystères est née de la découverte des métaux et de leurs usages, comme il en était né de l'invention du blé, de la vigne et des autres grandes découvertes utiles. Chez les Grecs, dit l'auteur, toute découverte un peu importante se rattache à la théologie; c'est l'œuvre de l'admiration et de la reconnaissance des hommes. »

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Mais ce n'est point par des considérations de philosophie ou d'histoire religieuse comparée que l'auteur des Métaux dans l'antiquité se propose d'éclaircir son sujet; c'est par

1. A. Durand, in-8, 392 p.

des textes tirés de nombreux et divers auteurs et dont il s'efforce de former un faisceau. Ces textes auxquels il demande de la lumière, ont le plus souvent besoin d'être eux-mêmes éclaircis. M. Rossignol les discute, les commente, les rapproche ou les oppose, et tâche d'en tirer des notions plus exactes et plus complètes que celles répandues jusqu'à ce jour sur les métaux, leur fabrication et leurs usages. La plus grande indécision règne souvent parmi les lecteurs et même parmi les commentateurs de l'antiquité sur la nature précise de certains métaux ou composés métalliques, tels que l'airain, l'orichalque ou l'électre si souvent mentionné par les poëtes. Que de gloses par exemple sur ce vers de Virgile:

Purior electro campum petit amnis....

Il est vrai qu'on peut goûter la beauté des vers sans connaître au juste la composition chimique des objets divers, des armes, des instruments dont le poëte décrit la forme ou qui lui fournissent des images. Mais M. Rossignol n'en a pas moins pensé avec raison que partout où il y a un problème, un mystère, il doit y avoir un esprit curieux pour le sonder, sinon pour le résoudre.

L'érudition se flatte de tout renouveler, de tout étendre, aussi bien l'histoire que la science religieuse. Un membre de l'Institut, dont nous avons plusieurs fois indiqué les savants travaux, M. Reynaud, a lu à l'Académie des inscriptions et belles-lettres des mémoires sur l'Empire romain, qui nous donnent de l'étendue de cet Empire et de ses relations avec l'extrême Orient, des idées nouvelles; il les publie sous ce titre : Relations politiques et commerciales de l'Empire romain avec l'Asie orientale, (l'Hyrcanie, l'Inde, la Bactriane et la Chine) pendant les cinq premiers siècles de l'ere chrétienne, d'après les témoignages latins,

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