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grecs, arabes, persans, indiens et chinois1. Ce travail est de nature non-seulement à piquer la curiosité des érudits, mais à exciter l'attention générale. Quoi de plus grand que l'Empire romain d'après nos souvenirs classiques! Suivant M. Reynaud, il était plus grand encore que nous ne l'avions cru jusqu'ici, et ses relations l'ont mêlé par delà ses limites, à l'histoire de tout le reste de l'humanité. Il y a eu des échanges d'ambassades entre Rome et la Chine; le commerce a révélé aux maîtres du monde les peuples que la guerre ne leur avait pas fait connaître; le rôle de Marc-Antoine d'abord, puis les rôles de plusieurs empereurs, Auguste, Trajan, Aurélien, Constantin, doivent être considérés sous un aspect nouveau. La littérature ellemême, représentée sous ces princes, par Virgile, Horace, Tibulle, Properce, Martial, devient, suivant M. Reynaud, susceptible d'une interprétation plus large, et certaines obscurités de texte s'évanouissent à la lumière des nouvelles découvertes historiques.

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L'érudition dans les thèses du doctorat és lettres. MM. Desdevisesdu-Dézert, Ed. Tournier, Bréal.

Les recherches érudites sont naturellement d'autant plus approfondies que le sujet est plus restreint: témoin la Géographie ancienne de la Macédoine par M. Desdevisesdu-Dézert, professeur d'histoire. Voici un homme de nos. jours, un Français qui connaît mieux un pays ancien que les anciens ne font pu connaître eux-mêmes. Il n'y a point chez nous de département, de canton, de commune, dont l'histoire et la topographie soient relevées plus mi

1. Imprimerie impériale in-8 340 p. avec 4 cartes. 2. Durand, in-8, xп-456 pages avec carte.

nutieusement par un de leurs habitants que celles de la Macédoine par M. Desdevises-du-Dézert. Non-seulement il décrit tous les cours d'eau, toutes les vallées, toutes les montagnes, et en retrace l'image détaillée dans une belle carte, mais il recherche quels peuples, quelles tribus ont successivement habité aux diverses époques tous les points du pays. Et les populations primitives semblent avoir été d'une diversité inépuisable, tant les noms varient d'un ruisseau à l'autre, du versant d'une montagne à l'autre versant. Une circonstance rendait un tel travail très-difcile, et en diminue l'utilité pour l'intelligence des poëtes, c'est que ceux-ci, Homère par exemple et Virgile après lui, confondent tous les noms et, par une métonymie perpétuelle, prenant la partie pour le tout, désignent volontiers par le nom d'une peuplade macédonienne, non-seulement toute la Macédoine mais la Grèce entière.

Le livre qui précède a été composé pour servir de thèse de doctorat ès-lettres. Cette épreuve est, dans l'Université, l'occasion, de nombreux travaux. Cette année, l'érudition y domine; dans les dernières années, c'était l'histoire; autrefois c'était la philosophie dont le tour reviendra sans doute. Une thèse ingénieuse est celle de M. Ed. Tournier, Némėsis ou la jalousie des dieux1. L'érudition que l'auteur met en œuvre se rapporte surtout aux monuments classiques; il a recueilli tous les témoignages des poëtes, des philosophes, des historiens sur l'idée de la jalousie des dieux, personnifiée en Némésis. Les anciens Grecs étaient profondément persuadés que les dieux devenaient jaloux des hommes; on trouve la trace de cette croyance dans les traditions mythologiques; les poëtes s'en font les échos, les sages en tiennent compte et en tirent des conclusions pratiques. On la trouve dans Homère, et

1. A. Durand, in-8, vIII-288.

surtout dans Eschyle: la légende de Promothée en est la terrible manifestation. Un effet de cette croyance est la peur qu'inspire aux hommes leur prospérité; Hérodote lui donne place parmi les faits historiques. Les moralistes. tirent de cette foi populaire des leçons de modération : << rien de trop, se connaître soi-même, se souvenir qu'on est mortel, la mesure est ce qu'il a de meilleur : » Ces maximes et tant d'autres sont, d'après le travail de M. Tournier, l'effet de la crainte que les anciens avaient d'attirer sur eux les regards jaloux des dieux.

observer la mesure,

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L'antiquité grecque ne suffit pas à nos jeunes docteurs. Elle fournissait jusqu'ici des origines aux traditions, mythes et légendes des temps postérieurs; on lui cherche aujourd'hui des origines à elle-même, dans un passé plus reculé, celui de la langue et de la littérature des Hindous. C'est la méthode suivie dans une autre thèse de l'année, Hercule et Cacus, étude de mythologie comparée, par M. Michel Bréal1. Le recours aux mythes indiens pour expliquer les fables grecques, n'est point chose nouvelle même en France, mais la Faculté des lettres était encore peu familière avec ces recherches en grande faveur dans certaines universités étrangères. M. Bréal indique les vicissitudes que les traditions, en passant d'un pays à un autre, éprouvent elles-mêmes, par l'altération de la langue; l'oubli du sens primitif suffit pour métamorphoser toute une croyance mythologique. La fable d'Hercule et Cacus, par exemple, n'est qu'un mythe de l'Inde, personnifiant à l'origine un phénomène naturel; mais les mots qui en exprimaient les circonstances, perdant leur signification, sont devenus des noms de dieux, héros de merveilleuses aventures; à la description d'un nuage qui, déchiré par

1. A. Durand, in-8.

la foudre, laisse tomber une pluie bienfaisante, se substitue le combat du dieu Indra contre le démon Vritra, ravisseur des vaches couleur de pourpre, c'est-à-dire des nuées renfermant la pluie. Le phénomène physique a complétement disparu de la fable grecque d'Héraclès et Geryon, de la fable latine d'Hercule et Cacus. L'une et l'autre n'en ont pas moins leur explication dans le mythe indien et dans la description d'un fait naturel, suivant l'école symbolique. que M. Bréal est venu représenter dans notre antique Sorbonne. Il y a là, dans une certaine mesure, comme un retour, au nom de la science, vers les idées d'un illustre incrédule du siècle dernier sur l'origine des cultes.

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Travaux divers de philologie et traductions. MM. Cenac-Moncaut, G. Paris, Déhèque, Cartelier, etc. Répertoires bibliographiques.

Les comptes rendus qui précèdent suffisent-ils à donner une idée de l'activité qui règne de nos jours dans le cercle des savantes recherches littéraires et de l'érudition? Si rapides qu'ils soient, je suis obligé d'abréger encore et de me borner à une simple énumération, là où, avec plus d'espace, plus de loisir et plus de savoir, je trouverais matière à d'intéressantes études.

Dans l'ordre de la philologie, je signalerai le Dictionnaire gascon-français de M. Cénac-Moncaut'. Ce lexique du « dialecte du département du Gers, suivi d'un Abrégé de grammaire gasconne, est un notable commencement d'exécution d'un Dictionnaire des patois de France, dont le projet, soumis par le même auteur au ministère de l'instruction publique, fut jugé par le comité d'histoire et de

1. Didron, Dumoulin, Aubry, in-8, vш-144 p.

philologie d'une réalisation difficile, mais d'une incontestable utilité.

Dans un ordre voisin de recherches, il faut mentionner l'Introduction à la grammaire des langues romanes, écrite en allemand par M. Frédéric Diez, et récemment traduite par M. Gaston Paris1, dont le père s'est fait un des noms les plus connus de l'érudition française. Malgré la diffusion de la connaissance de la langue allemande parmi les savants de notre pays, il n'est pas sans intérêt de répandre de plus en plus le résultat des travaux de l'étranger sur des questions de philologie qui nous touchent d'assez près pour exposer notre esprit à être dupe de notre amourpropre national. C'est ainsi que le célèbre Raynouard avait adopté sur l'importance de l'ancien provençal et son influence sur les autres langues romanes des exagérations que les Allemands ont victorieusement combattues, et qui sont aujourd'hui partout abandonnées.

C'est ici que je donne place d'ordinaire aux traductions; quelques-unes mériteraient de nous arrêter. L'une des mieux accueillies est la traduction anonyme de l'Anthologie grecque3; c'est le fruit d'un travail considérable, attesté par l'étendue et la variété de l'œuvre qu'il s'agissait de rendre, et par le savoir et l'habileté déployés dans toutes les parties de cette longue interprétation. Tout le monde connaît, par des extraits, quelque chose de cette vaste. floraison poétique du génie grec. Voltaire, en particulier, a traduit dans des vers exquis un petit nombre de ces épigrammes si éloignées de la définition de Boileau: « Un bon mot de deux rimes orné. Mais peu de lecteurs peuvent aller au texte même, tel qu'il est reproduit dans des éditions savantes. Aujourd'hui tout ce trésor, un peu mêlé,

1. A. Franck, in-8, xx-164 p.

2. Hachette et Cie, 2 vol. in-18, x-456-488 p.

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