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VARIÉTÉS. — CURIOSITÉS. — LITTÉRATURE

SCIENTIFIQUE.

Les curiosités de l'érudition; conjectures étymologiques.
M. Ch. Nisard.

Il y a des livres de recherches érudites qui, malgré le savoir dont ils témoignent, semblent n'aborder la science philologique que pour l'agrément des esprits cultivés; je n'en citerai qu'un seul, les Curiosités de l'étymologie française, avec l'explication de quelques proverbes et dictons populaires par M. Ch. Nisard1. Les recherches étymologiques sont en effet une affaire de curiosité, plutôt que de science. Quel vaste champ d'obscurités, d'incertitudes, ouvert aux conjectures ingénieuses, aux explications plus ou moins vraisemblables, mais difficiles à justifier! C'est que la plupart des proverbes populaires, des mots ou des locutions les plus pittoresques ont une origine qui se perd dans la nuit des temps; une fois la trace historique évanouie, les hypothèses vont leur train, et chacune d'elles invoque en sa faveur les plus belles raisons du monde. Tantôt un emprunt à une langue étrangère a produit un mot ou un proverbe dans notre langue; tantôt un nom d'homme est devenu un nom de chose; tantôt un événement historique, une anecdote, un fait insignifiant, une

1. Hachette et Cie, in-18, Lп-338 p.

farce donne lieu à une manière de parler nouvelle qui a survécu au souvenir de l'anecdote, de l'événement. Nous voyons nous-mêmes se produire sous nos yeux à propos des petits incidents du jour, des termes et des locutions qui embarrasseront bien nos enfants ou nos arrières

neveux.

Les Curiosités de l'étymologie française de M. Ch. Nisard montrent les difficultés du sujet, et plus d'une fois sans les résoudre. Il y a certaines locutions auxquelles on a supposé une demi-douzaine d'origines; celle à laquelle il s'arrête est souvent la plus ingénieuse, parfois la plus simple, et dans ce dernier cas, la plus vraisemblable. Voyez, par exemple, l'expression tout de go, entrer, aller tout de go. L'un vous dit que c'est une abréviation altérée de ces mots en gaulois, à la gauloise, c'est-à-dire sans façon, comme faisaient nos pères. Un autre fait venir tout de go du verbe anglais go, qui marque l'allure, la marche, la venue. Un troisième remarque que, dans le dialecte wallon, le mot go veut dire chien; entrer tout de go, c'est entrer sans saluer, sans cérémonie, comme un chien. M. Nisard observe qu'on a écrit quelquefois tout de gob, et cite un vieil auteur où l'on trouve, en parlant d'une bête vorace : « Il l'avalla tout de gob. » Il en conclut que gob vient de gober et qu'entrer tout de go, veut dire passer sans préliminaire par une porte, comme les aliments passent, sans être arrêtés, dans le gosier d'un glouton. Reste à savoir si « avaler tout de go» n'est pas venu après « entrer tout de go,» au lieu de lui donner naissance. C'est toujours l'histoire du pauvre Suisse qui cherche

Si Rapinat vient de rapine,

Ou rapine de Rapinat.

Que de cas semblables, et que de questions sans doute insolubles! Quelle est l'origine historique d'une centaine d'expressions comme celles-ci: Chanter pouilles, Rire

jaune, Se moquer du tiers et du quart, Laver la tête à quelqu'un, Croyez cela et buvez de l'eau?» Pour cette dernière locution, on est tenté de penser tout simplement que le verre d'eau conseillé par la sagesse des nations, a pour unique objet de faire passer une chose difficile à avaler; M. Ch. Nisard n'est pas de cet avis; il fait intervenir ici l'histoire de la torture ecclésiastique. Le bourreau donnait à l'incrédule la question par l'eau, et le confesseur, pour ne rien laisser perdre de l'efficacité de cet argument irrésistible, disait au patient : « Croyez cela ou buvez de l'eau.» Il n'y a que la conjonction à changer; mais tout change avec elle le sens et les applications, le ton et la chanson. Quelquefois une altération d'un mot complique l'explication historique d'une locution proverbiale; ainsi, << casseur d'assiettes, aurait été primitivement, selon M. Ch. Nisard, casseur d'acier; ce qui n'est pas tout à fait la même chose.

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Un mot digne d'arrêter les étymologistes est celui de coquecigrues. M. Nisard nous prévient qu'on peut dire au sujet de ce mot: autant d'hommes, autant de sentiments. Il aura donc le sien, et il en est si content, qu'il ne nous donne plus celui des autres. Il fait venir doublement ce mot du grec, de κόκκος, κόκκιον et de γρύ, qui désignent tous deux un rien, une bagatelle, moins que rien. Les latins ont, dans le même sens, ciccus qui vient du premier mot grec et se retrouve dans l'adjectif chico, petit, des Espagnols, et dans notre mot chique, autrefois nom d'une monnaie presque sans valeur, aujourd'hui terme vulgaire de dédain. Si le mot coquecigrue nous est venu du grec ou du latin, ce n'est pas directement, et il a certainement trouvé ses éléments de composition dans le vieux français. Le mot coque, négligé par M. Ch. Nisard qui s'est trop préoccupé du grec, en forme évidemment la base, et dans notre vieille langue on trouvait, avec des sens très-analogues, les mots de coquefague, coquefredouille, coqueluirie, qui ne permettent pas de douter de l'origine toute nationale du mot co

quecigrues. Dans tous ces composés les suffixes qui sont d'une date incertaine, peuvent être fictifs, d'invention fortuite ou créés par plaisanterie; mais radical et suffixes sont également français. Les amateurs de curiosités étymologiques n'aiment pas, en général, les solutions les plus simples; plus une explication est complexe et éloignée des suppositions vulgaires, plus elle leur permet de déployer de savoir; ils ont plus de plaisir à tourner autour du but qu'à l'atteindre; leur érudition aime à faire l'école buissonnière, à se donner la clef des champs, à chercher enfin midi à quatorze heures: locution que M. Ch. Nisard a omise, dans la crainte peut-être qu'on ne songeât à l'appliquer aux chercheurs d'étymologies.

Ouvrages divers de litttérature scientifique, vulgarisation et histoire. MM. L. Figuier, J. Macé, Flachat, Maury, etc.

Les publications scientifiques ne rentrent que très-indirectement dans la littérature; nous ne pouvons mentionner ici, et sans les approfondir, que celles qui se recommandent par le mérite de la forme ou par une assez grande popularité. C'est à ce double titre que nous avons cité, ces années précédentes, les ouvrages de MM. Louis Figuier et Jean Macé. Tous deux s'adressent à la jeunesse, à l'enfance même, et en même temps aux gens du monde, plus ignorants quelquefois des choses scientifiques que les enfants d'aujourd'hui. M. L. Figuier, encouragé par l'immense succès des trois autres grandes publications illustrées, notamment de celle de l'année dernière, la Terre avant le déluge, a voulu profiter de la vogue et a donné, dans le même format et avec le même luxe de gravures, la

Terre et les Mers ou description physique du globe'. Des traces plus ou moins visibles de précipitation n'ont pas empêché le public de faire à cette nouvelle œuvre de vulgarisation. l'accueil favorable qui lui était assuré d'avance. M. Jean Macé ne procède pas si largement; il popularise la science par de tous petits livres; après l'Histoire d'une bouchée de pain est venue l'Arithmétique du grand papȧ2, simple histoire de deux petits marchands de pommes, qui enseignent aux enfants les opérations de l'arithmétique et leurs principales applications, dans le style des contes de Perrault. L'éditeur, M. J. Hetzel a profité de cette occasion pour défendre dans un avertissement les contes, les fables et toute la littérature enfantine contre les arrêts trop sévères de l'auteur de la Terre avant le Déluge.

A côté sinon au-dessus des livres de luxe et de grand format, je mettrais volontiers, pour les services rendus aux sciences géographiques, le petit volume de M. Ferd. de Lanoye, la Mer polaire. C'est le tableau résumé, mais exact, précis et encore très-intéressant des quatre grandes explorations des régions polaires, par l'infortuné sir John Franklin, Mac Clure, le docteur Elisa Khane et Mac Clintok. La clarté du récit, la mise en œuvre habile des documents les plus sûrs, sont dignes de l'auteur du Niger, du principal collaborateur, j'allais dire, du directeur anonyme du Tour du Monde, ce beau journal qui est devenu et resté sous le rapport de l'intérêt, de la science et de l'exécution, la première des publications populaires de la littérature des voyages.

Il faut rapporter à l'école ingénieuse d'enseignement

1. Hachette et Cle, gr. in-8, VIII-580 p., 170 vignettes et 20 cartes. Voy. t. II de l'Année littéraire, p. 416-418; t. III, p. 432-535; t. IV, p. 464-465; t. V, p. 461.

2. J. Hetzel, in-18, 196 p. - Voy. t. IV de l'Année littéraire, p. 461-464.

3. Hachette et Cie, in-18, 304 p. avec portraits et vignettes.

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