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ÉLISE.

Mardochée? Eh! peut-il approcher de ces lieux?

ESTHER.

Son amitié pour moi le rend ingénieux.
Absent, je le consulte; et ses réponses sages
Pour venir jusqu'à moi trouvent mille passages:
Un père a moins de soin du salut de son fils.
Déjà même, déjà, par ses secrets avis,
J'ai découvert au roi les sanglantes pratiques
Que formaient contre lui deux ingrats domestiques.
Cependant mon amour pour notre nation
A rempli ce palais de filles de Sion,
Jeunes et tendres fleurs par le sort agitées,
Sous un ciel étranger comme moi transplantées.
Dans un lieu séparé de profanes témoins,

Je mets à les former mon étude et mes soins;
Et c'est là que fuyant l'orgueil du diadème,
Lasse de vains honneurs et me cherchant moi-même,
Aux pieds de l'Éternel je viens m'humilier,
Et goûter le plaisir de me faire oublier.
Mais à tous les Persans je cache leurs familles.
Il faut les appeler. Venez, venez, mes filles,
Compagnes autrefois de ma captivité,
De l'antique Jacob jeune postérité.

SCÈNE II

ESTHER, ÉLISE, LE CHOEUR.

UNE ISRAELITE, chantant derrière le théâtre. Ma sœur, quelle voix nous appelle?

UNE AUTRE.

J'en reconnais les agréables sons: C'est la reine.

TOUTES DEUX.

Courons, mes sœurs, obéissons.

La reine nous appelle :

Allons, rangeons-nous auprès d'elle.

TOUT LE CHOEUR, entrant sur la scène par plusieurs

endroits différents.

La reine nous appelle. Allons, rangeons-nous auprès d'elle.

ÉLISE.

Ciel! quel nombreux essaim d'innocentes beautés
S'offre à mes yeux en foule, et sort de tous côtés!
Quelle aimable pudeur sur leur visage est peinte!
Prospérez, cher espoir d'une nation sainte.
Puissent jusques au ciel vos soupirs innocents
Monter comme l'odeur d'un agréable encens!
Que Dieu jette sur vous des regards pacifiques!

ESTHER.

Mes filles, chantez-nous quelqu'un de ces cantiques
Où vos voix si souvent se mêlant à mes pleurs
De la triste Sion célèbrent les malheurs.
UNE ISRAELITE chante seule.

Déplorable Sion, qu'as-tu fait de ta gloire?
Tout l'univers admirait ta splendeur:

Tu n'es plus que poussière; et de cette grandeur
Il ne nous reste plus que la triste mémoire.

Sion, jusques au ciel élevée autrefois,
Jusqu'aux enfers maintenant abaissée,
Puissé-je demeurer sans voix,

Si dans mes chants ta douleur retracée Jusqu'au dernier soupir n'occupe ma pensée!

TOUT LE CHOEUR.

O rives du Jourdain! ô champs aimés des cieux!
Sacrés monts, fertiles vallées,

Par cent miracles signalées!
Du doux pays de nos aïeux
Serons-nous toujours exilées?

UNE ISRAELITE, seule.

Quand verrai-je, ô Sion! relever tes remparts,
Et de tes tours les magnifiques faites?
Quand verrai-je de toutes parts
Tes peuples en chantant accourir à tes fêtes?

TOUT LE CHOEUR.

O rives du Jourdain, ô champs aimés des cieux!
Sacrés monts, fertiles vallées,
Par cent miracles signalées!
Du doux pays de nos aïeux
Serons-nous toujours exilées?

SCÈNE III

ESTHER, MARDOCHÉE, ÉLISE, LE CHOEUR.

ESTHER.

Quel profane en ce lieu s'ose avancer vers nous?
Que vois-je? Mardochée! O mon père, est-ce vous?
Un ange
du Seigneur, sous son aile sacrée,

A donc conduit vos pas, et caché votre entrée?
Mais d'où vient cet air sombre, et ce cilice affreux,
Et cette cendre enfin qui couvre vos cheveux?
Que nous annoncez-vous?

MARDOCHÉE.

O reine infortunée!

O d'un peuple innocent barbare destinée!

Lisez, lisez l'arrêt détestable, cruel...

Nous sommes tous perdus! et c'est fait d'Israël!

ESTHER.

Juste ciel! tout mon sang dans mes veines se glace!
MARDOCHÉE.

On doit de tous les Juifs exterminer la race.
Au sanguinaire Aman nous sommes tous livrés;
Les glaives, les couteaux, sont déjà préparés;
Toute la nation à la fois est proscrite.
Aman, l'impie Aman, race d'Amalécite,
A, pour ce coup funeste, armé tout son crédit;
Et le roi, trop crédule, a signé cet édit.
Prévenu contre nous par cette bouche impure,
Il nous croit en horreur à toute la nature.
Ses ordres sont donnés, et, dans tous ses États,
Le jour fatal est pris pour tant d'assassinats.
Cieux, éclairerez-vous cet horrible carnage!
Le fer ne connaîtra ni le sexe ni l'àge;
Tout doit servir de proie aux tigres, aux vautours;
Et ce jour effroyable arrive dans dix jours.

ESTHER.

O Dieu, qui vois former des desseins si funestes, As-tu donc de Jacob abandonné les restes?

UNE DES PLUS JEUNES ISRAELITES,

Ciel, qui nous défendra, si tu ne nous défends?
MARDOCHÉE.

Laissez les pleurs, Esther, à ces jeunes enfants.
En vous est tout l'espoir de vos malheureux frères.
Il faut les secourir; mais les heures sont chères :
Le temps vole, et bientôt amènera le jour
Où le nom des Hébreux doit périr sans retour.
Toute pleine du feu de tant de saints prophètes,
Allez, osez au roi déclarer qui vous êtes.

ESTHER.

Hélas! ignorez-vous quelles sévères lois
Aux timides mortels cachent ici les rois?
Au fond de leur palais leur majesté terrible
Affecte à leurs sujets de se rendre invisible;
Et la mort est le prix de tout audacieux
Qui, sans être appelé, se présente à leurs yeux,
Si le roi dans l'instant, pour sauver le coupable,
Ne lui donne à baiser son sceptre redoutable.
Rien ne met à l'abri de cet ordre fatal,
Ni le rang, ni le sexe; et le crime est égal.
Moi-même, sur son trône, à ses côtés assise,
Je suis à cette loi, comme une autre, soumise;
Et, sans le prévenir, il faut pour lui parler,
Qu'il me cherche, ou du moins qu'il me fasse appeler.
MARDOCHÉE.

Quoi! lorsque vous voyez périr votre patrie,
Pour quelque chose, Esther, vous comptez votre vie!
Dieu parle, et d'un mortel vous craignez le courroux!
Que dis-je? votre vie, Esther, est-elle à vous?
N'est-elle pas au sang dont vous êtes issue?
N'est-elle pas à Dieu dont vous l'avez reçue?
Et qui sait, lorsque au trône il conduisit vos pas,
Si pour sauver son peuple il ne vous gardait pas?
Songez-y bien: ce Dieu ne vous a pas choisie
Pour être un vain spectacle aux peuples de l'Asie,
Ni pour charmer les yeux des profanes humains :
Pour un plus noble usage il réserve ses saints.
S'immoler pour son nom et pour son héritage,
D'un enfant d'Israël voilà le vrai partage:
Trop heureuse pour lui de hasarder vos jours!
Et quel besoin son bras a-t-il de nos secours?
Que peuvent contre lui tous les rois de la terre?
En vain ils s'uniraient pour lui faire la guerre:
Pour dissiper leur ligue il n'a qu'à se montrer;
Il parle, et dans la poudre il les fait tous rentrer.
Au seul son de sa voix la mer fuit, le ciel tremble;
Il voit comme un néant tout l'univers ensemble;
Et les faibles mortels, vains jouets du trépas,
Sont tous devant ses yeux comme s'ils n'étaient pas.
S'il a permis d'Aman l'audace criminelle,
Sans doute qu'il voulait éprouver votre zèle.
C'est lui qui, m'excitant à vous oser chercher,
Devant moi, chère Esther, a bien voulu marcher;
Et s'il faut que sa voix frappe en vain vos oreilles,
Nous n'en verrons pas moins éclater ses merveilles.

Il peut confondre Aman, il peut briser nos fers Par la plus faible main qui soit dans l'univers; Et vous, qui n'aurez point accepté cette grâce, Vous périrez peut-être, et toute votre race.

ESTHER.

Allez que tous les Juifs dans Suse répandus,
A prier avec vous jour et nuit assidus,
Me prêtent de leurs vœux le secours salutaire,
Et pendant ces trois jours gardent un jeune austère.
Déjà la sombre nuit a commencé son tour:
Demain, quand le soleil rallumera le jour,
Contente de périr, s'il faut que je périsse,
J'irai pour mon pays m'offrir en sacrifice.
Qu'on s'éloigne un moment.

(Le chaur se retire vers le fond du théâtre.)

SCÈNE IV

ESTHER, ÉLISE, LE CHOEUR.

ESTHER.

O mon souverain roi, Me voici donc tremblante et seule devant toi! Mon père mille fois m'a dit dans mon enfance Qu'avec nous tu juras une sainte alliance, Quand, pour te faire un peuple agréable à tes yeux, Il plut à ton amour de choisir nos aïeux : Même tu leur promis de ta bouche sacrée Une postérité d'éternelle durée. Hélas! ce peuple ingrat a méprisé ta loi; La nation chérie a violé sa foi; Elle a répudié son époux et son père, Pour rendre à d'autres dieux un honneur adultère: Maintenant elle sert sous un maître étranger. Mais c'est peu d'être esclave, on la veut égorger: Nos superbes vainqueurs, insultant à nos larmes, Imputent à leurs dieux le bonheur de leurs armes, Et veulent aujourd'hui qu'un même coup mortel Abolisse ton nom, ton peuple et ton autel. Ainsi donc un perfide, après tant de miracles, Pourrait anéantir la foi de tes oracles, Ravirait aux mortels le plus cher de tes dons, Le saint que tu promets et que nous attendons? Non, non, ne souffre pas que ces peuples farouches, Ivres de notre sang, ferment les seules bouches Qui dans tout l'univers célèbrent tes bienfaits; Et confonds tous ces dieux qui ne furent jamais.

Pour moi, que tu retiens parmi ces infidèles, Tu sais combien je hais leurs fêtes criminelles, Et que je mets au rang des profanations Leurs tables, leurs festins et leurs libations; Que même cette pompe où je suis condamnée, Ce bandeau dont il faut que je paraisse ornée Dans ces jours solennels à l'orgueil dédiés, Seule et dans le secret, je le foule à mes pieds; Qu'à ces vains ornements je préfère la cendre, Et n'ai de goût qu'aux pleurs que tu me vois répandre. J'attendais le moment marqué dans ton arrêt, Pour oser de ton peuple embrasser l'intérêt.

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