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neur! répondit Boileau. Quoi! vous barbouiller le visage d'une moustache de Sganarelle, pour venir sur un théâtre recevoir des coups de bâton? Voilà un beau point d'honneur pour un philosophe comme vous! »>

Il regarda toujours Molière comme un génie unique et le roi lui demandant un jour quel était le plus rare des grands écrivains qui avaient honoré la France pendant son règne, il lui nomma Molière. « Je ne le croyais pas, répondit le roi; mais vous vous y connaissez mieux que moi. >>

Boileau se vanta toute sa vie d'avoir appris à mon père à rimer difficilement à quoi il ajoutait que des vers aisés n'étaient pas des vers aisément faits. Il ne faisait pas aisément les siens, et il a eu raison de dire : «Si j'écris quatre mots, j'en effacerai trois. » Un de ses amis, le trouvant dans sa chambre fort agité, lui demanda ce qui l'occupait : « Une rime, répondit-il; je la cherche depuis trois heures. Voulez-vous, lui dit cet ami, que j'aille vous chercher un dictionnaire de rimes? il pourra vous être de quelque secours. Non, non, reprit Boileau, cherchez-moi plutôt le dictionnaire de la raison. »>

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Il ne s'est jamais vanté, comme il est dit dans le Bolæana, d'avoir le premier parlé en vers de notre artillerie; et son dernier commentateur prend une peine fort inutile, en rappelant plusieurs vers d'anciens poëtes pour prouver le contraire. La gloire d'avoir parlé le premier du fusil et du canon n'est pas grande. Il se vantait d'en avoir le premier parlé poétiquement et par de nobles périphrases.

Il composa la fable du Bûcheron dans sa plus grande force, et, suivant ses termes, dans son bon temps. Il trouvait cette fable languissante dans La Fontaine. Il voulut essayer s'il ne pourrait pas mieux faire, sans imiter le style de Marot, déspaprouvant ceux qui écrivaient dans ce style. « Pourquoi, disait-il, emprunter une autre langue que celle de son siècle? »>

L'épitaphe bonne ou mauvaise qui se trouve parmi ses épigrammes, et sur laquelle ses commentateurs n'ont rien dit, parce qu'ils n'ont pu l'entendre, fut faite sur M. de Gourville; elle commence par ce vers:

Ci-git, justement regretté, etc.

Quoiqu'il ait été accusé d'aimer l'argent, accusation fondée sur ce qu'il paraissait le dépenser avec peine, il avait les sentiments nobles et désintéressés. La fierté dans les manières était, selon lui, le vice des sots, et la fierté du cœur la vertu des honnêtes gens. J'ai fait connaître la générosité avec laquelle il donna tous ses ouvrages aux libraires, et le scrupule qui lui fit rendre aux pauvres tout le revenu de son bénéfice. Comme il avait eu quelque part à l'opéra de Bellerophon, Lulli, soit pour le récompenser, soit pour le réconcilier avec l'Opéra, lui offrit un présent considérable, qu'il refusa. On sait ses libéralités pour Patru et Cassandre, et la manière dont il fit rétablir la pension du grand Corneille, en offrant le sacrifice de la sienne: action très-véritable, que m'a racontée un témoin encore vivant, et qu'on a eu tort de révoquer en doute, puisque Boursault, qui ne devait pas être disposé à le louer, la rapporte dans ses lettres, aussi bien que celle qui regarde Cassandre, en ajoutant ces paroles remarquables: « J'ai été ennemi de monsieur Despréaux, et quand je le serais encore, je ne pourrais m'empêcher d'en bien parler... Quoique rien ne soit plus beau que ses poésies, je trouve les actions que je viens de dire encore plus belles. » La bourse de Boileau, comme il est dit dans son Eloge historique par M. de Boze, fut ouverte à beaucoup d'autres gens de lettres, et même à Linière, qui souvent avec l'argent qu'il venait d'en recevoir, allait boire au premier cabaret, et y faisait une chanson contre son bienfaiteur.

Boileau aimait la société et était très-exact à tous les rendez-vous : « Je ne me fais jamais attendre, disait-il, parce que j'ai remarqué que les défauts d'un homme se présentent toujours aux yeux de celui qui l'attend. » Loin d'aimer à choquer ceux à qui il parlait, il tachait de ne leur rien dire que d'agréable, quand même il ne pensait pas comme eux, quoiqu'il ne fût nullement flatteur. Dans une compagnie où il était, une demoiselle dansa, chanta et joua du clavecin, pour faire briller tous ses talents. Comme il trouva qu'elle n'excellait ni dans le

clavecin, ni dans le chant, ni dans la danse, il lui dit : « On vous a tout appris, mademoiselle, hormis à plaire; c'est pourtant ce que vous savez le mieux. »>

Il mortifia cependant, sans le vouloir, Barbin le libraire, qui s'était fait une maison de campagne très-petite, mais très-ornée, dont il faisait ses délices. Après le diner, il le mène admirer son jardin, qui était très-peigné, mais fort petit, comme la maison. Boileau, après en avoir fait le tour, appelle son cocher et lui ordonne de mettre ses chevaux. « Eh! pourquoi donc, lui dit Barbin, voulez-vous vous en retourner si promptement? — C'est, répondit Boileau, pour aller à Paris prendre l'air. »

Il pouvait dire de lui-même comme Horace :

Irasci celerem, tamen ut placabilis essem.

Il eut un jour une dispute fort vive avec son frère le chanoine, qui lui donna un démenti d'une manière assez dure. Les amis communs voulurent mettre la paix, et l'exhortèrent à pardonner à son frère : « De tout mon cœur, répondit-il, parce que je me suis possédé : je ne lui ai dit aucune sottise. S'il m'en était échappé une, je ne lui pardonnerais de ma vie. »>

Il avait l'esprit trop solide pour être un homme à bons mots; mais il a fait souvent des réponses pleines de sens. Elles sont presque toutes mal rendues et défigurées dans le Bolœana. J'en rapporterai quelques-unes dans la suite de ces Mémoires, quand l'occasion s'en présentera, et je ne rapporterai que celles dont je me croirai bien instruit.

Quoiqu'il ait respecté dans tous les temps de sa vie la sainteté de la religion, il n'en était pas encore assez pénétré, lorsque mon père se détermina à ne plus faire de tragédies profanes, pour croire qu'elle l'obligeât à ce sacrifice. Édifié cependant du motif qui faisait prendre à son ami une si grande résolution, il ne songea jamais à l'en détourner, et resta toujours également uni avec lui, malgré la vie différente qu'il embrassa, et dont je vais rendre compte.

SECONDE PARTIE

J'arrive enfin à l'heureux moment où les grands sentiments de religion dont mon père avait été rempli dans son enfance, et qui avaient été longtemps comme assoupis dans son cœur, sans s'y éteindre, se réveillèrent tout à coup. Il avoua que les auteurs des pièces de théâtre étaient des empoisonneurs publics; et il reconnut qu'il était peut-être le plus dangereux de ces empoisonneurs. Il résolut non-seulement de ne plus faire de tragédies, et même de ne plus faire de vers; il résolut encore de réparer ceux qu'il avait faits par une rigoureuse pénitence. La vivacité de ses remords lui inspira le dessein de se faire chartreux. Un saint prêtre de sa paroisse, docteur de Sorbonne, qu'il prit pour confesseur, trouva ce parti trop violent. Il représenta à son pénitent qu'un caractère tel que le sien ne soutiendrait pas longtemps la solitude; qu'il ferait plus prudemment de rester dans le monde, et d'en éviter les dangers en se mariant à une personne remplie de piété; que la société d'une épouse sage l'obligerait à rompre avec toutes les pernicieuses sociétés où l'amour du théâtre l'avait entraîné. Il lui fit espérer en même temps que les soins du ménage l'arracheraient malgré lui à la passion qu'il avait le plus à craindre, qui était celle des vers. Nous savons cette particularité, parce que, dans la suite de sa vie, lorsque des inquiétudes domestiques, comme les maladies de ses enfants, l'agitaient, il s'écriait quelquefois : «Pourquoi m'y suis-je exposé? Pourquoi m'a-t-on détourné de me faire chartreux? je serais bien plus tranquille. »>

Lorsqu'il eut pris la résolution de se marier, l'amour ni l'intérêt n'eurent aucune part à son choix; il ne consulta que la raison pour une affaire si sérieuse, et l'envie de s'unir à une personne très-vertueuse, que de sages amis lui proposèrent, lui fit épouser, le 1er juin 1677, Catherine de Romanet, fille d'un trésorier de France du bureau des finances d'Amiens.

Suivant l'état du bien énoncé dans le contrat de mariage, il paraît que les pièces de théâtre

n'étaient pas alors fort lucratives pour les auteurs, et que le produit, soit des représentations, soit de l'impression des tragédies de mon père, ne lui avait procuré que de quoi vivre, payer ses dettes, acheter quelques meubles, dont le plus considérable était sa bibliothèque, estimée quinze cents livres, et ménager une somme de six mille livres, qu'il employa aux frais de son mariage.

La gratification de six cents livres que le roi lui avait fait payer en 4664, ayant été continuée tous les ans sous le titre de pension d'homme de lettres, fut portée dans la suite à quinze cents livres, et enfin à deux mille livres. M. Colbert le fit, outre cela, favoriser d'une charge de trésorier de France au bureau des finances de Moulins, qui était tombée aux parties casuelles. La demoiselle qu'il épousa lui apporta un revenu pareil au sien. Lorsqu'il eut l'honneur d'accompagner le roi dans ses campagnes, il reçut de temps en temps des gratifications sur la cassette, par les mains du premier valet de chambre. J'ignore si Boileau en recevait de pareilles. Voici celles que reçut mon père, suivant ses registres de recette et de dépense, qu'il tint avec une grande exactitude depuis son mariage. Je rapporte cet état pour faire connaître. les bontés de Louis XIV. C'est un hommage que doit ma reconnaissance à la mémoire d'un prince si généreux.

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Ces différentes gratifications (les louis valaient alors onze livres) faisaient la somme de quarante-deux mille neuf cents livres. Il fut gratifié d'une charge ordinaire de gentilhomme de Sa Majesté, le 12 décembre 1690, à condition de payer dix mille livres à la veuve de celui dont on lui donnait la charge; et il eut enfin, comme historiographe, une pension de quatre mille livres. Voilà sa fortune, qui n'a pu augmenter que par ses épargnes, autant que peut épargner un homme obligé de faire des voyages continuels à la cour et à l'armée, et qui se trouve chargé de sept enfants.

Sa plus grande fortune fut le caractère de la personne qu'il avait épousée. L'auteur d'un roman assez connu a cru faire une peinture admirable de cette union, en disant « qu'on doit à sa tendresse conjugale tous les beaux sentiments d'amour répandus dans ses tragédies, parce que, quand il avait de pareils sentiments à exprimer, il allait passer une heure dans l'appartement de sa femme, et, tout rempli d'elle, remontait dans son cabinet pour faire ses vers. » Comme il n'a composé aucune tragédie profane depuis son mariage, le merveilleux de cet endroit du roman est très-romanesque; mais je le puis remplacer par un autre très-véritable et beaucoup plus merveilleux.

Il trouva dans la tendresse conjugale un avantage bien plus solide que celui de faire de bons vers. Sa compagne sut, par son attachement à tous les devoirs de femme et de mère, et par son admirable piété, le captiver entièrement, faire la douceur du reste de sa vie, et lui tenir lieu de toutes les sociétés auxquelles il venait de renoncer. Je ferais connaître la confiance avec laquelle il lui communiquait ses pensées les plus secrètes, si j'avais retrouvé les lettres qu'il lui écrivait, et que sans doute, pour lui obéir, elle ne conservait pas. Je sais que les termes tendres répandus dans de pareilles lettres ne prouvent pas toujours que la tendresse soit dans le cœur, et que Cicéron, à qui sa femme, lorsqu'il était en exil paraissait sa lumière, sa vie, sa passion, sa très-fidèle épouse, mea lux... mea vita... mea desideria... fidelissima et optima conjux, répudia quelque temps après sa chère Terentia, pour épouser une jeune fille fort riche mais je parle de deux époux que la religion avait unis, quoique aux yeux du monde

ils ne parussent pas faits l'un pour l'autre. L'un n'avait jamais eu de passion plus vive que celle de la poésie; l'autre porta l'indifférence pour la poésie jusqu'à ignorer toute sa vie ce que c'était qu'un vers; et m'ayant entendu parler, il y a quelques années, de rimes masculines et féminines, elle m'en demanda la différence: à quoi je répondis qu'elle avait vécu avec un meilleur maître que moi. Elle ne connut, ni par les représentations, ni par la lecture, les tragédies auxquelles elle devait s'intéresser; elle en apprit seulement les titres par la conversation. Son indifférence pour la fortune parut un jour inconcevable à Boileau. Je rapporte ce fail, après avoir prévenu que la vie d'un homme de lettres ne fournit pas des faits bien importants. Mon père rapportait de Versailles la bourse de mille louis dont j'ai parlé, et trouva ma mère qui l'attendait dans la maison de Boileau à Auteuil. Il courut à elle, et l'embrassant : « Félicitez-moi, lui dit-il, voici une bourse de mille louis que le roi m'a donnée. » Elle lui porta aussitôt des plaintes contre un de ses enfants qui depuis deux jours ne voulait point étudier. « Une autre fois, reprit-il, nous en parlerons : livrons-nous aujourd'hui à notre joie. » Elle lui représenta qu'il devait en arrivant faire des réprimandes à cet enfant, et continuait ses plaintes, lorsque Boileau, qui, dans son étonnement, se promenait à grands pas, perdit patience et s'écria : « Quelle insensibilité! peut-on ne pas songer à une bourse de mille louis?» On peut comprendre qu'un homme, quoique passionné pour les amusements de l'esprit, préfère à une femme enchantée de ces mêmes amusements, et éclairée sur ces matières, une compagne uniquement occupée du ménage, ne lisant de livres que ses livres de piété, ayant d'ailleurs un jugement excellent, et étant d'un très-bon conseil en toutes occasions: On avouera cependant que la religion a dû être le lien d'une si parfaite union entre deux caractères si opposés la vivacité de l'un lui faisant prendre tous les événements avec trop de sensibilité, et la tranquillité de l'autre la faisant paraître presque insensible aux mêmes événements. L'on pourrait faire la même réflexion sur la liaison des deux fidèles amis. A la vérité, leur manière de penser des ouvrages d'esprit étant la même, ils avaient le plaisir de s'en entretenir souvent; mais comme ils avaient tous deux un différent caractère, leur union constante a dù avoir pour lien la probité, puisque, comme dit Cicéron, il ne peut y avoir de véritable amitié qu'entre des gens de bien.

Un des premiers soins de mon père, après son mariage, fut de se réconcilier avec MM. de Port-Royal. Il ne lui fut pas difficile de faire sa paix avec M. Nicole, qui ne savait ce que c'était que la guerre, et qui le reçut à bras ouverts, lorsqu'il le vint voir accompagné de M. l'abbé Dupin. Il ne lui était pas si aisé de se réconcilier avec M. Arnauld, qui avait toujours sur cœur les plaisanteries écrites sur la mère Angélique, sa sœur; plaisanteries fondées, par faute d'examen, sur des faits qui n'étaient pas exactement vrais. Boileau, chargé de la négociation, avait toujours trouvé M. Arnauld intraitable. Un jour, il s'avisa de lui porter un exemplaire de la tragédie de Phèdre, de la part de l'auteur. M. Arnauld demeurait alors dans le faubourg Saint-Jacques. Boileau, en allant le voir, prend la résolution de lui prouver qu'une tragédie peut être innocente aux yeux des casuistes les plus sévères; et ruminant sa thèse en chemin : « Cet homme, disait-il, aura-t-il toujours raison, et ne pourrai-je parvenir à lui faire avoir tort? je suis bien sûr qu'aujourd'hui j'ai raison s'il n'est pas de mon avis, il aura tort. » Plein de cette pensée, il entre chez M. Arnauld, où il trouve une nombreuse compagnie. Il lui présente la tragédie, et lui lit en même temps l'endroit de la préface où l'auteur témoigne tant d'envie de voir la tragédie réconciliée avec les personnes de piété. Ensuite, déclarant qu'il abandonnait acteurs, actrices et théâtre, sans prétendre les soutenir en aucune façon, il élève sa voix en prédicateur pour soutenir que si la tragédie était dangereuse, c'était la faute des poëtes, qui en cela même allaient directement contre les règles de leur art; mais que la tragédie de Phedre, conforme à ces règles, n'avait rien que d'utile. L'auditoire, composé de jeunes théologiens, l'écoutait en souriant, et regardait tout ce qu'il avançait comme les paradoxes d'un poëte peu instruit de la bonne morale. Cet auditoire fut bien surpris, lorsque M. Arnauld prit ainsi la parole : « Si les choses sont comme il le dit, il a raison, et la tragédie est innocente. »> Boileau rapportait qu'il ne s'était jamais senti de sa vie si content. Il

pria M. Arnauld de vouloir bien jeter les yeux sur la pièce qu'il lui laissait pour lui en dire son sentiment. Il revint quelques jours après le demander, et M. Arnauld lui donna ainsi sa décision: « Il n'y a rien à reprendre au caractère de Phèdre, puisqu'il nous donne cette grande leçon, que lorsque, en punition de fautes précédentes, Dieu nous abandonne à nous-mêmes et à la perversité de notre cœur, il n'est point d'excès où nous ne puissions nous porter, même en les détestant. Mais pourquoi a-t-il fait Hippolyte amoureux ? » Cette critique est la seule qu'on puisse faire contre cette tragédie; et l'auteur, qui se l'était faite à lui-même, se justifiait en disant : « Qu'auraient pensé les petits-maîtres d'un Hippolyte ennemi de toutes les femmes? quelles mauvaises plaisanteries n'auraient-ils point faites!» Boileau, charmé d'avoir si bien conduit cette négociation, demanda à M. Arnauld la permission de lui amener l'auteur de la tragédie. Ils vinrent chez lui le lendemain, et quoiqu'il fût encore en nombreuse compagnie, le coupable entrant avec l'humilité et la confusion peintes sur le visage, se jeta à ses pieds: M. Arnauld se jeta aux siens; tous deux s'embrassèrent. M. Arnauld lui promit d'oublier le passé et d'être toujours son ami: promesse fidèlement exécutée.

En 1674, l'Université projetait une requête qu'elle devait présenter au parlement, pour demander que la philosophie de Descartes ne fût point enseignée. On en parlait chez M. le premier président de Lamoignon, qui dit qu'on ne pourrait se dispenser de rendre un arrêt conforme à cette requête. Boileau, présent à cette conversation, imagina l'arrêt burlesque qu'il composa avec mon père, et Bernier, le fameux voyageur, leur ami commun. M. Dongois, neveu de Boileau, y mit le style du palais; et quand l'arrêt fut en état, il le joignit à plusieurs expéditions qu'il devait porter à signer à M. le président, avec qui il était fort familier. M. de Lamoignon ne se laissa pas surprendre à peine eut-il jeté les yeux sur l'arrêt : « Voilà, dit-il, un tour de Despréaux. » Cet arrêt burlesque eut un succès que n'eût peut-être pas eu une pièce sérieuse; il sauva l'honneur des magistrats. L'Université ne songea plus à présenter sa requête. Quoique Boileau et mon père n'eussent encore aucun titre qui les appelât à la cour, ils y étaient fort bien reçus tous les deux. M. Colbert les aimait beaucoup. Etant un jour enfermé avec eux dans sa maison de Sceaux, on vint lui annoncer l'arrivée d'un évêque; il répondit avec colère : « Qu'on lui fasse tout voir, excepté moi. »

Les inscriptions mises au bas des tableaux sur les victoires du rot, peintes par M. Le Brun dans la galerie de Versailles, étaient pleines d'emphase, parce que M. Charpentier, qui les avait faites, croyait qu'on devait mettre de l'esprit partout. Ces pompeuses déclamations déplurent avec raison à M. de Louvois, qui, par ordre du roi, les fit effacer, pour mettre à la place les inscriptions simples que Boileau et mon père lui fournirent. Mon père a donné, dans quelques occasions, des devises qui, dans leur simplicité, ont été trouvées fort heureuses, comme celle dont le corps était une orangerie, et l'âme, Conjuratos ridet aquilones. Elle fut approuvée, parce qu'elle avait également rapport à l'orangerie de Versailles, bâtie depuis peu, et à la ligue qui se formait contre la France. Je n'en rapporte pas quelques autres qu'il donna dans la petite Académie, parce que l'honneur de pareilles choses doit être partagé entre tous ceux qui composent la même compagnie.

C'était lui-même qui avait donné l'idée de rassembler cette compagnie. Il fut par là comme le fondateur de l'Académie des médailles, qu'on nomma d'abord la petite Académie, et qui, devenue beaucoup plus nombreuse, prit sous une autre forme le nom d'Académie des belles-lettres. Elle ne fut composée dans son origine que d'un très-petit nombre de personnes, qu'on choisit pour exécuter le projet d'une histoire en médailles des principaux événements du règne de Louis XIV. On devait, au bas de chaque médaille gravée, mettre en peu de mots le récit de l'événement qui avait donné lieu à la médaille; mais on trouva que des récits fort courts. n'apprendraient les choses qu'imparfaitement, et qu'une histoire suivie du règne entier serait beaucoup plus utile. Ce projet fut agité et résolu chez madame de Montespan. C'était elle qui l'avait imaginė; « et quoique la flatterie en fût l'objet, comme l'écrivait depuis madame la comtesse de Caylus, on conviendra que ce projet n'était pas celui d'une femme commune ni d'une maîtresse ordinaire. » Lorsqu'on eut pris ce parti, madame de Maintenon proposa au

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