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roi de charger du soin d'écrire cette histoire Boileau et mon père. Le roi, qui les en jugea capables, les nomma ses historiographes en 1677.

Mon père, toujours attentif à son salut, regarda le choix de Sa Majesté comme une grâce de Dieu, qui lui procurait cette importante occupation pour le détacher entièrement de la poésie. Boileau lui-même parut aussi s'en détacher. Il est certain qu'il passa douze ou treize ans sans donner d'autres ouvrages en vers que les deux derniers chants du Lutrin, parce qu'il voulut finir l'action de ce poëme.

Les deux poëtes, résol de ne plus l'être, ne songèrent qu'à devenir historiens; et, pour s'en rendre capables, ils passèrent d'abord beaucoup de temps à se mettre au fait et de l'histoire générale de France, et de l'histoire particulière du règne qu'ils avaient à écrire. Mon père, pour se mettre ses devoirs devant les yeux, fit une espèce d'extrait du Traité de Lucien sur la manière d'écrire l'histoire. Il remarqua dans cet excellent traité des Traits qui avaient rapport à la circonstance dans laquelle il se trouvait, et il les rassembla dans l'écrit qui se trouvera à la suite de ses lettres. Il fit ensuite des extraits de Mézeray et de Vittorio Siri, et se mit à lire les mémoires, lettres, instructions et autres pièces de cette nature dont le roi avait ordonné qu'on lui donnât la communication.

Dans la campagne de cette année de 1677, les villes que le roi assiégea tombèrent quand il parut; et lorsque, de retour de ses rapides conquêtes, il vit à Versailles ses deux historiens, il leur demanda pourquoi ils n'avaient pas eu la curiosité de voir un siège : « Le voyage, leur dit-il, n'était pas long. Il est vrai, reprit mon père, mais nos tailleurs furent trop lents. Nous leur avions commandé des habits de campagne : lorsqu'ils nous les apportèrent, les villes que Votre Majesté assiégeait étaient prises. » Cette réponse fut bien reçue du roi, qui leur dit de prendre leurs mesures de bonne heure, parce que dorénavant ils le suivraient dans toutes ses campagnes, pour être témoins des choses qu'ils devaient écrire.

La faible santé de Boileau ne lui permit que de faire une campagne, qui fut celle de Gand, l'année suivante. Mon père, qui les fit toutes, avait soin de rendre compte à son associé, dans l'emploi d'écrire l'histoire, de tout ce qui se passait à l'armée; et une partie de ces lettres se trouvera à la suite de ces Mémoires. Ce fut dans leur première campagne que Boileau, apprenant que le roi s'était si fort exposé, qu'un boulet de canon avait passé à sept pas de Sa Majesté, alla à lui, et lui dit : « Je vous prie, Sire, en qualité de votre historien, de ne pas me faire finir sitôt mon histoire. >>

Lorsqu'ils partirent en 1678, on vit pour la première fois deux poëtes suivre une armée pour être témoins de siéges et de combats : ce qui donna lieu à des plaisanteries dont on amusait le roi. On prétendait les surprendre en plusieurs occasions dans l'ignorance des choses militaires, et même des choses les plus communes. Leurs meilleurs amis étaient ceux qui leur tendaient des piéges. S'ils n'y tombaient pas, on faisait accroire qu'ils y étaient tombés. Tout ce qu'on dit de leur simplicité n'est peut-être pas exactement vrai. Je rapporterai cependant ce que j'ai entendu dire à d'anciens seigneurs de la cour.

La veille de leur départ pour la première campagne, M. de Cavoie s'avisa, dit-on, de demander à mon père s'il avait eu l'attention de faire ferrer ses chevaux à forfait. Mon père, qui n'entend rien à cette question, lui en demande l'explication. « Croyez-vous donc, lui dit M. de Cavoie, que quand une armée est en marche elle trouve partout des maréchaux? Avant que de partir on fait un forfait avec un maréchal de Paris, qui vous garantit que les fers qu'il met aux pieds de votre cheval y resteront six mois. » Mon père répond (ou plutôt on lui fait répondre): « C'est ce que j'ignorais; Boileau ne m'en a rien dit; mais je n'en suis pas étonné, il ne songe à rien. » Il va trouver Boileau pour lui reprocher sa négligence. Boileau avoue son ignorance, et lui dit qu'il faut promptement s'informer du maréchal le plus fameux pour ces sortes de forfaits. Ils n'eurent pas le temps de le chercher. Dès le soir même M. de Cavoie raconta au roi le succès de sa plaisanterie. Un fait pareil, quand il serait véritable, ne ferait aucun tort à leur réputation.

Puisque les plus petits faits, quand on parle de certains hommes, intéressent toujours, j'en

rapporterai encore un de la même nature. Un jour, après une marche fort longue, Boileau, très-fatigué, se jeta sur un lit en arrivant, sans vouloir souper. M. de Cavoie, qui le sut, alla le voir après le souper du roi, et lui dit avec un air consterné qu'il avait à lui apprendre une fâcheusenouvelle : « Le roi, ajouta-t-il, n'est point content de vous; il a remarqué aujourd'hui une chose qui vous fait un grand tort. Eh quoi donc? s'écria Boileau tout alarmé. — Je ne puis, continua M. de Cavoie, me résoudre à vous la dire; je ne saurais affliger mes amis. » Enfin, après l'avoir laissé quelque temps dans l'agitation, il lui dit : « Puisqu'il faut vous l'avouer, le roi a remarqué que vous étiez tout de travers à cheval. Si ce n'est que cela, répondit Boileau, laissez-moi dormir. >>

Quoique mon père fût son confrère dans l'honorable emploi d'écrire l'histoire du roi et dans la petite Académie, il ne l'avait point encore pour confrère dans l'Académie française; et comme il souhaitait de le voir dans cette compagnie, il l'avait sans doute en vue, lorsqu'il fit valoir l'empressement de l'Académie à chercher des sujets, dans le discours qu'il prononça le 30 octobre de cette même année 1678, à la réception de M. l'abbé Colbert, depuis archevêque de Rouen. « Oui, monsieur, lui disait-il, l'Académie vous a choisi; car nous voulons bien qu'on le sache, ce n'est point la brigue, ce ne sont point les sollicitations qui ouvrent les portes de l'Académie; elle va elle-même au-devant du mérite, elle lui épargne l'embarras de se venir offrir, elle cherche les sujets qui lui sont propres, etc. »>

J'ignore si l'Académie était alors dans l'usage, comme le disait son directeur, de choisir et de chercher elle-même ses sujets. Je sais seulement que tous les académiciens ne songeaient pas à chercher Boileau; et il y en avait plusieurs qu'il ne songeait pas non plus à solliciter. Le roi lui demanda un jour pendant son souper s'il était de l'Académie; Boileau répondit avec un air fort modeste qu'il n'était pas digne d'en être. « Je veux que vous en soyez,» répondit le roi. Quelque temps après une place vaqua, et La Fontaine, qui la voulait solliciter, alla lui demander s'il serait son concurrent. Boileau l'assura que non, et ne fit aucune démarche. Il eut cependant quelques voix; mais la pluralité fut pour La Fontaine; et lorsque, suivant l'usage, on alla demander au roi son agrément pour cette nomination, le roi répondit seulement : « Je verrai. » De manière que La Fontaine, quoique nommé, ne fut point reçu, et resta très-longtemps, ainsi que l'Académie, dans l'incertitude. Enfin, une nouvelle place vaqua, et l'Académie aussitôt nomma Boileau. Le roi, lorsqu'on lui demanda son agrément, l'accorda en ajoutant: « Maintenant vous pouvez recevoir La Fontaine.» Boileau fut reçu le 3 juillet 1684. L'assemblée fut nombreuse le jour de sa réception. On était curieux d'entendre son discours. Il était obligé de louer et de s'humilier. Il recevait une grâce inespérée, et il n'était pas homme à faire un remerciment à genoux. Il se tira habilement de ce pas difficile. Il loua sans flatterie, il s'humilia noblement; et en disant que l'entrée de l'Académie lui devait être fermée par tant de raisons, il fit songer à tant d'académiciens dont les noms étaient dans ses satires.

A la fin de cette même année, Corneille mourut; et mon père, qui le lendemain de cette mort entrait dans les fonctions de directeur, prétendait que c'était à lui à faire faire, pour l'académicien qui venait de mourir, un service suivant la coutume. Mais Corneille était mort pendant la nuit; et l'académicien qui était encore directeur la veille prétendit que, comme il n'était sorti de place que le lendemain matin, il était encore dans ses fonctions au moment de la mort de Corneille, et que par conséquent c'était à lui à faire faire le service. Cette dispute n'avait pour motif qu'une généreuse émulation: tous deux voulaient avoir l'honneur de rendre les devoirs funèbres à un mort si illustre. Cette contestation glorieuse pour les deux parties fut décidée par l'Académie en faveur de l'ancien directeur, ce qui donna lieu à ce mot fameux que Benserade dit à mon père : « Nul autre que vous ne pouvait prétendre à enterrer Corneille, cependant vous n'avez pu y parvenir. »

La place de Corneille à l'Académie fut remplie par Thomas Corneille son frère, qui fut reçu avec M. Bergeret. Mon père, qui présidait à cette réception en qualité de directeur, répondit à leurs remerciments par un discours qui fut très-applaudi; et il le prononça avec tant de

grace, qu'il répara entièrement le discours de sa réception. La matière de celui-ci lui avait plu davantage. L'admiration sincère qu'il avait pour Corneille le lui avait inspiré. Bayle, en rapportant que Sophocle, lorsqu'il apprit la mort d'Euripide, parut sur le théâtre en habit de deuil, et ordonna à ses acteurs d'ôter leurs couronnes, ajoute : « Ce que fit Sophocle était une preuve très-équivoque de son regret, parce que deux grands hommes qui aspirent à la même gloire, qui veulent s'exclure l'un l'autre du premier rang, s'entr'estiment intérieurement plus qu'ils ne voudraient, mais ne s'entr'aiment pas. L'un d'eux vient-il à mourir, le survivant courra lui jeter de l'eau bénite et en fera l'éloge de bon cœur : il est délivré des épines de la concurrence. » Par cette même raison, Corneille avait fait dire à Cornélie, sur la douleur de César à la mort de Pompée :

O soupirs! regrets! oh! qu'il est doux de plaindre
Le sort d'un ennemi quand il n'est plus à craindre!

Quiconque eût pensé la même chose en cette occasion eût été très-injuste. Les deux rivaux depuis longtemps ne combattaient plus; et tous deux, retirés de la carrière, n'avaient plus rien à se disputer c'était au public à décider. Il n'a point encore décidé: on s'est toujours contenté de les comparer entre eux. Le parallèle a souvent été fait, et presque toujours avec plus d'antithèse que de justesse. M. de Fontenelle, qui, malgré la douceur de son caractère, témoigne dans la Vie de Corneille un peu de passion contre le rival de Corneille, règle ainsi les places (je parle de cette Vie imprimée dans la dernière édition de ses OEuvres; celle qui se trouve dans l'Histoire de l'Académie française ne contient pas les mêmes paroles): Corneille a la première place; Racine, la seconde. On fera à son gré l'intervalle entre ces deux places un peu plus ou moins grand. C'est là ce qui se trouve en ne comparant que les ouvrages de part et d'autre. Mais si on compare ces deux hommes, l'inégalité est plus grande. Il peut être incertain que Racine eût été, si Corneille n'eût pas été avant lui : il est certain que Corneille a été par lui-même.» M. de Fontenelle, qui a toujours été applaudi quand il a écrit sur les matières qui font l'objet des travaux de l'Académie des sciences, a souvent rendu sur le Parnasse des décisions qui ont eu peu de partisans, ce qui me fait espérer que celle-ci sera du nombre. Pour revenir au discours prononcé à la réception de Thomas Corneille, je ferai remarquer qu'il n'est pas étonnant que mon père, qui n'avait pas été heureux dans le discours sur sa propre réception, l'ait été dans celui-ci, qui lui fournissait pour sujet l'éloge de Corneille. Il le faisait dans l'effusion de son cœur, parce qu'il était intérieurement persuadé que Corneille valait beaucoup mieux que lui et en cela seulement il pensait comme M. de Fontenelle. Quelque crainte qu'il eût de parler de vers à mon frère, quand il le vit en âge de pouvoir discerner le bon du mauvais, il lui fit apprendre par cœur des endroits de Cinna; et lorsqu'il lui entendait réciter ce beau vers :

Et monté sur le faite, il aspire à descendre,

Remarquez bien cette expression, lui disait-il avec enthousiasme. On dit aspirer à monter; mais il faut connaitre le cœur humain aussi bien que Corneille l'a connu, pour avoir su dire de l'ambitieux, qu'il aspire à descendre. » On ne croira point qu'il ait affecté la modestie lorsqu'il parlait ainsi en particulier à son fils: il lui disait ce qu'il pensait.

Tout l'endroit de son discours dans l'Académie qui contenait l'éloge de Corneille fut extrêmement goûté; et comme il avait réussi parce qu'il louait ce qu'il admirait, il réussit également dans l'éloge de Louis XIV, lorsque, s'adressant à M. Bergeret, premier commis du secrétaire d'État des affaires étrangères, il fit voir combien les négociations étaient faciles sous un roi dont les ministres n'avaient tout au plus que « l'embarras de faire entendre avec dignité aux cours étrangères ce qu'il leur dictait avec sagesse. » Là il dépeignit le roi, la veille du jour qu'il partit pour se mettre à la tête de ses armées, écrivant dans son cabinet six lignes, pour les envoyer à son ambassadeur; et les puissances étrangères « ne pouvant s'écarter d'un seul pas du cercle étroit qui leur était tracé par ces six lignes » : paroles qui représentaient toutes ces puissances sous l'image du roi Antiochus, étonné, quoique à la tête de ses armées, du cercle

que l'ambassadeur romain traça autour de lui, et obligé de rendre sa réponse avant que d'en sortir.

Louis XIV, informé du succès de ce discours, voulut l'entendre. L'auteur eut l'honneur de lui en faire la lecture; après laquelle le roi lui dit : « Je suis très-content: je vous louerais davantage si vous m'aviez moins loué. » Ce mot fut bientôt répandu partout, et attira à mon père une lettre que je vais rapporter, parce qu'ayant été écrite par un homme qui était alors. dans la disgrace, et qui écrivait à un ami dans toute la sincérité de son cœur et la confiance du secret, elle fait voir de quelle manière pensaient de Louis XIV ceux mêmes qui croyaient avoir quelque sujet de s'en plaindre:

« J'ai à vous remercier, monsieur, du discours qui m'a été envoyé de votre part. Rien n'est assurément si éloquent, et le héros que vous y louez est d'autant plus digne de vos louanges, qu'il y a trouvé de l'excès. Il est bien difficile qu'il n'y en ait toujours un peu : les plus grands hommes sont hommes, et se sentent toujours par quelque endroit de l'infirmité humaine. Je vous dirais bien des choses sur cela, si j'avais le plaisir de vous voir; mais il faudrait avoir dissipé un nuage que j'ose dire être une tache dans ce soleil. Ce ne serait pas une chose difficile, si ceux qui le pourraient faire avaient assez de générosité pour l'entreprendre. Je vous assure que les pensées que j'ai sur cela ne sont point intéressées, et que ce qui peut me regarder me touche fort peu. Si j'ai quelque peine, c'est d'être privé de la consolation de voir mes amis. Un tête-à-tête avec vous et avec votre compagnon me ferait bien du plaisir; mais je n'achèterais pas ce plaisir par la moindre lâcheté. Vous savez ce que cela veut dire : ainsi je demeure en paix, et j'attends avec patience que Dieu fasse connaître à ce prince si accompli qu'il n'a point dans son royaume de sujet plus fidèle, plus passionné pour sa véritable gloire, et si je l'ose dire, qui l'aime d'un amour plus pur et plus dégagé de tout intérêt. Je pourrais ajouter que je suis naturellement si sincère, que si je ne sentais dans mon cœur la vérité de ce que je dis, rien au monde ne serait capable de me le faire dire. C'est pourquoi aussi je ne pourrais me résoudre à faire un pas pour avoir la liberté de voir mes amis, à moins que ce ne fût à mon prince seul que j'en fusse redevable.

« Je suis, etc. »

Boileau, nouvel académicien, fut longtemps assez exact aux assemblées, dans lesquelles il avait souvent des contradictions à essuyer. Il parle, dans une lettre écrite à mon père, de ses disputes avec M. Charpentier. Dans ces disputes littéraires, il ne trouvait pas ordinairement le grand nombre pour lui, parce qu'il était environné de confrères peu disposés à être de son avis. Un jour cependant il fut victorieux; et quand il racontait cette victoire, il ajoutait en élevant la voix : « Tout le monde fut de mon avis ce qui m'étonna'; car j'avais raison, et c'était moi. >>

Lorsqu'il fut question de recevoir à l'Académie M. le marquis de Saint-Aulaire, il s'y opposa vivement, et répondit à ceux qui lui représentaient qu'il fallait avoir des égards pour un homme de cette condition: « Je ne lui dispute pas ses titres de noblesse, mais je lui dispute ses titres du Parnasse. » Un des académiciens ayant répliqué que M. de Saint-Aulaire avait aussi ses titres du Parnasse, puisqu'il avait fait de fort jolis vers : « Eh bien, monsieur, lui dit Boileau, puisque vous estimez ses vers, faites-moi l'honneur de mépriser les miens. >>

En 1685, M. le marquis de Seignelay, devant donner dans sa maison de Sceaux une fête au roi, demanda des vers à mon père, qui, malgré la résolution qu'il avait prise de n'en plus faire, n'en put refuser dans une pareille occasion à un ministre auquel il était fort attaché, fils de son bienfaiteur. J'ai plus d'une fois entendu dire à M. le chancelier que l'antiquité (et qui la connait mieux que lui?) ne nous offrait rien, dans un pareil genre, de si parfait que cette Idylle sur la paix. Il admire comment le poëte, en faisant parler des bergers, a su réunir aux sentiments tendres et aux peintures riantes les grandes et terribles images, dans un style toujours naturel, et sans sortir du ton de l'idylle. Puisqu'il m'est permis de rapporter historiquement les sentiments des autres, et que je rapporte ceux d'un grand juge, j'ajouterai que je l'ai entendu, à ce sujet, faire remarquer l'heureuse disposition du même auteur à écrire dans tous les genres différents. Est-il orateur, est-il historien: il excelle. Est-il poëte: s'il fait une

comédie, il sait y faire rire et le parterre et ceux qui n'aiment que la fine plaisanterie. Dans ses tragédies, il change de style suivant les sujets la versification d'Andromaque n'est pas celle de Britannicus; celle de Phèdre n'est pas celle d'Athalie. Compose-t-il des chœurs et des cantiques il a le lyrique le plus sublime. Fait-il des épigrammes i les assaisonne du meilleur sel. Entreprend-il une idylle: il l'invente dans un goût nouveau. Quelques personne: prétendent que Lulli, chargé de la mettre en musique, trouva dans la force des vers un travail que les vers de Quinault ne lui avaient pas fait connaître. Il est pourtant certain que Lulli est aussi grand musicien dans cette idylle que dans ses opéras, et a parfaitement rendu le poëte: j'avouerai seulement qu'à ces deux vers,

Retranchez de nos ans

Pour ajouter à ses années,

la chute, à cause de la prononciation de la dernière syllabe, ne satisfait pas l'oreille, et que ce n'est pas la faute du musicien, mais celle du poëte, qui n'avait pas pour le musicien cette même attention qu'avait Quinault.

Lorsque M. le comte de Toulouse fut sorti de l'enfance, madame de Montespan consulta mon père sur le choix de celui à qui on confierait l'éducation du jeune prince. Elle demandait un homme d'un mérite distingué, et d'un nom connu. Mon père, voulant en cette occasion obliger M. du Trousset, qu'il estimait beaucoup, dit à madame de Montespan: « Je vous propose sans crainte un homme dont le nom n'est pas connu; mais il mérite de l'être : ses ouvrages, qu'il n'a point donnés au public sous son nom, en ont été bien reçus. » Ces ouvrages étaient la Critique de la princesse de Clèves, la Vie du duc de Guise, et quelques petites pièces de vers fort ingénieuses. M. du Trousset, connu depuis sous le nom de Valincour, fut agréé. On lui confia l'éducation du prince. Il fut dans la suite secrétaire général de la marine, et, par l'estime qu'il acquit à la cour, justifia le choix de madame de Montespan et le témoignage de celui qui le lui avait fait connaître.

Je n'ai jamais pu lire sans une surprise extrême ce qu'il dit dans sa lettre à M. l'abbé d'Olivet, en parlant de l'histoire du roi : « Despréaux et Racine, après avoir longtemps essayé ce travail, sentirent qu'il était tout à fait opposé à leur génie. » M. de Valincour, associé pour ce travail à Boileau, après la mort de mon père, et chargé seul de la continuation de cette histoire après la mort de Boileau, suivant toute apparence n'a jamais rien composé sur cette matière. Il pouvait avoir, aussi bien que ses prédécesseurs, le style historique; mais pourquoi a-t-il voulu faire entendre que, regardant ce travail comme opposé à leur génie, ils ne s'en occupaient pas, lui qui a su mieux qu'un autre combien ils s'en étaient occupés, et qui a été dépositaire, après leur mort, de ce qu'ils en avaient écrit? Le fatal incendie qui en 1726 consuma la maison qu'il avait à Saint-Cloud, fut si prompt, qu'on ne put sauver les papiers les plus importants de l'Amirauté, et que les morceaux de l'histoire du roi périrent avec plusieurs autres papiers précieux à la littérature. Le recueil des lettres de Boileau et de mon père fera connaître l'application continuelle qu'ils donnaient à l'histoire dont ils étaient chargés. Quand ils avaient écrit quelque morceau intéressant, ils allaient le lire au roi.

Ces lectures se faisaient chez madame de Montespan. Tous deux avaient leur entrée chez elle, aux heures que le roi y venait jouer, et madame de Maintenon était ordinairement présente à la lecture. Elle avait, au rapport de Boileau, plus de goût pour mon père que pour lui; et madame de Montespan avait au contraire plus de goût pour Boileau que pour mon père; mais ils faisaient toujours ensemble leur cour, sans aucune jalousie entre eux. Lorsque le roi arrivait chez madame de Montespan, ils lui lisaient quelque chose de son histoire, ensuite le jeu commençait; et lorsqu'il échappait à madame de Montespan, pendant le jeu, des paroles un peu aigres, ils remarquèrent, quoique fort peu clairvoyants, que le roi, sans lui répondre, regardait en souriant madame de Maintenon, qui était assise vis-à-vis lui sur un tabouret, et qui enfin disparut tout à coup de ces assemblées. Ils la rencontrèrent dans la galerie, et lui demandèrent pourquoi elle ne venait plus écouter leur lecture. Elle leur

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