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répondit fort froidement : « Je ne suis plus admise à ces mystères. » Comme ils lui trouvaient beaucoup d'esprit, ils en furent mortifiés et étonnés. Leur étonnement fut bien plus grand lorsque le roi, obligé de garder le lit, les fit appeler, avec ordre d'apporter ce qu'ils avaient écrit de nouveau sur son histoire, et qu'ils virent, en entrant, madame de Maintenon assise dans un fauteuil près du chevet du roi, s'entretenant familièrement avec Sa Majesté. Ils allaient commencer leur lecture, lorsque madame de Montespan, qui n'était point attendue, entra, et après quelques compliments au roi, en fit de si longs à madame de Maintenon, que, pour les interrompre, le roi lui dit de s'asseoir, « n'étant pas juste, ajouta-t-il, qu'on lise sans vous un ouvrage que vous avez vous-même commandé. » Son premier mouvement fut de prendre une bougie pour éclairer le lecteur : elle fit ensuite réflexion qu'il était plus convenable de s'asseoir, et de faire tous ses efforts pour paraître attentive à la lecture. Depuis ce jour, le crédit de madame de Maintenon alla en augmentant d'une manière si visible, que les deux historiens lui firent leur cour autant qu'ils la savaient faire.

Mon père, dont elle goûtait la conversation, était beaucoup mieux reçu que son ami, qu'il menait toujours avec lui. Ils s'entretenaient un jour avec elle de la poésie; et Boileau déclamant contre le goût de la poésie burlesque, qui avait régné autrefois, dit dans sa colère : « Heureusement ce misérable goût est passé, et on ne lit plus Scarron, même dans les provinces. » Son ami chercha promptement un autre sujet de conversation, et lui dit, quand il fut seul avec lui : « Pourquoi parlez-vous devant elle de Scarron? ignorez-vous l'intérêt qu'elle y prend? - Hélas! non, reprit-il mais c'est toujours la première chose que j'oublie quand je la vois. >>

Malgré la remontrance de son ami, il eut encore la même distraction au lever du roi. On y parlait de la mort du comédien Poisson: « C'est une perte, dit le roi; il était bon comédien. -Oui, reprit Boileau, pour faire un don Japhet: il ne brillait que dans ces misérables pièces de Scarron.» Mon père lui fit signe de se taire, et lui dit en particulier: « Je ne puis donc paraître avec vous à la cour, si vous êtes toujours si imprudent. J'en suis honteux, lui répondit Boileau: mais quel est l'homme à qui il n'échappe une sottise? »

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Incapable de trahir jamais sa pensée, il n'avait pas toujours assez de présence d'esprit pour la taire; il avouait que la franchise était une vertu souvent dangereuse; mais il se'consolait de ses imprudences par la conformité de caractère qu'il prétendait avoir avec M. Arnauld, dont, pour se justifier, il racontait le fait suivant, qui peut trouver place dans un ouvrage où je rassemble plusieurs traits de simplicité d'hommes connus. M. Arnauld, obligé de se cacher, trouva une retraite à l'hôtel de Longueville, à condition qu'il n'y paraîtrait qu'avec un habit séculier, une grande perruque sur la tête, et l'épée au côté. Il y fut attaqué de la fièvre; et madame de Longueville ayant fait venir le médecin Brayer, lui recommanda d'avoir grand soin d'un .gentilhomme qu'elle protégeait particulièrement, et à qui elle avait donné depuis peu une chambre dans son hôtel. Brayer monte chez le malade, qui après l'avoir entretenu de sa fièvre, lui demande des nouvelles. « On parle, lui dit Brayer, d'un livre nouveau de PortRoyal, qu'on attribue à M. Arnauld ou à M. de Sacy; mais je ne le crois pas de M. de Sacy: il n'écrit pas si bien. » A ce mot, M. Arnauld oubliant son habit gris et sa perruque, lui répond vivement : « Que voulez-vous dire? mon neveu écrit mieux que moi. » Brayer envisage son malade, se met à rire, descend chez madame de Longueville, et lui dit : « La maladie de votre gentilhomme n'est pas considérable; je vous conseille cependant de faire en sorte qu'il ne voie personne; il ne faut pas le laisser parler. » Madame de Longueville, étonnée des réponses indiscrètes qui échappaient souvent à M. Arnauld et à M. Nicole, disait qu'elle aimerait mieux confier son secret à un libertin.

Boileau ne savait ni dissimuler ni flatter. Il eut cependant par hasard quelques saillies assez beureuses. Lorsque le roi lui demanda son âge, il répondit : « Je suis venu au monde un an avant Votre Majesté, pour annoncer les merveilles de son règne. »

Dans le temps que l'affectation de substituer le mot de gros à celui de grand régnait à Paris comme en quelques provinces, où l'on dit un gros chagrin pour un grand chagrin, le roi lui

demanda ce qu'il pensait de cet usage: «Je le condamne, répondit-il, parce qu'il y a bien de la différence entre Louis le Gros et Louis le Grand. »

Malgré quelques réponses de cette nature, il n'avait pas la réputation d'être courtisan; et mon père passait pour plus habile que lui dans cette science, quoiqu'il n'y fût pas regardé non plus comme bien expert par les fins courtisans, et par le roi même, qui dit, en le voyant un jour à la promenade avec M. de Cavoie. « Voilà deux hommes que je vois souvent ensemble; j'en devine la raison Cavoie avec Racine se croit bel esprit; Racine avec Cavoie se croit courtisan. » Si l'on entend par courtisan un homme qui ne cherche qu'à mériter l'estime de son maître, il l'était; si l'on entend un homme qui, pour arriver à ses vues, est savant dans l'art de la dissimulation et de la flatterie, il ne l'était point, et le roi n'en avait pas pour lui moins d'estime.

Il lui en donna des preuves en l'attirant souvent à sa cour, où il voulut bien lui accorder un appartement dans le château, et même les entrées. Il aimait à l'entendre lire, et lui trouvait un talent singulier pour faire sentir la beauté des ouvrages qu'il lisait. Dans une indisposition qu'il eut, il lui demanda de lui chercher quelque livre propre à l'amuser: mon père proposa une des Vies de Plutarque. «C'est du gaulois, » répondit le roi. Mon père répliqua qu'il tâcherait, en lisant, de changer les tours de phrase trop anciens, et de substituer les mots en usage aux mots vieillis depuis Amyot. Le roi consentit à cette lecture; et celui qui eut l'honneur de la faire devant lui sut si bien changer, en lisant, tout ce qui pouvait, à cause du vieux langage, choquer l'oreille de son auditeur, que le roi écouta avec plaisir, et parut goûter toutes les beautés de Plutarque mais l'honneur que recevait ce lecteur sans titre fit murmurer contre lui les lecteurs en charge.

Quelque agrément qu'il pût trouver à la cour, il y mena toujours une vie retirée, partageant son temps entre peu d'amis et ses livres. Sa plus grande satisfaction était de revenir passer quelques jours dans sa famille; et lorsqu'il se retrouvait à sa table avec sa femme et ses enfants, il disait qu'il faisait meilleure chère qu'aux tables des grands.

Il revenait un jour de Versailles pour goûter ce plaisir, lorsqu'un écuyer de M. le Duc vint lui dire qu'on l'attendait à dîner à l'hôtel de Condé. « Je n'aurai point l'honneur d'y aller, lui répondit-il; il y a plus de huit jours que je n'ai vu ma femme et mes enfants, qui se font une fête de manger aujourd'hui avec moi une très-belle carpe; je ne puis me dispenser de diner avec eux. » L'écuyer lui représenta qu'une compagnie nombreuse, invitée au repas de M. le Duc, se faisait aussi une fête de l'avoir, et que le prince serait mortifié s'il ne venait pas. Une personne de la cour, qui m'a raconté la chose, m'a assuré que mon père fit apporter la carpe, qui était d'environ un écu, et que la montrant à l'écuyer, il lui dit : « Jugez vous-même si je puis me dispenser de diner avec ces pauvres enfants, qui ont voulu me régaler aujourd'hui, et n'auraient plus de plaisir s'ils mangeaient ce plat sans moi. Je vous prie de faire valoir cette raison à Son Altesse sérénissime. » L'écuyer la rapporta fidèlement, et l'éloge qu'il fit de la carpe devint l'éloge de la bonté du père, qui se croyait obligé de la manger en famille. Quand un homme a mérité qu'on admire son caractère dans ces petites choses, il est permis de les rapporter, en disant de lui ce que Tacite disait de son beau-père : Bonum virum facile crederes, magnum libenter.

Ce caractère n'est pas celui d'un homme ardent à saisir toutes les occasions de faire sa cour. Il ne les cherchait jamais, et souvent sa piété l'empêchait de profiter de celles qui se présentaient. On lui dit qu'il ferait plaisir au roi d'aller donner quelques leçons de déclamation à une princesse qui est aujourd'hui dans un rang très-élevé 1. Il y alla; et quand il vit qu'il s'agissait de faire répéter quelques endroits d'Andromaque, qu'on avait fait apprendre par cœur à la jeune princesse, il se retira, et demanda en grâce qu'on n'exigeât point de lui de pareilles leçons.

M. de Fontenelle nous apprend que Corneille, agité de quelques inquiétudes au sujet de

1. Mademoiselle de Blois, mariée depuis au Régent.

ses pièces dramatiques, eut besoin d'être rassuré par des casuistes, qui lui firent toujours grâce en faveur de la pureté qu'il avait établie sur le théâtre. Mon père, qui fut son casuiste à lui-même, ne se fit aucune grâce; et comme il ne rougissait point d'avouer ses remords, il ne laissa ignorer à personne qu'il eût voulu pouvoir anéantir ses tragédies profanes, dont on ne lui parlait point à la cour, parce qu'on savait qu'il n'aimait point à en entendre parler.

On peut reprocher aux éditeurs la négligence des dernières éditions de ses OEuvres1. II n'est pas étonnant néanmoins qu'elles n'aient point été exactes depuis sa mort, puisqu'elles ne l'étaient pas de son vivant. Il ne présida qu'aux premières; et dans la suite ce fut Boileau qui, sans lui en parler, examina les épreuves. Le libraire obtint enfin de l'auteur même d'en revoir un exemplaire, et il ne put s'empêcher d'y faire plusieurs corrections: mais, avant que de mourir, il fit brûler cet exemplaire, comme je l'ai dit ailleurs; et mon frère, qui fut le ministre de ce sacrifice, n'eut pas la liberté d'examiner de quelle nature étaient les corrections; il vit seulement qu'elles étaient plus nombreuses dans le premier volume que dans le second.

Toute sa crainte était d'avoir un fils qui eût envie de faire des tragédies. « Je ne vous dissimulerai point, disait-il à mon frère, que dans la chaleur de la composition on ne soit quelquefois content de soi; mais, et vous pouvez m'en croire, lorsqu'on jette le lendemain les yeux sur son ouvrage, on est tout étonné de ne plus rien trouver de bon dans ce qu'on admirait la veille; et quand on vient considérer, quelque bien qu'on ait fait, qu'on aurait pu mieux faire, et combien on est éloigné de la perfection, on est souvent découragé. Outre cela, quoique les applaudissements que j'ai reçus m'aient beaucoup flatté, la moindre critique, quelque mauvaise qu'elle ait été, m'a toujours causé plus de chagrin que toutes les louanges ne m'ont fait de plaisir. »

Il comptait au nombre des choses chagrinantes les louanges des ignorants; et lorsqu'il se mettait en bonne humeur, il rapportait le compliment d'un vieux magistrat qui, n'ayant jamais été à la comédie, s'y laissa entraîner par une compagnie, à cause de l'assurance qu'elle lui donna qu'il verrait jouer l'Andromaque de Racine. Il fut très-attentif au spectacle, qui finissait par les Plaideurs. En sortant il trouva l'auteur, et lui dit : « Je suis, monsieur, très-content de votre Andromaque; c'est une jolie pièce je suis seulement étonné qu'elle finisse si gaiement. J'avais d'abord eu quelque envie de pleurer, mais la vue des petits chiens m'a fait rire. » Le bonhomme s'était imaginé que tout ce qu'il avait vu représenter sur le théâtre était Andromaque.

Boileau racontait aussi qu'un de ses parents, à qui il avait fait présent de ses OEuvres, lui dit, après les avoir lues: « Pourquoi, mon cousin, tout n'est-il pas de vous dans vos ouvrages? j'y ai trouvé deux lettres à M. de Vivonne, dont l'une est de Balzac, et l'autre de Voiture. >>

Un homme qui vivait à la cour, et qui depuis a été dans une grande place, lui demanda par quelle raison il avait fait un traité sur le Sublimé. Il n'avait fait qu'ouvrir le volume de ses OEuvres, dont Boileau lui avait fait présent, et ayant lu sublimé pour sublime, il ne pouvait comprendre qu'un poëte eût écrit sur un tel sujet.

Boileau, allant toucher sa pension au trésor royal, remit son ordonnance à un commis, qui, y lisant ces paroles : « La pension que nous avons accordée à Boileau à cause de la satisfaction que ses ouvrages nous ont donnée, » lui demanda de quelle espèce étaient ses ouvrages: « De maçonnerie, lui répondit-il; je suis un architecte. »>

Les poëtes, qui s'imaginent être connus et admirés de tout le monde, trouvent souvent des occasions qui les humilient. Ils doivent s'attendre encore que leurs ouvrages essuieront les discours les plus bizarres, et seront exposés tantôt aux critiques injustes des envieux, tantôt aux louanges stupides des ignorants, et tantôt aux fausses décisions de ceux qui se croient des

1. C'est celui de nos poëtes qui a été imprimé avec le moins de soin. Non-seulement la dernière édition contient une Vie faite par un homme peu instruit, et des lettres pitoyables sur ses tragédies; mais on a remis dans le texte des vers que l'auteur avait changés. (L. R.)

juges. Un poëte, après avoir excité la terreur dans ses tragédies, peut s'entendre comparer à une petite colombe gémissante, comme je l'ai dit autre part; et tous ces discours, quoique méprisables, révoltent toujours l'amour-propre d'un auteur qui croit que tout le monde lui doit

rendre justice.

Mon père, pour dégoûter encore mon frère de vers, et dans la crainte qu'il n'attribuât à ses tragédies les caresses dont quelques grands seigneurs l'accablaient, lui disait : « Ne croyez pas que ce soient mes vers qui m'attirent toutes ces caresses. Corneille fait des vers cent fois plus beaux que les miens, et cependant personne ne le regarde. On ne l'aime que dans la bouche de ses acteurs; au lieu que sans fatiguer les gens du monde du récit de mes ouvrages, dont je ne leur parle jamais, je me contente de leur tenir des propos amusants, et de les entretenir de choses qui leur plaisent. Mon talent avec eux n'est pas de leur faire sentir que j'ai de l'esprit, mais de leur apprendre qu'ils en ont. Ainsi, quand vous voyez M. le Duc passer souvent des heures entières avec moi, vous seriez étonné, si vous étiez présent, de voir que souvent il en sort sans que j'aie dit quatre paroles: mais peu à peu je le mets en humeur de causer, et il sort de chez moi encore plus satisfait de lui que de moi. »

Le premier précepte qu'il lui donna quand il le fit entrer dans le monde fut celui-ci : « Ne prenez jamais feu sur le mal que vous entendrez dire de moi. On ne peut plaire à tout le monde, et je ne suis pas exempt de fautes plus qu'un autre. Quand vous trouverez des personnes qui ne vous paraîtront pas estimer mes tragédies, et qui même les attaqueront par des critiques injustes, pour toute réponse, contentez-vous de les assurer que j'ai fait tout ce que j'ai pu pour plaire au public, et que j'aurais voulu pouvoir mieux faire. »

Il avait eu dans sa jeunesse une passion démesurée pour la gloire. La religion l'avait entièrement changé. Il reprochait souvent à Boileau l'amour qu'il conservait toujours pour ses vers, jusqu'à vouloir donner au public les moindres épigrammes faites dans sa jeunesse, et vider, comme il disait, son portefeuille entre les mains d'un libraire. Loin d'être si libéral du sien, il ne nous l'a pas même laissé.

Il eût pu exceller dans l'épigramme. Je ne rapporterai point ici celles qu'il a faites. On connaît les meilleures, savoir: celles sur l'Aspar, sur l'Iphigénie de Le Clerc, et sur la Judith de Boyer. Cette dernière est regardée comme une épigramme parfaite. M. de Valincour remarque qu'il avait l'esprit porté à la raillerie, et même à une raillerie amère, ce qui était cause qu'il disait quelquefois des choses un peu piquantes, sans avoir intention de fâcher les personnes à qui il les disait. Lorsque, après la capitulation du château de Namur, le prince de Barbançon, qui en était gouverneur, en sortait, il lui dit : « Voilà un mauvais temps pour déménager; ce qu'il ne lui disait qu'à cause des pluies continuelles. Le prince, qui crut qu'il le voulait railler, répondit avec douceur: « Quand on déménage comme je fais, le plus mauvais temps est trop beau; » et cette réponse plut fort au roi.

Il est vrai, comme il est rapporté dans le Bolæana, que mon père dit à quelqu'un qui s'étonnait de ce que la Judith de Boyer n'était point sifflée : « Les sifflets sont à Versailles aux sermons de l'abbé Boileau. » Il estimait infiniment l'abbé Boileau, et ne fit cette réponse que pour faire remarquer certaine bizarrerie d'un goût passager, qui est cause qu'un bon prédicateur n'est pas goûté, tandis qu'un mauvais poëte est applaudi.

La piété, qui avait éteint en lui la passion des vers, sut aussi modérer son penchant à la raillerie, et il n'avait plus depuis longtemps qu'une plaisanterie agréable avec ses amis, comme lorsqu'il cria à M. de Valincour, qui entrait dans la galerie de Versailles : « Eh! monsieur, où est le feu?» parce que M. de Valincour, avec un air empressé, marchait toujours à grands pas, ou plutôt courait comme un homme qui va annoncer que le feu est quelque part.

Boileau avait contribué à faire sentir à mon père le danger de la raillerie, même entre amis. S'il recevait de lui des conseils, il lui en donnait à son tour: c'est le caractère de la véritable amitié, comme dit Cicéron: Moneri et monere proprium est veræ amicitiæ. Dans une dispute qu'ils eurent sur quelque point de littérature, Boileau, accablé de ses railleries,

lui dit d'un grand sang-froid quand la dispute fut finie: «Avez-vous eu envie de me fâcher? Dieu m'en garde, répond son ami. vous m'avez fâché. »

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Eh bien! répond Boileau, vous avez donc tort, car

Dans une autre dispute de même nature, Boileau, pressé par de bonnes raisons, mais dites avec chaleur et raillerie, perdit patience et s'écria: «Eh bien! oui, j'ai tort; mais j'aime mieux avoir tort que d'avoir orgueilleusement raison. »>

Il ne pouvait assez admirer comment son ami, que la vivacité de son esprit et de son tempérament portait à plusieurs passions dangereuses dans la société, pour soi-même et pour les autres, avait toujours pu en modérer la violence: ce qu'il attribuait aux sentiments de religion qu'il avait eus gravés dans le cœur dès l'enfance, et qui le retinrent contre ses penchants dans les temps même les plus impétueux de sa jeunesse. Sur quoi il disait : « La raison conduit ordinairement les autres à la foi; c'est la foi qui a conduit M. Racine à la raison. »

Boileau avait reçu de la nature un caractère plus propre à la tranquillité et au bonheur. Exempt de toutes passions, il n'eut jamais à combattre contre lui-même. Il n'était point satirique dans sa conversation; ce qui faisait dire à madame de Sévigné qu'il n'était cruel qu'en vers. Sans être ce qu'on appelle dévot, il fut exact, dans tous les temps de sa vie, à remplir les principaux devoirs de la religion. Se trouvant à Pâques dans la terre d'un ami, il alla à confesse au curé, qui ne le connaissait pas, et qui était un homme fort simple. Avant que d'entendre sa confession, il lui demanda quelles étaient ses occupations ordinaires : « De faire des vers, répondit Boileau. Tant pis, dit le curé. Et quels vers? - Des satires, ajouta le pénitent. Encore pis, répondit le confesseur. Et contre qui?- Contre ceux, dit Boileau, qui font mal des vers; contre les vices du temps, contre les ouvrages pernicieux, contre les romans, contre les opéras. — Ah! dit le curé, il n'y a donc pas de mal, et je n'ai plus rien à vous dire. >>

On peut bien assurer que ces deux poëtes n ont jamais rougi de l'Évangile. Mon père, chef de famille, se croyait obligé à une plus grande régularité. Il n'allait jamais aux spectacles, et ne parlait devant ses enfants ni de comédie, ni de tragédie profane. A la prière qu'il faisait tous les soirs au milieu d'eux et de ses domestiques, quand il était à Paris, il ajoutait la lecture de l'évangile du jour, que souvent il expliquait lui-même par une courte exhortation proportionnée à la portée de ses auditeurs, et prononcée avec cette âme qu'il donnait à tout ce qu'il disait.

Pour occuper de lectures pieuses M. de Seignelay, malade, il allait lui lire les Psaumes. Cette lecture le mettait dans une espèce d'enthousiasme, dans lequel il faisait sur-le-champ une paraphrase du psaume. J'ai entendu dire à M. l'abbé Renaudot, qui était un des auditeurs, que cette paraphrase leur faisait sentir toute la beauté du psaume, et les enlevait.

Un autre exemple de cet enthousiasme qui le saisissait dans la lecture des choses qu'il admirait, est rapporté par M. de Valincour. Il était avec lui à Auteuil, chez Boileau, avec M. Nicole et quelques autres amis distingués. On vint à parler de Sophocle, dont il était si grand admirateur, qu'il n'avait jamais osé prendre un de ses sujets de tragédie. Plein de cette pensée, il prend un Sophocle grec, et lit la tragédie d'Edipe, en la traduisant sur-le-champ. Il s'émut à tel point, dit M. de Valincour, que tous les auditeurs éprouvèrent les sentiments de terreur et de pitié dont cette pièce est pleine. « J'ai vu, ajoute-t-il, nos meilleures pièces représentées par nos meilleurs acteurs rien n'a jamais approché du trouble où me jeta ce récit; et au moment que j'écris, je m'imagine voir encore Racine le livre à la main, et nous tous consternés autour de lui. » Voilà sans doute ce qui a fait croire qu'il avait dessein de composer un Edipe.

Un morceau d'éloquence qui le mettait dans l'enthousiasme était la prière à Dieu qui termine le livre contre M. Mallet. Il aimait à la lire; et lorsqu'il se trouvait avec des personnes disposées à l'entendre, il les attendrissait, suivant ce que m'a raconté M. Rollin, qui avait été présent à une de ces lectures.

Dans l'écrit intitulé le Nouvel Absalon, etc. qui fut imprimé par ordre de Louis XIV, il

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