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l'espérance d'être utile au public. Il remit à madame de Maintenon un mémoire aussi solidement raisonné que bien écrit. Elle le lisait, lorsque le roi, entrant chez elle, le prit, et après en avoir parcouru quelques lignes, lui demanda avec vivacité quel en était l'auteur. Elle répondit qu'elle avait promis le secret. Elle fit une résistance inutile: le roi expliqua sa volonté en termes si précis, qu'il fallut obéir. L'auteur fut nommé.

Le roi, en louant son zèle, parut désapprouver qu'un homme de lettres se mêlât de choses qui ne le regardaient pas. Il ajouta même, non sans quelque air de mécontentement : « Parce qu'il sait faire parfaitement des vers, croit-il tout savoir? et parce qu'il est grand poëte, veut-il être ministre?» Si le roi eût pu prévoir l'impression que firent ces paroles, il ne les eût point dites. On n'ignore pas combien il était bon pour tous ceux qui l'environnaient : il n'eut jamais intention de chagriner personne; mais il ne pouvait soupçonner que ces paroles tomberaient sur un cœur si sensible.

Madame de Maintenon, qui fit instruire l'auteur du mémoire de ce qui s'était passé, lui fit dire en même temps de ne la pas venir voir jusqu'à nouvel ordre. Cette nouvelle le frappa vivement. Il craignit d'avoir déplu à un prince dont il avait reçu tant de marques de bonté. Il ne s'occupa plus que d'idées tristes; et quelque temps après, il fut attaqué d'une fièvre assez violente, que les médecins firent passer à force de quinquina. Il se croyait guèri, lorsqu'il lui perça à la région du foie une espèce d'abcès qui jetait de temps en temps quelque matière; les médecins lui dirent que ce n'était rien. Il y fit moins d'attention, et retourna à Versailles, qui ne lui parut plus le même séjour, parce qu'il n'avait plus la liberté d'y voir madame de Maintenon.

Dans ce même temps, les charges de secrétaire du roi furent taxées, et comme il s'était incommodé pour achever le payement de la sienne, il se trouvait fort embarrassé d'en payer encore la taxe. Il espéra que le roi l'en dispenserait, et il avait lieu de l'espérer, parce que, lorsqu'en 1685 il eut contribué à une somme de cent mille livres, que le bureau des finances de Moulins avait payée, en conséquence de la déclaration du 28 avril 1684, il avait obtenu du roi une ordonnance sur le trésor royal, pour y aller reprendre sa part, qui montait environ à quatre mille livres. Pour obtenir la même grâce, il fit un placet; et n'osant le présenter luimême, il eut recours à des amis puissants, qui voulurent bien le présenter. Cela ne se peut, répondit d'abord le roi, qui ajouta un moment après : « S'il se trouve dans la suite quelque occasion de le dédommager, j'en serai fort aise. » Ces dernières paroles devaient le consoler entièrement. Il ne fit attention qu'aux premières, et ne doutant plus que l'esprit du roi ne fût changé à son égard, il n'en pouvait trouver la raison. Le mémoire que l'amour du bien public lui avait inspiré, et qu'il avait écrit par obéissance, et confié sous la promesse du secret, ne lui paraissait pas un crime. Ce n'est point à moi à examiner s'il se trompait ou non; je ne suis qu'historien. Trop souvent occupé de son malheur, il cherchait toujours en lui-même quel était son crime; et, ne pouvant soupçonner le véritable, il s'en fit un dans son imagination. Il se figura qu'on avait rendu suspecte sa liaison avec Port-Royal. Pour justifier une liaison si naturelle avec une maison où il avait été élevé, et où il avait une tante, il écrivit à madame de Maintenon la lettre suivante, que je ne rapporte pas entière, parce qu'elle est un peu longue.

« MADAME,

A Marly, le 4 mars 1698. »

« J'avais pris le parti de vous écrire au sujet de la taxe qui a si fort dérangé mes petites affaires. Mais n'étant pas content de ma lettre, j'avais dressé un mémoire, que M. le maréchal de..... s'offrit généreusement de vous remettre entre les mains....... Voilà tout naturellement comme je me suis conduit dans cette affaire; mais j'apprends que j'en ai une autre bien plus terrible sur les bras.....

«Je vous avoue que lorsque je faisais tant chanter dans Esther: Rois, chassez la calomnie, je ne m'attendais pas que je serais moi-même un jour attaqué par la calomnie..... Ayez la bonté de vous souvenir, madame, combien de fois vous avez dit que la meilleure qualité que vous trouviez en moi, c'était une soumission d'enfant pour tout ce que l'Église croit et ordonne, même dans les plus petites choses. J'ai

fait par votre ordre plus de trois mille vers sur des sujets de piété. J'y ai parlé assurément de l'abondance de mon cœur, et j'y ai mis tous les sentiments dont j'étais rempli. Vous est-il jamais revenu qu'on y ait trouvé un seul endroit qui approchât de l'erreur?.....

« Pour la cabale, qui est-ce qui n'en peut point être accusé, si on en accuse un homme aussi dévoué au roi que je le suis, un homme qui passe sa vie à penser au roi, à s'informer des grandes actions du roi, et à inspirer aux autres les sentiments d'amour et d'admiration qu'il a pour le roi? J'ose dire que les grands seigneurs m'ont bien plus recherché que je ne les recherchais moi-même; mais dans quelque compagnie que je me sois trouvé, Dieu m'a fait la grâce de ne jamais rougir du roi ni de l'Évangile. Il ya des témoins encore vivants qui pourraient dire avec quel zèle on m'a vu souvent combattre de petits chagrins qui naissent quelquefois dans l'esprit des gens que le roi a le plus comblés de ses grâces. Eh quoi! madame, avec quelle conscience pourrais-je déposer à la postérité que ce grand prince n'admettait pas les faux rapports contre les personnes qui lui étaient le plus inconnues, s'il faut que je fasse moi-même une si triste expérience du contraire? Mais je sais ce qui a pu donner lieu à cette accusation. J'ai une tante qui est supérieure de Port-Royal, et à laquelle je crois avoir des obligations infinies. C'est elle qui m'apprit à connaître Dieu dans mon enfance, et c'est elle aussi dont Dieu s'est servi pour me retirer de l'égarement et des misères où j'ai été engagé pendant quinze années..... Elle m'a demandé, dans quelque occasion, mes services. Pouvais-je, sans être le dernier des hommes, lui refuser mes petits secours? Mais à qui est-ce, madame, que je m'adressai pour la secourir? J'allai trouver le P. de La Chaise, qui parut très-content de ma franchise, et m'assura, en m'embrassant, qu'il serait toute sa vie mon serviteur et mon ami.....

« Du reste, je puis vous protester devant Dieu que je ne connais ni ne fréquente aucun homme qui soit suspect de la moindre nouveauté. Je passe ma vie le plus retiré que je puis, dans ma famille, et ne suis, pour ainsi dire, dans le monde que lorsque je suis à Marly. Je vous assure, madame, que l'état où je me trouve est très-digne de la compassion que je vous ai toujours vue pour les malheureux. Je suis privé de l'honneur de vous voir. Je n'ose presque plus compter sur votre protection, qui est pourtant la seule que j'aie tâché de mériter. Je cherchais du moins ma consolation dans mon travail : mais jugez quelle amertume doit jeter sur ce travail la pensée que ce même grand prince dont je suis continuellement occupé me regarde peut-être comme un homme plus digne de sa colère que de ses bontés! Je suis avec un profond respect, etc. »>

Cette lettre, quoique bien écrite, ne fut point approuvée de tous ses amis. Quelques-uns lui représentèrent qu'il y annonçait des frayeurs qu'il ne devait point avoir, et qu'il se justifiait lorsqu'il n'était pas même soupçonné. Et de quoi soupçonner en effet un homme qui marche par des voies si unies?

Il avait, à la vérité, essuyé quelques railleries faites innocemment. Comme il était bon, et empressé à rendre service, les paysans des environs de Port-Royal qui l'y voyaient venir, et entendaient dire qu'il demeurait à Versailles, allaient, à cause du voisinage, l'y chercher pour lui recommander leurs affaires. Ces bonnes gens le croyaient un homme très-puissant à la cour, et allaient implorer sa protection, les uns pour quelque procès, les autres pour quelque diminution de tailles. S'ils n'en étaient pas toujours secourus, ils en étaient toujours bien reçus. Ces fréquentes visites lui attirèrent quelques plaisanteries: madame de Maintenon en faisait elle-même; on le verra par un endroit de ses lettres que je rapporte. On y verra aussi ce qu'elle y dit de sa mort toute chrétienne, et combien elle en fut édifiée. Elle le plaisantait parce qu'elle connaissait sa droiture, et qu'elle a toujours dit de lui que dans la religion il était un enfant.

Boileau, par cette même raison, le plaisantait aussi. Ni l'un ni l'autre, comme je l'ai déjà remarqué, n'étaient fins courtisans; et tous deux, en fréquentant la cour, pouvaient se dire l'un à l'autre :

Quel séjour étranger et pour vous et pour moi!

Boileau, qui y portait sa franchise étonnante, ne retenait rien de ce qu'il pensait. Le roi lui disait un jour: «Quel est un prédicateur qu'on nomme Le Tourneux? On dit que tout le monde y court est-il si habile? Sire, reprit Boileau, Votre Majesté sait qu'on court toujours à la nouveauté c'est un prédicateur qui prêche l'Evangile. » Le roi lui demanda d'en dire sérieu

sement son sentiment. Il répondit : «Quand il monte en chaire, il fait si peur par sa laideur qu'on voudrait l'en voir sortir; et quand il a commencé à parler, on craint qu'il n'en sorte. » On disait devant lui, à la cour, que le roi faisait chercher M. Arnauld pour le faire arrêter. « Le roi, dit-il, est trop heureux pour le trouver. » Une autre fois, on lui disait que le roi allait traiter fort durement les religieuses de Port-Royal; il répondit : «Eh! comment fera-t-il pour les traiter plus durement qu'elles ne se traitent elles-mêmes? »>

« Vous avez, lui disait un jour mon père, un privilége que je n'ai point: vous dites des choses que je ne dis jamais. Vous avez plus d'une fois loué dans vos vers des personnes dont les miens ne disent rien. Tout le monde devine aisément votre rime à l'Ostracisme. C'est vous qu'on doit accuser, et cependant c'est moi qu'on accuse. Quelle en peut être la raison? - Elle est toute naturelle, répondit Boileau; vous allez à la messe tous les jours, et moi je n'y vais que les fêtes et les dimanches. » C'était ainsi que ses meilleurs amis le plaisantaient sur ses inquiétudes mal fondées, qui augmentèrent cependant par le chagrin de ne plus voir madame de Maintenon, à laquelle il était sincèrement attaché.

Elle avait aussi une grande envie de lui parler; mais comme il ne lui était plus permis de le recevoir chez elle, l'ayant aperçu un jour dans le jardin de Versailles, elle s'écarta dans une allée, pour qu'il pût l'y joindre. Sitôt qu'il fut près d'elle, elle lui dit : « Que craignez-vous? C'est moi qui suis cause de votre malheur, il est de mon intérêt et de mon honneur de réparer ce que j'ai fait. Votre fortune devient la mienne. Laissez passer ce nuage: je ramènerai le beau temps. Non, non, madame, lui répondit-il, vous ne le ramènerez jamais pour moi. Et pourquoi, reprit-elle, avez-vous une pareille pensée? doutez-vous de mon cœur ou de mon crédit?» Il lui répondit : « Je sais, madame, quel est votre crédit, et je sais quelles bontés vous avez pour moi : mais j'ai une tante qui m'aime d'une façon bien différente. Cette sainte fille demande tous les jours à Dieu pour moi des disgrâces, des humiliations, des sujets de pénitence; et elle aura plus de crédit que vous. » Dans le moment qu'il parlait, on entendit le bruit d'une calèche. « C'est le roi qui se promène, s'écria madame de Maintenon, cachez-vous. »> Il se sauva dans un bosquet.

Il fit trop de réflexions sur le changement de son état à la cour; et quoique pénétré de joie, comme chrétien, de ce que Dieu lui envoyait des humiliations, l'homme est homme, et dans un cœur trop sensible le chagrin a bientôt porté son coup mortel. Sa santé s'altéra tous les jours, et il s'aperçut que le petit abcès qu'il avait près du foie était refermé: il craignit des suites fâcheuses, et aurait pris sur-le-champ le parti de se retirer pour toujours de la cour, sans la considération de sa famille, qui, n'étant pas riche, avait un très-grand besoin de lui. Dans le bas âge où j'étais, j'en avais plus besoin qu'un autre. Il projetait de s'occuper dans sa retraite de mon éducation et quel précepteur j'aurais eu! Mais il pensait en même temps qu'il me deviendrait inutile dans la suite, s'il cessait de cultiver les protecteurs qu'il avait à la cour c'était cette seule raison qui depuis un an l'y faisait rester. Il y retourna encore plusieurs fois, et il avait toujours l'honneur d'approcher de Sa Majesté. Mais on verra, dans ses dernières lettres, le peu d'empressement qu'il avait de se montrer à la cour, parce qu'il n'y paraissait plus avec cet air de contentement qu'il avait toujours eu. Il ne savait pas l'affecter; et pour déguiser son visage, il n'avait point cet art qu'il avait lui-même recommandé aux courtisans, dans Esther :

Quiconque ne sait pas dévorer un affront,

Ni de fausses couleurs se déguiser le front,

Loin de l'aspect des rois qu'il s'écarte, qu'il fuie:

Il est des contre-temps qu'il faut qu'un sage essuie.

Il n'avait plus d'autre plaisir que celui de mener une vie retirée dans son ménage, et de s'y dissiper avec ses enfants.

Enfin, un matin, étant à travailler dans son cabinet, il se sentit accablé d'un grand mal de tête; et voyant qu'il ferait mieux de se coucher que de continuer à lire, il descendit dans sa chambre. J'y étais, et je me souviens qu'il nous dit, pour ne point nous effrayer: « Mes en

fants, je crois que j'ai un peu de fièvre; mais ce n'est rien, je vais pour quelque temps me mettre au lit. » Il s'y mit, et n'en sortit plus: sa maladie fut longue. On n'en soupçonna pas d'abord la cause, quoiqu'il se plaignît toujours d'une douleur au côté droit, et qu'il eût souvent dans sa chambre les médecins de la cour, qui le venaient voir par amitié. Il fut honoré aussi des visites de plusieurs grands seigneurs, qui l'assuraient que le roi leur demandait souvent de ses nouvelles. Ils ne disaient rien que de vrai. Louis XIV eut même la bonté de lui faire connaitre l'intérêt qu'il prenait à sa santé, et je ne fais ici que copier M. Perrault dans ses Hommes illustres « Sa Majesté envoya très-souvent savoir de ses nouvelles pendant sa maladie, et témoigna du déplaisir de sa mort, qui fut regrettée de toute la cour et de toute la ville. >>

Ses douleurs commençant à devenir très-aiguës, il les reçut de la main de Dieu avec autant de douceur que de soumission et l'on ne doit point croire ce que le P. Niceron a copié d'après M. de Valincour, et ce que je contredis, parce que je m'en suis exactement informé; il n'est point vrai qu'il ait jamais demandé s'il n'était pas permis de faire cesser sa maladie et sa vie par quelques remèdes. J'ai toujours trouvé dans M. de Valincour un ami fort vif pour moi, et je lui ai eu dans ma jeunesse plusieurs obligations. Il a des droits sur mon cœur; mais la vérité en a davantage : je suis obligé, en pareille occasion, de dire qu'il s'est trompé. Tous ceux qui venaient consoler le malade étaient d'autant plus édifiés de sa patience, qu'ils connaissaient la vivacité de son caractère. Tourmenté pendant trois semaines d'une cruelle sécheresse de langue et de gosier, il se contentait de dire: «J'offre à Dieu cette peine: puisse-t-elle expier le plaisir que j'ai trouvé souvent aux tables des grands!» Un prêtre de Saint-André des Arcs, son confesseur depuis longtemps, le soutenait par ses exhortations; et M. l'abbé Boileau, chanoine de Saint-Honoré, y venait joindre les siennes.

J'étais souvent dans la chambre d'un malade si cher; et ma mémoire me rappelle les fréquentes lectures de piété qu'il me faisait faire auprès de son lit, dans les livres à ma portée. Il pria M. Rollin de veiller sur mon éducation, quand je serais en âge de profiter de ses leçons; et M. Rollin a eu dans la suite cette bonté.

Lorsqu'il fut persuadé que sa maladie finirait par la mort, il chargea mon frère d'écrire une lettre à M. de Cavoie, pour le prier de solliciter le payement de ce qui lui était dû de sa pension, afin de laisser quelque argent comptant à sa famille. Mon frère fit la lettre et vint la lui lire : « Pourquoi, lui dit-il, ne demandez-vous pas aussi le payement de la pension de Boileau? Il ne faut pas nous séparer. Recommencez votre lettre, et faites connaître à Boileau que j'ai été son ami jusqu'à la mort. » Lorsqu'il lui fit son dernier adieu, il se leva sur son lit, autant que pouvait le lui permettre le peu de forces qu'il avait, et lui dit en l'embrassant: «Je regarde comme un bonheur pour moi de mourir avant vous. »

On s'était enfin aperçu que cette maladie était causée par un abcès au foie, et quoiqu'il ne fût plus temps d'y apporter remède, on résolut de lui faire l'opération. Il s'y prépara avec une grande fermeté, et en même temps il se prépara à la mort. Mon frère s'étant approché pour lui dire qu'il espérait que l'opération lui rendrait la vie : « Et vous aussi, mon fils, lui répondit-il, voulez-vous faire comme les médecins, et m'amuser? Dieu est le maître de me rendre la vie; mais les frais de la mort sont faits. »><

Il en avait eu toute sa vie d'extrêmes frayeurs, que la religion dissipa entièrement dans sa dernière maladie : il s'occupa toujours de son dernier moment, qu'il vit arriver avec une tranquillité qui surprit et édifia tous ceux qui savaient combien il l'avait appréhendé.

L'opération fut faite trop tard; et, trois jours après, il mourut, le 21 avril 1699, âgé de cinquante-neuf ans, après avoir reçu ses sacrements avec de grands sentiments de piété, et avoir recommandé à ses enfants beaucoup d'union entre eux et de respect pour leur mère.

Il avait depuis longtemps écrit ses dernières dispositions dans cette lettre, datée du 28 octobre 1685:

« Comme je suis incertain de l'heure à laquelle il plaira à Dieu de m'appeler, et que je puis mourir sans avoir le temps de déclarer mes dernières intentions, j'ai cru que je ferais bien de prier ici ma femme de plusieurs petites choses, auxquelles j'espère qu'elle ne voudra pas manquer:

<< Premièrement, de continuer à une bonne vieille nourrice que j'ai à la Ferté-Milon, jusqu'à sa mort, quatre francs ou cent sous par mois, que je lui donne depuis quelque temps pour lui aider à vivre. « 2o Je donne une somme de 300 livres aux pauvres de la paroisse de Saint-André.

« 3° Pareille somme à ma sœur Rivière, pour distribuer à de pauvres parents que j'ai à la FertéMilon.

« 4o De donner 300 livres aux pauvres de la paroisse de Griviller.

« Ces sommes prises sur ce que je pourrai laisser de bien.

« Je la prie de remettre entre les mains de M. Despréaux tout ce qu'elle me trouvera de papiers concernant l'histoire du roi.

« Fait dans mon cabinet, ce 29 octobre 1685.

« RACINE.>>

Avec cette lettre, on trouva un testament que je rapporte, quoique déjà inséré dans son éloge par M. Perrault.

« AU NOM DU PÈRE ET DU FILS ET DU SAINT-ESPRIT.

« Je désire qu'après ma mort mon corps soit porté à Port-Royal des Champs, et qu'il y soit inhumé dans le cimetière, au pied de la fosse de M. Hamon. Je supplie très-humblement la mère abbesse et les religieuses de vouloir bien m'accorder cet honneur, quoique je m'en reconnaisse très-indigne, et par les scandales de ma vie passée, et par le peu d'usage que j'ai fait de l'excellente éducation que j'ai reçue autrefois dans cette maison, et des grands exemples de piété et de pénitence que j'y ai vus, et dont je n'ai été qu'un stérile admirateur. Mais plus j'ai offensé Dieu, plus j'ai besoin des prières d'une si sainte communauté pour attirer sa miséricorde sur moi. Je prie aussi la mère abbesse et les religieuses de vouloir accepter une somme de huit cents livres. Fait à Paris, dans mon cabinet, le 10 octobre 1698.

<< RACINE. »

Comme M. Hamon avait pris soin de ses études après la mort de M. Le Maistre, et avait été comme son précepteur, il avait conservé un grand respect pour sa mémoire. Ce fut par cette raison, et parce que d'ailleurs il voulait être dans le cimetière du dehors, qu'il demanda d'être enterré à ses pieds.

En exécution de ce testament, son corps, qui fut d'abord porté à Saint-Sulpice, sa paroisse, et mis en dépôt pendant la nuit dans le choeur de cette église, fut transporté le jour suivant. à Port-Royal, où les deux prêtres de Saint-Sulpice qui l'accompagnèrent le présentèrent avec les cérémonies et les compliments ordinaires. Quelques personnes de la cour s'entretenant du lieu où il avait voulu être enterré : « C'est ce qu'il n'eût point fait de son vivant, » dit un seigneur connu par des réflexions de cette nature.

Louis XIV parut sensible à la nouvelle de sa mort, et ayant appris qu'il laissait à une famille composée de sept enfants plus de gloire que de richesses, il eut la bonté d'accorder une pension de deux mille livres, qui serait partagée entre la veuve et les enfants jusqu'au dernier survivant.

Ma mère, après avoir été faire les remerciments de cette grâce, résolue à vivre en veuve vraiment veuve, ne fut point obligée, pour exécuter le précepte de saint Paul, de rien changer à sa façon de vivre; elle fut encore pendant trente-trois ans uniquement occupée du soin de ses enfants et des pauvres, vit avec sa tranquillité ordinaire périr en partie, dans les temps du système1, le peu de bien qu'elle avait tâché, pour l'amour de nous, d'augmenter par ses épargnes, et la mort qui, sans s'être annoncée par aucune infirmité, vint à elle tout à coup, le 15 novembre 1732, la trouva prête dès longtemps.

La mère Sainte-Thècle Racine ne survécut que peu de mois à son cher neveu. Elle mourut âgée de soixante-quatorze ans, dont pendant l'espace de plus de vingt-six, soit comme prieure, soit comme abbesse, elle avait gouverné le monastère, où elle était entrée à l'âge de neuf ans, ayant quitté le monde avant de le connaître.

Quelques jours après la mort de mon père, Boileau, qui depuis longtemps ne paraissait plus à la cour, y retourna pour recevoir les ordres de Sa Majesté par rapport à son histoire, dont 1. Le système de Law.

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