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pour soutenir un combat plus long, et pour rem- | porter une couronne plus sublime et plus glorieuse. Il y eut un autre chrétien qui était aussi d'Egypte, et qu'on nommait Némésien, lequel fut faussement accusé comme un compagnon de voleurs. Mais s'étant purgé, en présence de son centenier1, d'une calomnie qui lui avait été imposée avec si peu de fondement, on le déféra ensuite comme chrétien, et on l'amena lié et enchaîné devant le proconsul, qui, par une extrême injustice, l'ayant fait fouetter et tourmenter au double de ce que les voleurs ont accoutumé de l'être, le fit brûler en la compagnie de ces infâmes. Et ainsi ce bienheureux martyr eut l'honneur d'être traité en sa mort comme on avait traité Jésus-Christ même.

Au reste, il y avait devant la place où les juges étaient assemblés une compagnie entière de soldats chrétiens, qui étaient Ammon, Zénon, Ptolémée et Ingène, et avec eux un vieillard nommé Théophile. Il arriva qu'un chrétien ayant été présenté en jugement, ces généreux soldats reconnurent qu'il était près de succomber et de renoncer à la foi. Ce fut alors qu'ils commencèrent à serrer les dents de dépit, à lui faire signe du visage, à tendre les mains vers lui, et à s'agiter de tout le corps pour l'exhorter à demeurer ferme. Tout le monde se tourna aussitôt pour les regarder; mais avant que personne mît la main sur eux, ils vinrent eux-mêmes se présenter devant le tribunal du juge, en disant qu'ils étaient chrétiens de sorte que le proconsul et tous ceux de son conseil commencèrent à être saisis de crainte. Et pendant que les coupables attendaient avec assurance les supplices auxquels ils se voyaient près d'être condamnés, les juges, au contraire, tremblaient de frayeur. Enfin ils sortirent de ce lieu (pour être conduits à la mort) avec la même allégresse que des vainqueurs après leur victoire, étant tout joyeux d'avoir rendu un si illustre témoignage à la vérité, et de voir que Dieu les faisait triompher d'une manière si glorieuse.

Il y en eut une infinité d'autres, soit dans les villes ou dans les bourgades, que les païens immolèrent à leur fureur. J'en rapporterai ici un exemple. Il y avait un chrétien nommé Ischyrion, qui s'était mis au service d'un magistrat, et qui était comme l'intendant de sa maison. Son maître lui commanda de sacrifier aux dieux; mais, voyant qu'il refusait de lui obéir, il lui en fit de très-grands reproches; voyant ensuite que cela ne l'ébranlait pas, il le chargea de mille injures. Enfin, le voyant toujours inflexible, il prit un grand bâton ferré par le bout, et lui en ayant percé les entrailles de part en part, il le tua.

Que dirai-je du grand nombre de ceux qui, s'étant réfugiés dans les déserts et sur les montagnes, y périrent tant par les rigueurs de la faim et de la

1. Cela montre qu'il était encore un soldat.

2. Eusèbe, liv. 1, ch, xu.

3. Saint Ischyrion.

soif, du froid et des maladies, que par la cruauté des voleurs et des bêtes farouches? Ceux d'entre eux qui sont échappés de tous ces périls savent quels ont été ceux que Dieu a choisis, et qui ont reçu de lui la récompense de leurs travaux. Je ne vous en rapporterai qu'une histoire, et je crois qu'elle suffira pour vous faire juger de ce qui peut être arrivé aux autres.

Chérémon, homme fort âgé, était évêque d'une ville qu'on appelle Nil. Ce vieillard, s'étant enfui avec sa femme sur une montagne de l'Arabie, n'est point revenu depuis; et quelques recherches que nos frères aient faites de l'un et de l'autre, ils n'en ont pu apprendre aucune nouvelle, et ne les ont trouvés ni morts ni vifs. Il y en a eu plusieurs autres qui, s'étant retirés sur cette même montagne, furent pris par les Sarrasins, et réduits en servitude par ces barbares, dont les uns ont à peine été rachetés avec de très-grandes sommes d'argent, et les autres ne l'ont pas pu être encore jusqu'aujourd'hui. . . .

Ce n'est pas sans sujet, mon très-cher frère, que je vous écris ces choses'; mais c'est afin que vous connaissiez combien de maux et quelles misères nous avons ici endurés, quoique ceux qui y ont eu plus de part que moi les peuvent aussi connaître plus parfaitement...

Voici ce qu'il ajoute encore un peu après : Lor3 donc que ces saints martyrs qui, étant devenus les héritiers du royaume de Jésus-Christ, sont maintenant assis avec lui, et qui, ayant été faits participants de la puissance qu'il a de juger les hommes, les jugent en effet avec lui-même; lors, dis-je, qu'ils étaient encore parmi nous, ils recurent à leur communion quelques-uns de nos frères qui étaient tombés, et que l'on avait convaincus du crime d'avoir sacrifié aux idoles. Car, jugeant que les sentiments de regret et de pénitence qu'ils voyaient en eux pourraient être agréables à celui qui aime beaucoup mieux la pénitence du pécheur que sa mort, ils écoutèrent favorablement leurs prières, ils se réconcilièrent avec eux, et donnèrent à l'Église des lettres de recommandation en leur faveur, les faisant participer à leurs prières et à leur communion.

Que nous conseillerez-vous donc, mes frères, en cette rencontre? comment devons-nous nous gouverner? Souscrirons-nous, et nous conformeronsnous à la sentence que ces saints martyrs ont prononcée? devons-nous autoriser leur jugement par notre conduite, et faire grâce comme ils l'ont faite? Traiterons-nous avec douceur ceux qu'ils ont traités avec compassion? ou au contraire devons-nous condamner leur jugement comme injuste et déraisonnable, et nous constituer, par ce moyen, les examinateurs et les juges de ce que ces saints ont arrêté? Faut-il que nous contristions leur bonté

1. Saint Denis d'Alexandrie.

par notre rigueur, et que nous renversions ce qui | et les diacres, dont le nombre y était beaucoup a été ordonné par eux?

Ce n'a pas été sans raison que Denis a inséré ces choses dans sa lettre, et qu'il a remué cette question touchant la manière dont on devait traiter ceux qui, durant la persécution, étaient tombés par infirmité.

Car ce fut en ce temps que Novatien, prêtre de l'Eglise de Rome, s'étant élevé contre eux par un esprit aveuglé d'orgueil, et soutenant qu'il ne leur pouvait plus rester aucune espérance de salut, quand même ils feraient leur possible pour retourner à Dieu par une sincère conversion et une confession pure de leurs péchés, se fit l'auteur d'une secte particulière de gens qui, par un excès de vanité, se nommèrent Purs. Sur quoi, après que l'on eut assemblé à Rome un fort grand concile où se rendirent soixante évêques, outre les prètres

plus grand, et que l'on se fut informé du sentiment particulier de tous les pasteurs des autres provinces, touchant ce qu'on devait faire sur ce sujet, on déclara, par un décret qui fut publié partout, que Novatien et tous les complices de son audace, aussi bien que tous ceux qui adhéreraient à l'opinion cruelle et impitoyable de ce faux docteur, devaient être réputés comme des membres retranchés du corps de l'Église; et que pour ceux des frères qui étaient malheureusement tombés durant la persécution, on devait leur appliquer les remèdes de la pénitence, afin de leur procurer la santé.

On pourrait rapporter ici l'histoire de Serapion, écrite par saint Denis, et qui est dans l'office du saint sacrement.

PIÈCES DIVERSES

AVERTISSEMENT

Nous plaçons sous le titre de Pièces diverses deux morceaux à la composition desquels on croit que Racine a eu grande part.

Le premier est une lettre en forme de dédicace, qui parut en 1677, à l'occasion que voici : madame de Maintenon, chargée de l'éducation du duc du Maine, imagina de faire imprimer un recueil des ouvrages de ce prince, qui consistaient pour la plupart en versions de divers pas

sages de Florus, Justin, et autres historiens latins, qu'il avait faites sous la direction de son précepteur le Ragois. Le livre, imprimé sur format in-4°, sans indication du lieu ni de la date de l'impression, sous le titre d'Euvres diverses d'un auteur de sept ans, était précédé d'une épître dédicatoire à madame de Montespan, mère du jeune écolier 1. Cette pièce, qui n'était pas signée, fit bruit dans le monde, et fut d'abord attribuée à madame de Maintenon. Mais les gens de goût ne tardèrent pas à penser que c'était l'ouvrage d'une plume encore plus habile et plus exercée que la sienne. Ils trouvèrent que les louanges, qui n'y étaient pas ménagées, y étaient cependant présentées avec une délicatesse, et relevées par une grace d'expression et une variété de tournure, qui leur donnaient tout le piquant

de la nouveauté. Ils en conclurent que madame de Maintenon avait, dans cette occasion, emprunté le secours de l'écrivain le plus distingué de son siècle, de celui qui avait le mieux étudié les finesses de la langue, et qui en connaissait le mieux toutes les ressources. Cette pièce a néanmoins été insérée dans le recueil des lettres de madame de Maintenon, donné en 1751; mais l'éditeur des Ouvres complètes de Racine, publiées en 1768, n'a pas balancé à la comprendre dans son édition.

Le second morceau, qui est moins connu, a été publié en 1738 par l'abbé d'Olivet, à la suite de ses Remarques l'Académie française était sur le point de mettre au jour sur Racine. L'éditeur raconte à ce sujet qu'au moment où d'en préparer l'épitre dédicatoire. « Tout promettait un son dictionnaire, en 1694, elle chargea Charles Perrault

« chef-d'œuvre, ajoute-t-il; la noblesse du sujet, la briè « veté de l'ouvrage, le grand loisir de l'auteur, sa longue « expérience dans l'art d'écrire, les grands motifs qui de« vaient l'animer, ayant à répondre à l'attente d'une compagnie si éclairée. » Perrault se mit donc à l'ouvrage, et quand il fut satisfait de son épître, il en fit tirer quarante copies, qu'il distribua à ses confrères pour avoir leurs observations s'il y en avait à faire. Une de ces copies bée entre les mains de l'abbé d'Olivet; et celui-ci, en pumanuscrites, chargée de trente-une remarques, est tombliant cette pièce, l'attribue à Racine et à l'abbé Régniervolontiers à faire reparaître ici ce morceau de critique, Desmarais. Nous nous sommes déterminés d'autant plus qu'il est devenu peu commun, et qu'il renferme d'excel1. On avait aussi mis en tête du livre les six vers suivants, qui lentes observations sur l'art si difficile et si nécessaire furent attribués à Racine:

Ne pensez pas, messieurs les beaux esprits,

Que je veuille par mes écrits

Prendre ma place au temple de Mémoire.

Vous savez de qui je suis fils;

Done il me faut une autre gloire,
Et des lauriers d'un plus baut prix.

d'écrire avec justesse, clarté et correction1.

1. D'Alembert a donné cette pièce à la suite de l'Éloge de Ré gnier-Desmarais, et a fait lui-même des observations sur celle eritique. Voyez l'Histoire des membres de l'Académie française morts depuis 1700, tom. III, p. 244 et suiv.

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