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Madame, à mon bonheur c'est chercher trop d'obsta-
Ils iront bien, sans nous, consulter les oracles. [cles
Permettez que mon cœur, en voyant vos beaux yeux,
De l'état de son sort interroge ses dieux.
Puis-je leur demander, sans être téméraire,
S'ils ont toujours pour moi leur douceur ordinaire?
Souffrent-ils sans courroux mon ardente amitié?
Et du mal qu'ils ont fait ont-ils quelque pitié?
Durant le triste cours d'une absence cruelle,
Avez-vous souhaité que je fusse fidèle?
Songiez-vous que la mort menaçait, loin de vous,
Un amant qui ne doit mourir qu'à vos genoux?
Ah, d'un si bel objet quand une âme est blessée,
Quand un cœur jusqu'à vous élève sa pensée,

Qu'il est doux d'adorer tant de divins appas!
Mais aussi que l'on souffre en ne les voyant pas!
Un moment, loin de vous, me durait une année;
J'aurais fini cent fois ma triste destinée,
Si je n'eusse songé, jusques à mon retour,
Que mon éloignement vous prouvait mon
Et que le souvenir de mon obéissance
Pourrait en ma faveur parler en mon absence:
Et que, pensant à moi, vous penseriez aussi
Qu'il faut aimer beaucoup pour obéir ainsi.

ANTIGONE.

mour:

Oui, je l'avais bien cru qu'une àme si fidèle

est chère: Trouverait dans l'absence une peine cruelle;

Appelons promptement Hémon et votre frère; dessein, prête à leur accorder

Je suis, pour ce

Toutes les sûretés qu'ils pourront demander.
Et toi, si mes malheurs ont lassé la justice,
Ciel, dispose à la paix le cœur de Polynice,
soupirs, donne force à mes pleurs,

Seconde mes

Et comme il faut enfin fais parler mes douleurs.

ANTIGONE, seule.

Et si tu prends pitié d'une flamme innocente,
O ciel, en ramenant Hémon à son amante,
Ramène-le fidéle, et permets, en ce jour,
Qu'en retrouvant l'amant je retrouve l'amour!

Et si mes sentiments se doivent découvrir,
Je souhaitais, Hémon, qu'elle vous fit souffrir,
Et qu'étant loin de moi, quelque ombre d'amertume
Vous fit trouver les jours plus longs que de coutume.
Mais ne vous plaignez pas : mon cœur chargé d'ennui
Ne vous souhaitait rien qu'il n'éprouvat en lui,
Surtout depuis le temps que dure cette guerre,
Et que de gens armés vous couvrez cette terre.
O dieux! à quels tourments mon cœur s'est vu soun.is,
Voyant des deux côtés ses plus tendres amis!
Mille objets de douleur déchiraient mes entrailles;
J'en voyais et dehors et dedans nos murailles;

Chaque assaut à mon cœur livrait mille combats; Et mille fois le jour je souffrais le trépas.

HÉMON.

Mais enfin qu'ai-je fait, en ce malheur extrême,
Que ne m'ait ordonné ma princesse elle-même?
J'ai suivi Polynice; et vous l'avez voulu :
Vous me l'avez prescrit par un ordre absolu.
Je lui vouai dès lors une amitié sincère;
Je quittai mon pays, j'abandonnai mon père;
Sur moi, par ce départ, j'attirai son courroux;
Et, pour tout dire enfin, je m'éloignai de vous.

ANTIGONE.

Je m'en souviens, Hémon, et je vous fais justice :
C'est moi que vous serviez en servant Polynice;
Il m'était cher alors comme il est aujourd'hui,
Et je prenais pour moi ce qu'on faisait pour lui.
Nous nous aimions tous deux dès la plus tendre en-
Et j'avais sur son cœur une entière puissance; [fance,
Je trouvais à lui plaire une extrême douceur,
Et les chagrins du frère étaient ceux de la sœur.
Ah! si j'avais encor sur lui le même empire,
Il aimerait la paix, pour qui mon cœur soupire.
Notre commun malheur en serait adouci :
Je le verrais, Hémon; vous me verriez aussi !
HÉMON.

De cette affreuse guerre il abhorre l'image;
Je l'ai vu soupirer de douleur et de rage,
Lorsque, pour remonter au trône paternel,
On le força de prendre un chemin si cruel.
Espérons que le ciel, touché de nos misères,
Achèvera bientôt de réunir les frères :
Puisse-t-il rétablir l'amitié dans leur cœur,
Et conserver l'amour dans celui de la sour!
ANTIGONE.

Hélas! ne doutez point que ce dernier ouvrage
Ne lui soit plus aisé que de calmer leur rage!
Je les connais tous deux, et je répondrais bien
Que leur cœur, cher Hémon, est plus dur que le mien.
Mais les dieux quelquefois font de plus grands mi-
[racles.

SCÈNE II

ANTIGONE, HEMON, OLYMPE.

ANTIGONE.

<«< Thébains, pour n'avoir plus de guerres « Il faut, par un ordre fatal, «Que le dernier du sang royal

«Par son trépas ensanglante vos terres. »

ANTIGONE.

O dieux, que vous a fait ce sang infortuné?
Et pourquoi tout entier l'avez-vous condamné?
N'êtes-vous pas contents de la mort de mon père?
Tout notre sang doit-il sentir votre colère?
HÉMON.

Madame, cet arrêt ne vous regarde pas;
Votre vertu vous met à couvert du trépas:
Les dieux savent trop bien connaître l'innocence.

ANTIGONE.

Eh! ce n'est pas pour moi que je crains leur vengeance.
Mon innocence, Hémon, serait un faible appui;
Fille d'OEdipe, il faut que je meure pour lui.
Je l'attends, cette mort, et je l'attends sans plainte;
Et s'il faut avouer le sujet de ma crainte, [vous.
C'est pour vous que je crains; oui, cher Hémon, pour
De ce sang malheureux vous sortez comme nous;
Et je ne vois que trop que le courroux céleste
Vous rendra, comme à nous, cet honneur bien fu-
Et fera regretter aux princes des Thébains [neste,
De n'être pas sortis du dernier des humains.

HÉMON.

Peut-on se repentir d'un si grand avantage? Un si noble trépas flatte trop mon courage; Et du sang de ses rois il est beau d'être issu, Dût-on rendre ce sang sitôt qu'on l'a reçu.

ANTIGONE.

Eh quoi! si parmi nous on a fait quelque offense,
Le ciel doit-il sur vous en prendre la vengeance?
Et n'est-ce pas assez du père et des enfants,
Sans qu'il aille plus loin chercher des innocents?
C'est à nous à payer pour les crimes des nôtres [tres.
Punissez-nous, grands dieux; mais épargnez les au-
Mon père, cher Hémon, vous va perdre aujourd'hui;
Et je vous perds peut-être encore plus que lui.
Le ciel punit sur vous et sur votre famille
Et les crimes du père et l'amour de la fille;
Et ce funeste amour vous nuit encore plus
Que les crimes d'OEdipe et le sang de Laïus.

HÉMON.

Quoi! mon amour, madame? Et qu'a-t-il de funeste?
Est-ce un crime qu'aimer une beauté céleste?

Eh bien! apprendrons-nous ce qu'ont dit les oracles? Et puisque sans colère il est reçu de vous,
Que faut-il faire?

OLYMPE.

Hélas!

ANTIGONE.

En quoi peut-il du ciel mériter le courroux?
Vous seule en mes soupirs êtes intéressée,
C'est à vous à juger s'ils vous ont offensée:
Tels que seront pour eux vos arrêts tout-puissants:

Quoi! qu'en a-t-on appris? Ils seront criminels, ou seront innocents.

Est-ce la guerre, Olympe?

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Que le ciel à son gré de ma perte dispose,
J'en chérirai toujours et l'une et l'autre cause,
Glorieux de mourir pour le sang de mes rois,
Et plus heureux encor de mourir sous vos lois.
Aussi bien que ferais-je en ce commun naufrage?
Pourrais-je me résoudre à vivre davantage?
En vain les dieux voudraient différer mon trépas,

Mon désespoir ferait ce qu'ils ne feraient pas.
Mais peut-être, après tout, notre frayeur est vaine;
Attendons... Mais voici Polynice et la reine.

SCÈNE III

JOCASTE, POLYNICE, ANTIGONE, HEMON.

POLYNICE.

Madame, au nom des dieux, cessez de m'arrêter:
Je vois bien que la paix ne peut s'exécuter.
J'espérais que du ciel la justice infinie
Voudrait se déclarer contre la tyrannie,
Et que, lassé de voir répandre tant de sang,
Il rendrait à chacun son légitime rang;

Mais puisque ouvertement il tient pour l'injustice,
Et que des criminels il se rend le complice,
Dois-je encore espérer qu'un peuple révolté,
Quand le ciel est injuste, écoute l'équité?
Dois-je prendre pour juge une troupe insolente,
D'un fier usurpateur ministre violente,
Qui sert mon ennemi par un lâche intérêt,
Et qu'il anime encor, tout éloigné qu'il est?
La raison n'agit point sur une populace.
De ce peuple déjà j'ai ressenti l'audace;
Et loin de me reprendre après m'avoir chassé,
Il croit voir un tyran dans un prince offensé.
Comme sur lui l'honneur n'eut jamais de puissance,
Il croit que tout le monde aspire à la vengeance:
De ses inimitiés rien n'arrête le cours;
Quand il hait une fois, il veut haïr toujours.

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Est-ce au

POLYNICE.

Et son orgueil le rend, par un effet contraire,
Esclave de son peuple et tyran de son frère.
Pour commander tout seul il veut bien obéir,
Et se fait mépriser pour me faire haïr.

Ce n'est pas sans sujet qu'on me préfère un traître :
Le peuple aime un esclave, et craint d'avoir un mai-
[tre.
Mais je croirais trahir la majesté des rois,
Si je faisais le peuple arbitre de mes droits.

JOCASTE.

Ainsi donc la discorde a pour vous tant de charmes?
Vous lassez-vous déjà d'avoir posé les armes?
Ne cesserons-nous point, après tant de malheurs,
Vous, de verser du sang; moi, de verser des pleurs?
N'accorderez-vous rien aux larmes d'une mère?
Ma fille, s'il se peut, retenez votre frère :
Le cruel pour vous seule avait de l'amitié.

ANTIGONE.

Ah! si pour vous son âme est sourde à la pitié,
Que pourrais-je espérer d'une amitié passée,
Qu'un long éloignement n'a que trop effacée?
A peine en sa mémoire ai-je encor quelque rang;
Il n'aime, il ne se plaît qu'à répandre du sang.
Ne cherchez plus en lui ce prince magnanime,
Ce prince qui montrait tant d'horreur pour le crime,
Dont l'âme généreuse avait tant de douceur,
Qui respectait sa mère et chérissait sa sœur :
La nature pour lui n'est plus qu'une chimère;
Il méconnaît sa sœur, il méprise sa mère;
Et l'ingrat, en l'état où son orgueil l'a mis,
Nous croit des étrangers, ou bien des ennemis.

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Est-ce m'aimer, cruel, autant que je vous aime,
Que d'être inexorable à mes tristes soupirs,
Et m'exposer encore à tant de déplaisirs?

POLYNICE.

peuple, madame, à se choisir un maître?
Sitôt qu'il hait un roi, doit-on cesser de l'être?
Sa haine ou son amour, sont-ce les premiers droits
Qui font monter au trône ou descendre les rois? [se,
Que le peuple à son gré nous craigne ou nous chéris-Que de lui faire ici cette injuste prière,
Le sang nous met au trône, et non pas son caprice;
sang lui donne, il le doit accepter;
Et s'il n'aime son prince, il le doit respecter.

Mais vous-même, ma sœur, est-ce aimer votre frère`

Ce que

le

JOCASTE.

Vous serez un tyran haï de vos provinces.

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Non, non, vos intérêts me touchent davantage.
Ne croyez pas mes pleurs perfides à ce point;
Avec vos ennemis ils ne conspirent point.
Cette paix que je veux me serait un supplice,
S'il en devait coûter le sceptre à Polynice;
Et l'unique faveur, mon frère, où je prétends,
C'est qu'il me soit permis de vous voir plus long-
[temps.

Seulement quelques jours souffrez que l'on vous voie;
Et donnez-nous le temps de chercher quelque voie
Qui puisse vous remettre au rang de vos aïeux,
Sans que vous répandiez un sang si précieux.

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Pouvez-vous refuser cette grâce légère
Aux larmes d'une sœur, aux soupirs d'une mère?

'JOCASTE.

Mais quelle crainte encor vous peut inquiéter? Pourquoi si promptement voulez-vous nous quitter? Quoi! ce jour tout entier n'est-il pas de la trêve? Dès qu'elle a commencé, faut-il qu'elle s'achève? Vous voyez qu'Etéocle a mis les armes bas;

Il veut que je vous voie, et vous ne voulez pas.

ANTIGONE.

Oui, mon frère, il n'est pas comme vous inflexible;
Aux larmes de sa mère il a paru sensible;
Nos pleurs ont désarmé sa colère aujourd'hui.
Vous l'appelez cruel, vous l'êtes plus que lui.

HÉMON.

Seigneur, rien ne vous presse, et vous pouvez sans
Laisser agir encor la princesse et la reine: [peine
Accordez tout ce jour à leur pressant désir;
Voyons si leur dessein ne pourra réussir.
Ne donnez pas la joie au prince votre frère
De dire que, sans vous, la paix se pouvait faire.
Vous aurez satisfait une mère, une sœur,
Et vous aurez surtout satisfait votre honneur.
Mais que veut ce soldat? son âme est tout émue!

SCÈNE IV

JOCASTE, POLYNICE, ANTIGONE, HÉMON,

UN SOLDAT.

LE SOLDAT à Polynice.

Seigneur, on est aux mains, et la trêve est rompue:
Créon et les Thébains, par ordre de leur roi,
Attaquent votre armée, et violent leur foi.
Le brave Hippomédon s'efforce, en votre absence,
De soutenir leur choc de toute sa puissance.
Par son ordre, seigneur, je vous viens avertir.

POLYNICE.

Ah! les traîtres! Allons, Hémon, il faut sortir. (A la reine.)

Madame, vous voyez comme il tient sa parole: Mais il veut le combat, il m'attaque, et j'y vole.

JOCASTE.

Polynice! mon fils!... Mais il ne m'entend plus:
Aussi bien que mes pleurs, mes cris sont superflus.
Chère Antigone, allez, courez à ce barbare:
Du moins, allez prier Hémon qu'il les sépare.
La force m'abandonne, et je n'y puis courir;
Tout ce que je puis faire, hélas! c'est de mourir.

ACTE TROISIÈME

SCÈNE I

JOCASTE, OLYMPE.

JOCASTE.

Olympe, va-t'en voir ce funeste spectacle;
Va voir si leur fureur n'a point trouvé d'obstacle,
Si rien n'a pu toucher l'un ou l'autre parti.
On dit qu'à ce dessein Ménécée est sorti.

OLYMPE.

Je ne sais quel dessein animait son courage,
Une héroïque ardeur brillait sur son visage;
Mais vous devez, madame, espérer jusqu'au bout.

JOCASTE.

Va tout voir, chère Olympe, et me viens dire tout; Eclaircis promptement ma triste inquiétude.

OLYMPE.

Mais vous dois-je laisser en cette solitude?

JOCASTE.

Va je veux être seule en l'état où je suis,
Si toutefois on peut l'être avec tant d'ennuis!

SCÈNE II

JOCASTE.

Dureront-ils toujours ces ennuis si funestes?
N'épuiseront-ils point les vengeances célestes?
Me feront-ils souffrir tant de cruels trépas,
Sans jamais au tombeau précipiter mes pas?
O ciel, que tes rigueurs seraient peu redoutables,
Si la foudre d'abord accablait les coupables!
Et que tes châtiments paraissent infinis,
Quand tu laisses la vie à ceux que tu punis!
Tu ne l'ignores pas, depuis le jour infàme
Où de mon propre fils je me trouvai la femme,
Le moindre des tourments que mon cœur a soufferts
Égale tous les maux que l'on souffre aux enfers.
Et toutefois, ô dieux, un crime involontaire
Devait-il attirer toute votre colère?

Le connaissais-je, hélas! ce fils infortuné?

Vous-mêmes dans mes bras vous l'avez amenć.
C'est vous dont la rigueur m'ouvrit ce précipice.
Voilà de ces grands dieux la suprême justice!
Jusques au bord du crime ils conduisent nos pas;
Ils nous le font commettre, et ne l'excusent pas!
Prennent-ils donc plaisir à faire des coupables,
Afin d'en faire, après, d'illustres misérables?
Et ne peuvent-ils point, quand ils sont en courroux,
Chercher des criminels à qui le crime est doux?

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Un autre sang, madame,
Rend la paix à l'État et le calme à votre âme;
Un sang digne des rois dont il est découlé,
Un héros pour l'État s'est lui-même immolé.
Je courais pour fléchir Hémon et Polynice;
Ils étaient déjà loin avant que je sortisse:
Ils ne m'entendaient plus; et mes cris douloureux
Vainement par leur nom les rappelaient tous deux.
Ils ont tous deux volé vers le champ de bataille;
Et moi, je suis montée au haut de la muraille,
D'où le peuple étonné regardait, comme moi,
L'approche d'un combat qui le glaçait d'effroi.
A cet instant fatal, le dernier de nos princes,
L'honneur de notre sang, l'espoir de nos provinces,
Ménécée, en un mot, digne frère d'Hémon,
Et trop indigne aussi d'ètre fils de Créon,
De l'amour du pays montrant son âme atteinte,

Est-il possible, & dieux! qu'après ce grand miracle
Le repos des Thébains trouve encor quelque obsta-
Cet illustre trépas ne peut-il vous calmer, [cle?
Puisque même mes fils s'en laissent désarmer?
La refuserez-vous, cette noble victime?
Si la vertu vous touche autant que fait le crime,
Si vous donnez les prix comme vous punissez,
Quels crimes par ce sang ne seront effacés?

ANTIGONE.

Oui, oui, cette vertu sera récompensée;
Les dieux sont trop payés du sang de Ménécée :
Et le sang d'un héros, auprès des immortels,
Vaut seul plus que celui de mille criminels.

JOCASTE.

Connaissez mieux du ciel la vengeance íatale:
Toujours à ma douleur il met quelque intervalle;
Mais, hélas! quand sa main semble me secourir,
C'est alors qu'il s'apprête à me faire périr.
Il a mis, cette nuit, quelque fin à mes larmes,
Afin qu'à mon réveil je visse tout en armes.
S'il me flatte aussitôt de quelque espoir de paix,
Un oracle cruel me l'ôte pour jamais.

Il m'amène mon fils, il veut que je le voie,
Mais, hélas! combien cher me vend-il cette joie!
Ce fils est insensible et ne m'écoute pas;
Et soudain il me l'ôte et l'engage aux combats.
Ainsi, toujours cruel, et toujours en colère,
Il feint de s'apaiser, et devient plus sévère;

Il n'interrompt ses coups que pour les redoubler,
Et retire son bras pour me mieux accabler.

ANTIGONE.

Au milieu des deux camps s'est avancé sans crainte; Madame, espérons tout de ce dernier miracle.

Et se faisant ouir des Grecs et des Thébains :
« Arrêtez, a-t-il dit, arrêtez, inhumains! >>
Ces mots impérieux n'ont point trouvé d'obstacle:
Les soldats, étonnés de ce nouveau spectacle,
De leur noire fureur ont suspendu le cours;
Et ce prince aussitôt, poursuivant son discours:
Apprenez, a-t-il dit, l'arrêt des destinées,
Par qui vous allez voir vos misères bornées.
« Je suis le dernier sang de vos rois descendu,
Qui par l'ordre des dieux doit être répandu.
«Recevez donc ce sang que ma main va répandre;
« Et recevez la paix où vous n'osiez prétendre. »
Il se tait, et se frappe en achevant ces mots;
Et les Thébains voyant expirer ce héros,
Comme si leur salut devenait leur supplice,
Regardent

en tremblant ce noble sacrifice.

J'ai vu le triste Hémon abandonner son rang
Pour venir embrasser ce frère tout en sang.
Créon, à son
exemple, a jeté bas les armes,
Et vers ce fils mourant est venu tout en larmes;
Et l'un et l'autre camp les voyant retirés,
Ont quitté le combat, et se sont séparés.
Et moi, le cœur tremblant, et l'àme tout émue,
D'un si funeste objet j'ai détourné la vue,
De ce prince admirant l'héroïque fureur.

JOCASTE.

Comme vous je l'admire, et j'en frémis d'horreur.

JOCASTE.

La haine de mes fils est un trop grand obstacle.

Polynice endurci n'écoute que ses droits;

Du peuple et de Créon l'autre écoute la voix,
Oui, du lâche Créon! cette âme intéressée
Nous ravit tout le fruit du sang de Ménécée;
En vain pour nous sauver ce grand prince se perd;
Le père nous nuit plus que le fils ne nous sert.
De deux jeunes héros cet infidèle père...

ANTIGONE.

Ah! le voici, madame, avec le roi mon frère.

SCÈNE IV

JOCASTE, ÉTÉOCLE, ANTIGONE, CREON

JOCASTE.

Mon fils, c'est donc ainsi que l'on garde sa foi!
ÉTÉOCLE.

Madame, ce combat n'est point venu de moi,
Mais de quelques soldats, tant d'Argos que des nô-
Qui s'étant querellés les uns avec les autres, [tres,
Ont insensiblement tout le corps ébranlé,

Et fait un grand combat d'un simple démêlé.
La bataille sans doute allait être cruelle,
Et son événement vidait notre querelle,
Quand du fils de Créon l'héroïque trépas

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