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A-t-on de votre maître excité la furie?
Vit-on jamais chez lui nos peuples en courroux
Désoler un pays inconnu parmi nous?
Faut-il que tant d'États, de déserts, de rivières,
Soient entre nous et lui d'impuissantes barrières?
Et ne saurait-on vivre au bout de l'univers
Sans connaître son nom et le poids de ses fers?
Quelle étrange valeur, qui, ne cherchant qu'à nuire,
Embrase tout sitôt qu'elle commence à luire;
Qui n'a que son orgueil pour règle et pour raison;
Qui veut que l'univers ne soit qu'une prison,
Et que, maître absolu de tous tant que nous sommes,
Ses esclaves en nombre égalent tous les hommes!
Plus d'États, plus de rois: ses sacriléges mains
Dessous un même joug rangent tous les humains.
Dans son avide orgueil je sais qu'il nous dévore:
De tant de souverains nous seuls régnons encore.
Mais que dis-je, nous seuls? Il ne reste que moi
Où l'on découvre encor les vestiges d'un roi.
Mais c'est pour mon courage une illustre matière:
Je vois d'un œil content trembler la terre entière,
Afin que par moi seul les mortels secourus,
S'ils sont libres, le soient de la main de Porus,
Et qu'on dise partout, dans une paix profonde:
« Alexandre vainqueur eût dompté tout le monde;
« Mais un roi l'attendait au bout de l'univers,
«Par qui le monde entier a vu briser ses fers. »>

ÉPHESTION.
[ge;
Votre projet du moins nous marque un grand coura-
Mais, seigneur, c'est bien tard s'opposer à l'orage;
Si le monde penchant n'a plus que cet appui,
Je le plains, et vous plains vous-même autant que lui.
Je ne vous retiens point; marchez contre mon maitre;

Je voudrais seulement qu'on vous l'eût fait connaiEt que la renommée eût voulu, par pitié, [tre; De ses exploits au moins vous conter la moitié; Vous verriez...

PORUS.

Que verrais-je, et que pourrais-je apprendre
Qui m'abaisse si fort au-dessous d'Alexandre?
Serait-ce sans effort les Persans subjugués,
Et vos bras tant de fois de meurtres fatigués?
Quelle gloire, en effet, d'accabler la faiblesse
D'un roi déjà vaincu par sa propre mollesse;
D'un peuple sans vigueur et presque inanimé,
Qui gémissait sous l'or dont il était armé,

Et qui, tombant en foule au lieu de se défendre,
N'opposait que des morts au grand cœur d'Alexan-
Les autres, éblouis de ses moindres exploits, [dre!
Sont venus à genoux lui demander des lois;
Et leur crainte écoutant je ne sais quels oracles,
Ils n'ont pas cru qu'un dieu pût trouver des obstacles.
Mais nous qui d'un autre œil jugeons des conqué-
[rants,
Nous savons que les dieux ne sont pas des tyrans;
Et de quelque façon qu'un esclave le nomme,
Le fils de Jupiter passe ici pour un homme.
Nous n'allons point de fleurs parfumer son chemin.
Il nous trouve partout les armes à la main;

Il voit à chaque pas arrêter ses conquêtes;
Un seul rocher ici lui coûte plus de têtes, [temps,
Plus de soins, plus d'assauts, et presque plus de
Que n'en coûte à son bras l'empire des Persans.
Ennemis du repos qui perdit ces infàmes, [àmes.
L'or qui naît sous nos pas ne corrompt point nos
La gloire est le seul bien qui nous puisse tenter,
Et le seul que mon cœur cherche à lui disputer;
C'est elle...

ÉPHESTION, en se levant.

Et c'est aussi ce que cherche Alexandre A de moindres objets son cœur ne peut descendre C'est ce qui, l'arrachant du sein de ses États, Au trône de Cyrus lui fit porter ses pas, Et, du plus ferme empire ébranlant les colonnes, Attaquer, conquérir, et donner les couronnes. Et puisque votre orgueil ose lui disputer La gloire du pardon qu'il vous fait présenter, Vos yeux, dès aujourd'hui témoins de sa victoire Verront de quelle ardeur if combat pour la gloire. Bientôt le fer en main vous le verrez marcher.

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TAXILE.

Madame, je m'en vais disposer mon armée; Écoutez moins ce bruit qui vous tient alarmée: Porus fait son devoir, et je ferai le mien.

SCÈNE V

AXIANE, PORUS.

AXIANE.

Cette sombre froideur ne m'en dit pourtant rien,
Lache; et ce n'est point là, pour me le faire croire,
La démarche d'un roi qui court à la victoire.

Il n'en faut plus douter, et nous sommes trahis:
Il immole à sa sœur sa gloire et son pays;
Et sa haine, seigneur, qui cherche à vous abattre,
Attend pour éclater que vous alliez combattre.

PORUS.

Madame, en le perdant je perds un faible appui;
Je le connaissais trop pour m'assurer sur lui.
Mes yeux sans se troubler ont vu son inconstance;
Je craignais beaucoup plus sa molle résistance.
Un traître, en nous quittant pour complaire à sa sœur,
Nous affaiblit bien moins qu'un lâche défenseur.

AXIANE.

Et cependant, seigneur, qu'allez-vous entreprendre?
Vous marchez sans compter les forces d'Alexandre;
Et courant presque seul au-devant de leurs coups,
Contre tant d'ennemis vous n'opposez que vous.
PORUS.

Eh quoi! voudriez-vous qu'à l'exemple d'un traître
Ma frayeur conspirât à vous donner un maitre?
Que Porus, dans un camp se laissant arrêter,
Refusât le combat qu'il vient de présenter? [dame,
Non, non, je n'en crois rien. Je connais mieux, ma-
Le beau feu que la gloire allume dans votre âme :
C'est vous, je m'en souviens, dont les puissants appas
Excitaient tous nos rois, les traînaient au combat,
Et de qui la fierté, refusant de se rendre,
Ne voulait pour amant qu'un vainqueur d'Alexandre.
Il faut vaincre, et j'y cours, bien moins pour éviter
Le titre de captif, que pour le mériter.
Oui, madame, je vais, dans l'ardeur qui m'entraîne,
Victorieux ou mort, mériter votre chaîne;
Et puisque mes soupirs s'expliquaient vainement
A ce cœur que la gloire occupe seulement,
Je m'en vais, par l'éclat qu'une victoire donne,
Attacher de si près la gloire à ma personne,
Que je pourrai peut-être amener votre cœur
De l'amour de la gloire à l'amour du vainqueur.

AXIANE.

Eh bien! seigneur, allez. Taxile aura peut-être
Des sujets dans son camp plus braves que leur mai-
Je vais les exciter par un dernier effort. [tre:
Après, dans votre camp j'attendrai votre sort.
Ne vous informez point de l'état de mon âme :
Triomphez et vivez.

PORUS.

Qu'attendez-vous, madame?

Pourquoi, dès ce moment, ne puis-je pas savoir
Si mes tristes soupirs ont pu vous émouvoir?
Voulez-vous (car le sort, adorable Axiane,
A ne vous plus revoir peut-être me condamne),
Voulez-vous qu'en mourant un prince infortuné
Ignore à quelle gloire il était destiné?
Parlez.

AXIANE.

Que vous dirais-je?

PORUS.

Ah! divine princesse, Si vous sentiez pour moi quelque heureuse faiblesse, Ce cœur, qui me promet tant d'estime en ce jour, Me pourrait bien encor promettre un peu d'amour. Contre tant de soupirs peut-il bien se défendre? Peut-il...

AXIANE.

Allez, seigneur, marchez contre Alexandre. La victoire est à vous, si ce fameux vainqueur Ne se défend pas mieux contre vous que mon cœur.

ACTE TROISIÈME

SCÈNE I

AXIANE, CLEOFILE.

AXIANE.

Quoi! madame, en ces lieux on me tient enfermée!
Je ne puis au combat voir marcher mon armée!
Et, commençant par moi sa noire trahison,
Taxile de son camp me fait une prison!
C'est donc là cette ardeur qu'il me faisait paraître!
Cet humble adorateur se déclare mon maître!
Et déjà son amour, lassé de ma rigueur,
Captive ma personne au défaut de mon cœur!
CLÉOFILE.

Expliquez mieux les soins et les justes alarmes
D'un roi qui pour vainqueurs ne connaît que vos
Et regardez, madame, avec plus de bonté [charmes!
L'ardeur qui l'intéresse à votre sûreté.
Tandis qu'autour de nous deux puissantes armées,
D'une égale chaleur au combat animées,
De leur fureur partout font voler les éclats,
De quel autre côté conduiriez-vous vos pas?
Où pourriez-vous ailleurs éviter la tempête?
Un plein calme en ces lieux assure votre tête:
Tout est tranquille...

AXIANE.

Et c'est cette tranquillité Dont je ne puis souffrir l'indigne sûreté. Quoi! lorsque mes sujets, mourant dans une plaine, Sur les pas de Porus combattent pour leur reine; Qu'au prix de tout leur sang ils signalent leur foi,

Que le cri des mourants vient presque jusqu'à moi, | N'accable point encore un rival abattu),

On me parle de paix; et le camp de Taxile
Garde dans ce désordre une assiette tranquille!
On flatte ma douleur d'un calme injurieux!
Sur des objets de joie on arrête mes yeux!
CLÉOFILE.

Madame, voulez-vous que l'amour de mon frère
Abandonne au péril une tête si chère?
Il sait trop les hasards...

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Ce n'est pas que son bras, disputant la victoire,
N'en ait aux ennemis ensanglanté la gloire;
Qu'elle-même, attachée à ses faits éclatants,
Entre Alexandre et lui n'ait douté quelque temps:
Mais enfin contre moi sa vaillance irritée
Avec trop de chaleur s'était précipitée.
J'ai vu ses bataillons rompus et renversés,
Vos soldats en désordre, et les siens dispersés;
Et lui-même, à la fin, entraîné dans leur fuite,
Malgré lui du vainqueur éviter la poursuite;
Et, de son vain courroux trop tard désabusé,
Souhaiter le secours qu'il avait refusé.

AXIANE.

Qu'il avait refusé! Quoi donc! pour ta patrie,
Ton indigne courage attend que l'on te prie!
Il faut donc, malgré toi, te trainer aux combats,
Et te forcer toi-même à sauver tes États!
L'exemple de Porus, puisqu'il faut qu'on t'y porte,
Dis-moi, n'était-ce pas une voix assez forte?
Ce héros en péril, ta maîtresse en danger,
Tout l'État périssant n'a pu t'encourager!
Va, tu sers bien le maître à qui ta sœur te donne.
Achève, et fais de moi ce que sa haine ordonne.
Garde à tous les vaincus un traitement égal,
Enchaîne ta maîtresse en livrant ton rival.
Aussi bien c'en est fait: sa disgrâce et ton crime
Ont placé dans mon cœur ce héros magnanime:
Je l'adore! et je veux, avant la fin du jour,
Déclarer à la fois ma haine et mon amour;
Lui vouer, à tes yeux, une amitié fidèle,
Et te jurer, aux siens, une haine immortelle.
Adieu. Tu me connais: aime-moi si tu veux.

TAXILE.

Ah! n'espérez de moi que de sincères vœux,
Madame; n'attendez ni menaces ni chaînes:
Alexandre sait mieux ce qu'on doit à des reines.
Souffrez que sa douceur vous oblige à garder
Un trône que Porus devait moins hasarder;
Et moi-même en aveugle on me verrait combattre
La sacrilége main qui le voudrait abattre.

AXIANE.

Quoi! par l'un de vous deux mon sceptre raffermi
Deviendrait dans mes mains le don d'un ennemi!
Et sur mon propre trône on me verrait placée
Par le même tyran qui m'en aurait chassée!

TAXILE.

Des reines et des rois vaincus par sa valeur
Ont laissé par ses soins adoucir leur malheur.
Voyez de Darius et la femme et la mère;
L'une le traite en fils, l'autre le traite en frère.

AXIANE.

Non, non, je ne sais point vendre mon amitié,
Caresser un tyran, et régner par pitié.
Penses-tu que j'imite une faible Persane;
Qu'à la cour d'Alexandre on retienne Axiane;
Et qu'avec mon vainqueur courant tout l'univers,
J'aille vanter partout la douceur de ses fers?
S'il donne les États, qu'il te donne les nôtres;

Qu'il te pare, s'il veut, des dépouilles des autres.
Règne: Porus ni moi n'en serons point jaloux;
Et tu seras encor plus esclave que nous.
J'espère qu'Alexandre, amoureux de sa gloire,
Et faché que ton crime ait souillé sa victoire,
S'en lavera bientôt par ton propre trépas.

Des traitres comme toi font souvent des ingrats:
Et de quelques faveurs que sa main t'éblouisse,
Du perfide Bessus regarde le supplice.

Adieu.

SCÈNE III

CLÉOFILE, TAXILE.

CLEOFILE.

Cédez, mon frère, à ce bouillant transport: Alexandre et le temps vous rendront le plus fort; Et cet apre courroux, quoi qu'elle en puisse dire, Ne s'obstinera point au refus d'un empire. Maître de ses destins, vous l'êtes de son cœur. Mais, dites-moi, vos yeux ont-ils vu le vainqueur? Quel traitement, mon frère, en devons-nous attendre? Qu'a-t-il dit?

TAXILE.

Oui, ma sœur, j'ai vu votre Alexandre. D'abord ce jeune éclat qu'on remarque en ses traits M'a semblé démentir le nombre de ses faits; Mon cœur, plein de son nom, n'osait, je le confesse, Accorder tant de gloire avec tant de jeunesse; Mais de ce même front l'héroïque fierté, Le feu de ses regards, sa haute majesté, Font connaître Alexandre; et certes son visage Porte de sa grandeur l'infaillible présage; Et sa présence auguste appuyant ses projets, Ses yeux, comme son bras, font partout des sujets. Il sortait du combat. Ébloui de sa gloire, Je croyais dans ses yeux voir briller la victoire. Toutefois, à ma vue, oubliant sa fierté, Il a fait à son tour éclater sa bonté.

Ses transports ne m'ont point déguisé sa tendresse: << Retournez, m'a-t-il dit, auprès de la princesse; << Disposez ses beaux yeux à revoir un vainqueur « Qui va mettre à ses pieds sa victoire et son cœur. Il marche sur mes pas. Je n'ai rien à vous dire, Ma sœur de votre sort je vous laisse l'empire; Je vous confie encor la conduite du mien.

CLÉOFILE.

Vous aurez tout pouvoir, ou je ne pourrai rien. Tout va vous obéir, si le vainqueur m'écoute.

TAXILE.

Je vais donc... Mais on vient. C'est lui-même sans [doute.

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Madame, à son amour je promets mon appui :
Ne puis-je rien pour moi quand je puis tout pour lui?
Si prodigue envers lui des fruits de la victoire,
N'en aurai-je pour moi qu'une stérile gloire?
Les sceptres devant vous ou rendus ou donnés,
De mes propres lauriers mes amis couronnés,
Les biens que j'ai conquis répandus sur leurs têtes,
Font voir que je soupire après d'autres conquêtes.
Je vous avais promis que l'effort de mon bras
M'approcherait bientôt de vos divins appas;
Mais, dans ce même temps, souvenez-vous, madame
Que vous me promettiez quelque place en votre àme
Je suis venu l'amour a combattu pour moi;
La victoire elle-même a dégagé ma foi;
Tout cède autour de vous: c'est à vous de vous rendre
Votre cœur l'a promis, voudra-t-il s'en défendre?
Et lui seul pourrait-il échapper aujourd'hui
A l'ardeur d'un vainqueur qui ne cherche que lui!

CLEOFILE.

Non, je ne prétends pas que ce cœur inflexible
Garde seul contre vous le titre d'invincible;
Je rends ce que je dois à l'éclat des vertus
Qui tiennent sous vos pieds cent peuples abattus.
Les Indiens domptés sont vos moindres ouvrages;
Vous inspirez la crainte aux plus fermes courages;
Et quand vous le voudrez, vos bontés, à leur tour,
Dans les cœurs les plus durs inspireront l'amour.

Mais, seigneur, cet éclat, ces victoires, ces charmes,
Me troublent bien souvent par de justes alarmes :
Je crains que, satisfait d'avoir conquis un cœur,
Vous ne l'abandonniez à sa triste langueur;
Qu'insensible à l'ardeur que vous aurez causée,
Votre âme ne dédaigne une conquête aisée.
On attend peu d'amour d'un héros tel que vous :
La gloire fit toujours vos transports les plus doux;
Et peut-être, au moment que ce grand cœur soupire,
La gloire de me vaincre est tout ce qu'il désire.

ALEXANDRE.

Que vous connaissez mal les violents désirs
D'un amour qui vers vous porte tous mes soupirs!
J'avoûrai qu'autrefois, au milieu d'une armée,
Mon cœur ne soupirait que pour la renommée;
Les peuples et les rois, devenus mes sujets,
Étaient seuls, à mes vœux, d'assez dignes objets.
Les beautés de la Perse à mes yeux présentées,
Aussi bien que ses rois, ont paru surmontées :
Mon cœur, d'un fier mépris armé contre leurs traits,
N'a pas du moindre hommage honoré leurs attraits;
Amoureux de la gloire, et partout invincible,
Il mettait son bonheur à paraitre insensible.
Mais, hélas! que vos yeux, ces aimables tyrans,
Ont produit sur mon cœur des effets différents!
Ce grand nom de vainqueur n'est plus ce qu'il souhai-
Il vient avec plaisir avouer sa défaite :
Heureux, si votre cœur se laissant émouvoir,
Vos beaux yeux, à leur tour, avouaient leur pouvoir!
Voulez-vous donc toujours douter de leur victoire,
Toujours de mes exploits me reprocher la gloire?
Comme si les beaux nœuds où vous me tenez pris
Ne devaient arrêter que de faibles esprits! [dre
Par des faits tout nouveaux je m'en vais vous appren-
Tout ce que peut l'amour sur le cœur d'Alexandre:
Maintenant que mon bras, engagé sous vos lois,
Doit soutenir mon nom et le vôtre à la fois,
J'irai rendre fameux, par l'éclat de la guerre,
Des peuples inconnus au reste de la terre,
Et vous faire dresser des autels en des lieux
Où leurs sauvages mains en refusent aux dieux.
CLÉOFILE.

[te;

Oui, vous y traînerez la victoire captive;
Mais je doute, seigneur, que l'amour vous y suive.
Tant d'États, tant de mers qui vont nous désunir,
M'effaceront bientôt de votre souvenir.
Quand l'Océan troublé vous verra sur son onde
Achever quelque jour la conquête du monde,
Quand vous verrez les rois tomber à vos genoux,
Et la terre en tremblant se taire devant vous,
Songerez-vous, seigneur, qu'une jeune princesse
Au fond de ses États vous regrette sans cesse,
Et rappelle en son cœur les moments bienheureux
Où ce grand conquérant l'assurait de ses feux? ·

ALEXANDRE.

Eh quoi! vous croyez donc qu'à moi-même barbare
J'abandonne en ces lieux une beauté si rare?
Mais vous-même plutôt voulez-vous renoncer
Au trône de l'Asie où je vous veux placer?

CLÉOFILE.

Seigneur, vous le savez, je dépends de mon frère.

ALEXANDRE.

Ah! s'il disposait seul du bonheur que j'espère,
Tout l'empire de l'Inde asservi sous ses lois
Bientôt en ma faveur irait briguer son choix.
CLEOFILE.

Mon amitié pour lui n'est point intéressée.
Apaisez seulement une reine offensée;

Et ne permettez pas qu'un rival aujourd'hui,
Pour vous avoir bravé, soit plus heureux que lui.

ALEXANDRE.

| Porus était sans doute un rival magnanime:
Jamais tant de valeur n'attira mon estime.
Dans l'ardeur du combat je l'ai vu, je l'ai joint;
Et je puis dire encor qu'il ne m'évitait point :
Nous nous cherchions l'un l'autre. Une fierté si belle
Allait entre nous deux finir notre querelle,
Lorsqu'un gros de soldats, se jetant entre nous,
Nous a fait dans la foule ensevelir nos coups.

SCÈNE VII

ALEXANDRE, CLÉOFILE, ÉPHESTION.

ALEXANDRE.

Eh bien! ramène-t-on ce prince téméraire?

ÉPHESTION.

On le cherche partout; mais, quoi qu'on puisse faire,
Seigneur, jusques ici sa fuite ou son trépas
Dérobe ce captif aux soins de vos soldats.
Mais un reste des siens entourés dans leur fuite,
Et du soldat vainqueur arrêtant la poursuite,
A nous vendre leur mort semblent se préparer.

ALEXANDRE.

Désarmez les vaincus sans les désespérer.
Madame, allons fléchir une fière princesse,
Afin qu'à mon amour Taxile s'intéresse;
Et, puisque mon repos doit dépendre du sien,
Achevons son bonheur pour établir le mien.

ACTE QUATRIÈME

SCÈNE I

AXIANE.

N'entendrons-nous jamais que des cris de victoire
Qui de mes ennemis me reprochent la gloire?
Et ne pourrai-je au moins, en de si grands malheurs,
M'entretenir moi seule avecque mes douleurs?
D'un odieux amant sans cesse poursuivie,
On prétend malgré moi m'attacher à la vie :
On m'observe, on me suit. Mais, Porus, ne crois pas

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