Images de page
PDF
ePub

Ainsi les budgets ont été renvoyés aux ministres, qui, sur les premières allocations qu'ils s'attribuaient, ont opéré eux-mêmes des réductions s'élevant à environ 31, 437 942 francs (277 707 bourses), ou plutôt le chiffre des réductions qu'ils se proposent de faire a été notifié en masse au Conseil, par ministères, sans que les ministres aient indiqué et se soient rendu compte, nous a-t-on dit, des chapitres et articles sur lesquels porteraient réellement ces réductions.

De quelque côté donc qu'on ait tenté des efforts pour constituer un contrôle supérieur de l'emploi de la fortune publique nous avons échoué, ce qui veut dire que le gouvernement ottoman, ne ratifiant pas ce qu'il avait annoncé aux chancelleries européennes, et laissant même de côté l'Iradé impérial visé dans le Hatt-Houmayoun (art. 20), entend conserver l'omnipotence en cette matière, comme par le passé, aux ministres réunis en Conseil.

Ayant considéré cette création d'un pouvoir régulateur de l'emploi de la fortune publique comme la première conquête à faire sur l'ancienne organisation, et comme une mesure de nature à contribuer à ramener la confiance, cet échec est le plus considérable que nous ayons subi.

Nous avons encore tenté de réunir tous les éléments de recettes et de dépenses de tous les ministères, nous proposant de former, au moyen de comptables intelligents cherchés sur place ou venant d'ailleurs, une comptabilité en français, qui, reproduite en langue turque plus tard, pût servir de modèle, et se substituer peu à peu dans chaque ministère aux méthodes actuelles qui ne permettaient, nous le craignons, à personne de savoir exactement ce qui s'y passe. A cet effet des tableaux mensuels devaient être envoyés au Conseil le cinquième jour de chaque mois. Après bien des réclamations nous les avons obtenus pour le premier mois, mais il existe aujourd'hui tant de lenteurs dans la traduction de ces documents, tant d'incertitude dans leur envoi, qu'il faut renoncer à cette pensée. On pouvait ainsi attirer au Conseil toutes les aspirations de recettes et de dépenses et en cas d'une liquidation des dettes de l'Empire, soit par un emprunt, soit de toute autre manière, se trouver prêt à veiller à une scrupuleuse exécution. Peut-être encore, en élargissant chaque jour la sphère d'action du Conseil, pourrait-on absorber graduellement le ministère des finances, et se substituer à lui.

En résumé, nous avons poursuivi sans illusions, mais seulement avec le sentiment d'un devoir à remplir, la pensée de faire entrer l'administration ottomane dans les voies de l'ordre la formation des budgets; leur emploi régulier; la reddition des comptes, comme

moyen, la comptabilité; un contrôle supérieur à l'aide d'un pouvoir autre que celui des ministres réunis en Conseil; que ce fût le Conseil des Trésors, celui qu'indiquait l'Iradé impérial précité, ou le Conseil des Trésors, le Tanzimat, le Conseil de justice, et le Conseil d'État réunis en assemblée générale, ou tout autre.

Enfin nous avons tenté de faire prévaloir le principe de la publicité des actes comme étant le frein le plus à notre portée, et qui ne demandait que la bonne volonté du gouvernement. Sur ce dernier point peut-être n'échouerons-nous pas complétement, le Conseil, malgré quelque dissentiment, nous paraissant avoir fait accepter par le gouvernement la publication, qui se fait pourtant bien attendre, et du budget général et des budgets particuliers de chaque ministère. Nous sommes donc arrêtés en chemin, après avoir fait à peine le premier pas, parce que l'oeuvre entreprise est au-dessus des forces. d'un Conseil composé par les circonstances, et dont l'ombre seule suffit aux vues du gouvernement, parce que l'élément européen a été écrasé dans ce Conseil sous le nombre, et que la lutte aujourd'hui serait sans utilité, parce que peut-être aussi les conditions de l'ordre que nous venons d'exposer n'ont pas pour le gouvernement turc le prix que nous y attachons, ou que pour être remplies elles demanderaient une persévérance et une fermeté que nous ne voyons à personne.

Enfin encore, parce que l'illusion du gouvernement turc sur la possibilité de contracter un emprunt ne l'a jamais abandonné, et il est entretenu dans cette pensée par bien des motifs et aussi par de nombreux chercheurs de solutions financières, en dehors des conditions qui seront éternellement celles du crédit public.

Cependant la crise s'aggrave; les fonctionnaires ne sont pas payés, l'armée et la marine pas davantage. Chaque jour l'État aliène ses revenus à venir, et bien que le Conseil n'ait encore pu obtenir un état de quelque certitude indiquant jusqu'à quel point ces derniers revenus sont engagés, nous devons croire qu'une grande partie de ceux de l'année prochaine ne sont déjà plus à la disposition du Trésor.

Dans cette situation si grave, il ne nous a jamais été possible de savoir quelles étaient les dispositions que comptait prendre le gouvernement dans l'hypothèse plus que possible, mais non encore acceptée, qu'un emprunt ne serait pas effectué.

Des ressources ordinaires d'environ 286 millions de francs, soit 11 500 000 livres sterling, reliquat de tout ce que le fermage et les malversations laissent au Trésor, et qui pourraient suffire à assurer les services, si ces revenus appartenaient encore au Trésor,

puisque les dépenses inscrites aux budgets ordinaires comparées aux recettes ne font ressortir qu'un déficit d'environ 7 millions et quelques centaines de mille francs.

[merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small]

Et si nous supposons remplies les conditions d'ordre que nous avons énumérées, on doit admettre que l'équilibre serait assuré entre les dépenses et les recettes ordinaires.

Maintenant, comme nous l'avons dit, nous ne connaissons pas exactement l'importance des revenus aliénés aux prêteurs, pas plus que nous ne sommes admis à suivre les aliénations journalières qui s'effectuent et modifient sans cesse la situation; mais nous croyons que, si on reporte toutes les anticipations qui grèvent les revenus actuels et ceux de l'année prochaine dans un budget extraordinaire, ainsi que les bons et effets publics remboursables, échus et à échoir, la dette flottante de la Turquie ne devra pas dépasser 462 millions de francs et sa dette générale 846 millions; mais sa dette flottante à courtes échéances résultant d'emprunts usuraires contractés dans les mystères de l'administration sont toute la crise.

Remarquons en passant que, si on consulte les dates de la plupart de ces consolidations à courtes échéances, comme celles de ces emprunts, on arrive à reconnaître que la situation anormale du Trésor ne remonte pas au delà de cinq ou six années.

Sous le titre de séhims, de hasné-tahvili, de bons de dix ans et de bons du ministère de la guerre transférés au Trésor, et de bons de la marine qui sont et des effets publics et des consolidations à de courtes échéances, créés pour régler des dettes du palais et d'ailleurs, on voit figurer environ 198 millions de francs dont les échéances peuvent être prolongées sans surprise pour le public, soit par une consolidation définitive en rentes perpétuelles, soit en rentes amortissables pendant trente-six ans ou vingt-quatre années, comme pour les eshami-djédidés. Dans tous les cas, il serait possible de les effacer des préoccupations actuelles.

Il resterait alors en dettes flottantes de toutes natures, et nous ne connaissons pas les détails, un passif d'environ 264 millions de francs avec ou sans garantie des revenus affermés. C'est ainsi que nous apparaissait la situation vers le mois de juillet les diminutions dans les dépenses et les remboursements que se sont faits les prêteurs

sur les revenus qui leur ont été donnés en garantie, ont-ils modifié cette situation? nous ne saurions le dire.

Qui doutera cependant en jetant les yeux sur les budgets qui, nous l'espérons, vont être enfin publiés, que la Turquie est bien loin de tirer parti même des seules ressources exploitées par son administration?

Ainsi les droits sur le bétail inscrits aux budgets pour 22 millions de francs environ ne portent que sur les chèvres, les moutons et les porcs. Il est vrai que sur ces derniers le droit a été perçu sans distinction d'âge, ce qui équivaut à la destruction de la race. Dans un pays voisin, en Grèce, le gros bétail, les ânes, les chevaux, les chameaux sont soumis à des droits, et rien ici ne justifie une exception.

Les forêts ne sont au budget que pour un produit d'environ 150,000 fr., ce qui indique qu'il n'en est tiré aucun parti, surtout quand on remarque que la Grèce peut faire figurer à son budget cette ressource en 1860 pour 270,000 fr. environ, malgré tous les inconvénients d'une administration qui n'est ni rétribuée, ni surveillée.

Les mines donnent au Trésor environ 260,000 fr. provenant des Sandjaks de Séraï, Travnik, Buké, Nische, Lamak, Carahisser, et du Caza de Nulkalichin. La Grèce tire de ses mines environ 500,000 fr., et beaucoup lui reprochent de ne pas les exploiter ou de les mal exploiter.

Le droit de patente n'est pas inscrit au budget.

Les pêcheries, qui en Grèce représentent près de 180,000 fr., sont ici d'un produit d'environ 400,000 fr.

Le papier timbré produisant en Grèce près de 1,400,000 fr.. ne donne ici qu'environ 700,000 fr.

Par cette comparaison faite à la hâte entre un petit pays voisin d'une population de 1 million d'habitants, qui laisse singulièrement à désirer sous le rapport de l'administration, et la Turquie, nous n'avons voulu montrer que d'une manière plus sensible à l'aide de quelques indications prises au hasard, combien il eût été facile à la Turquie d'accroître ses ressources et de trouver même, depuis une année, les garanties d'un emprunt, soit pour faire vivre ses services publics, soit pour rembourser ou consolider ses dettes en libérant

ses revenus.

Au nombre des améliorations on place encore la modification du traité de commerce, qui épuise depuis vingt ans la Turquie, en grevant les produits de ce pays essentiellement agricole d'un droit d'exportation de 12 pour 100, auquel s'ajoute encore la dîme quant à l'importation. Ces droits sont de 5 et le plus souvent de 3 pour 100.

Ce traité a encore conservé l'abolition des monopoles pour mettre un terme aux abus qu'ils avaient engendrés, mais deux exceptions devraient être faites pour le tabac et le sel, qui pourraient produire dans des mains habiles des ressources considérables.

Nous n'avons pas parlé de ce privilége dont jouit la ville de Constantinople de ne point participer à l'impôt du verghi qui est une sorte de « income-tax, » ou plutôt contingent réparti par les notables au prorata du revenu présumé de chacun. La difficulté d'asseoir cet impôt dans une ville composée de nationalités si diverses rendrait préférable une contribution sur les loyers. En l'absence de toute donnée statistique, il est impossible de préciser l'importance de cette ressource, mais on croit être au-dessous de la vérité en l'évaluant à 8 millions de francs.

La conversion en propriété Mulk des biens Vacoufs paraîtrait devoir être une des ressources du Trésor, mais toutes les fois que cette question a été traitée, tous les efforts possibles ont été faits pour démontrer que cette mesure ne donnerait que de faibles résultats, et à défaut de tous renseignements, que pourrait cependant donner le ministère spéciale de l'Efcaf, la discussion de notre part n'était pas possible.

La faculté laissée aux ministres de la guerre, de la marine, de la liste civile, d'émettre des serghis, c'est-à-dire des promesses de payer, sans limitation, est ici l'un des plus grands dangers pour le Trésor, et devrait être au moins régularisée.

En tout pays qui porte ses dépenses au niveau de ses recettes, le Trésor ne peut pas faire face à ses engagements seulement avec ses revenus, puisque ces derniers ne se recouvrent pas dans la période de douze mois, et que les dépenses générales de salaires, traitements, pensions ou fournitures doivent être soldées dans l'année.

Les gouvernements réguliers et habiles, sous une forme ou sous une autre, recourent au crédit, et assurent la régularité des services publics par une dette flottante, à courte échéance, mais qui se renouvelle sans cesse, au fur et à mesure de leurs besoins, s'ils savent conserver la confiance publique. Mais les gouvernements restés en arrière, qui ont gardé les impôts en nature soumis à des fluctuations si diverses, ou dont l'administration n'est ni vigilante ni probe, ne peuvent prétendre porter leurs dépenses au niveau de leurs recettes probables que par exception; encore faut-il qu'une prévoyante administration ait constitué antérieurement des réserves métalliques, ou que l'abaissement des dépenses vienne promptement après la crise rétablir l'équilibre. S'ils méconnaissent ces principes, et qu'ils portent leurs dépenses au niveau de leurs recettes probables, et au delà, comme en Turquie, de graves déceptions leur sont réservées.

« PrécédentContinuer »