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l'autre. Pendant ce temps, l'Algérien, qui n'avait aucune blessure, parvint à saisir Hassan; et, nageant vers un débris qui flottait sur l'eau, l'y conduisit, l'y attacha, et le traîna ainsi au rivage.

Les deux vaisseaux embrasés, se détachant par l'effet de l'incendie, voguaient au gré des vents et des vagues. Le vaisseau russe, bien plus enflammé, brûlant avec rapidité, aborda près de terre et sauta le premier. Le vaisseau turc, ne brûlant encore que par le haut, était porté au milieu de la flotte ottomane. Cette flotte épouvantée coupa ses câbles, et chaque vaisseau, déployant ses principales voiles, suivit la côte. Les deux divisions russes qui se trouvaient aussi sous le vent du vaisseau enflammé n'inquiétèrent point cette fuite, et seulement, à mesure que les vaisseaux turcs, en longeant le rivage, passaient à leur portée, les uns et les autres se canonnaient en désordre et dans l'éloignement. Les vaisseaux turcs, en suivant ainsi la côte, rencontrerent le petit golfe de Tchesmé, et y entrèrent comme dans un asile.

L'armée russe jeta l'ancre à la même place que l'armée turque venait d'abandonner; et apercevant les vaisseaux ennemis amoncelés dans une baie étroite, dont l'entrée se trouvait encore resserrée par un rocher qui s'élevait au milieu des eaux, on conçut l'espérance d'y incendier toute cette flotte.

Quatre vaisseaux russes furent aussitôt détachés pour fermer la sortie de cette baie, mais les courants firent tomber ces quatre vaisseaux sous le vent, sans que de tout le jour aucune manœuvre pût les rapprocher.

Chacune des deux escadres demeurait ainsi dans un extrême péril; l'une, malgré sa force, amoncelée entre deux rochers où il était facile de la détruire; l'autre, malgré sa faiblesse, séparée en deux divisions hors de portée de se secourir mutuellement.

Hassan, qui s'était fait porter au lieu du danger, représenta au capitan-pacha combien la flotte ottomane était exposée dans cette anse. Mais celui-ci, de plus en plus attaché à sa résolution de ne point combattre, se croyait sous la protection de la petite forteresse de Tchesmé et des batteries qu'il faisait établir sur les côtes. Il défendit à tout vaisseau de prendre le large, et envoya par terre aux Dardanelles, pour en faire venir encore quelques vaisseaux. Il employa toute la journée suivante à établir des batteries sur le rivage. Une fut placée sur le rocher qui rétrécissait l'entrée du golfe. Quatre vaisseaux placés en travers dans l'intérieur du golfe, couvraient toute la flotte, et défendaient le pas

sage. Mais pendant cette même journée, l'escadre russe, parvenue à se réunir, préparait des brûlots pour une expédition plus terrible qu'un combat.

Au milieu de la nuit, ces brûlots s'avancent, soutenus par trois vaisseaux de ligne, une frégate et une bombarde. Un de ces vaisseaux, monté par Gregg, arriva le premier à l'entrée du port, et y resta longtemps exposé au feu de la batterie et des quatre vaisseaux ennemis, faisant de son côté un feu terrible et continuel avec des grenades, des boulets rouges, des carcasses, des fusées et de la mitraille. Les deux autres vaisseaux arrivèrent enfin à la même portée et commencèrent un feu semblable, tandis que la bombarde, placée à leur tête, envoyait au loin ses bombes dans l'intérieur du golfe. Pendant ce temps, les deux brûlots approchent, conduits l'un et l'autre par des officiers anglais. L'un, dont le commandant ne put bien faire comprendre ses ordres par les Esclavons et les Grecs qui formaient son équipage, prit feu trop tôt, et brûla inutilement; l'autre s'en éloigna et gagna le front de l'ennemi. Le crampon s'accrocha à quelques grillages d'un des plus gros vaisseaux turcs. Cinq minutes après, le vaisseau turc fut enflammé, et le feu gagna aussitôt sur les trois autres vaisseaux qui fermaient le port.

1

4) Nous aimons à rappeler ici les beaux vers de M. Casimir Delavigne sur les

brûlots de Canaris :

Ténédos! Ténédos!

Deux esquifs à ta voix ont sillonné les flots:
Tels, vomis par ton sein sur la plaine azurée,
S'avançaient ces serpents hideux,

Se dressant, perçant l'air de leur langue acérée,

De leurs anneaux mouvants fouettant l'onde autour d'eux,
Quand la triste Ilion les vit sous ses murailles,

A leur triple victime attachés tous les deux,
La saisir, l'enlacer de leurs flexibles nœuds,
L'emprisonner dans leurs écailles.

Tels, et plus terribles encor,

Ces deux esquifs de front fendent les mers profondes.
De vos rames battez les ondes ;

Allez, vers ce vaisseau, cinglez d'un même essor.
L'incendie a glissé sous la carène ardente;

Il se dresse à la poupe, il siffle autour des flancs;
De cordage en cordage il s'élance, il serpente,

Enveloppe les mâts de ses replis brûlants,

De sa langue de feu, qui s'allonge à leur cime,
Saisit leurs pavillons consumés dans les airs,

Les vaisseaux russes, auxquels on avait envoyé toutes les chaloupes, se retirèrent pour n'être pas exposés quand les vaisseaux ennemis sauteraient en l'air.

L'escadre turque était si resserrée que les vaisseaux se touchaient presque les uns les autres. En peu d'instants les flammes, poussées par les vents, s'élevèrent, s'étendirent, et offrirent aux yeux des Russes le spectacle de la flotte ennemie embrasée tout entière. Le golfe de Tchesmé ne paraissait qu'un immense globe de feu. De lamentables cris sortaient de cette mer enflammée. La plus grande partie des équipages turcs était descendue à terre dans la journée précédente. Ce qui restait dans les navires se précipite dans la mer et cherche à fuir au rivage; mais, les canons de ces vaisseaux étant chargés, à mesure que la flamme les échauffait, les batteries faisaient feu et foudroyaient la côte. Quand l'embrasement eut gagné les soutes à poudre, d'affreux éclats retentissaient du sein de cette horrible enceinte, et dispersaient au loin des débris, des corps expirants, des troncs mutilés.

Les habitants de Chio, accourus au rivage et tremblant de voir leur ville pillée par les vainqueurs, voyaient distinctement, à la lueur de l'incendie et sur toute la surface de la mer, les différentes scènes de cette horrible catastrophe: les eaux couvertes de malheureux nageant à travers les débris enflammés; la forteresse de Tchesmé, la ville et une mosquée, bâties en amphithéâtre sur une colline, abîmées de fond en comble, et tous les habitants de cette côte fuyant sur les hauteurs éloignées. On entendait mugir dans l'enfoncement des terres les montagnes et les rochers. Au moment de cette destruction, il y eut un si horrible fracas, que Smyrne, distant de dix lieues, sentit la terre trembler. Athènes, à plus de cinquante lieues d'une mer coupée d'iles, prétend en avoir entendu le bruit; les vaisseaux russes, quoique assez éloignés, étaient agités comme par les secousses d'une violente tempête. Cet affreux spectacle dura depuis une heure après minuit jusqu'à six heures du matin.

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Les chaloupes russes sauvaient 2 quelques-uns des malheureux qui, après être sautés en l'air ou s'être précipités eux-mêmes dans

Et, pour la dévorer embrassant la victime,

Avec ses mâts rompus, ses ponts, ses flancs ouverts,

Ses foudres, ses nochers engloutis par les mers,

S'enfonce en grondant dans l'abîme. »

4) Plusieurs exemples du participe présent, qui diffère de l'adjectif verbal en ce qu'il exprime un rapport de temps. 2) Rien n'empêcherait de dire sauvèrent ;

la mer, erraient sur les flots; et quoique le plus grand nombre des Turcs fût parvenu à se jeter à la côte, tous les rivages d'alentour furent couverts de cadavres. Il y eut de brûlés 15 gros vaisseaux de 74 à 100 pièces de canons, 9 de 15 à 30, et plusieurs galères; un seul vaisseau de 60 canons et cinq galiotes échappèrent aux flammes, et tombèrent entre les mains des Russes.

LA FÊTE DE LA FÉDÉRATION;

PAR M. THIERS.

« La municipalité de Paris proposa pour le 14 Juillet 1790 (premier anniversaire de la prise-de la Bastille) une fédération générale de la France, qui se ferait par des députés de toutes les gardes nationales et de tous les corps de l'armée. Ce projet fut accueilli avec enthousiasme, et des préparatifs immenses furent faits pour rendre la fête digne de son objet. »

Le jour s'approchait, et les préparatifs se faisaient avec la plus grande activité. La fête devait avoir lieu au Champ-de-Mars, vaste terrain qui s'étend entre l'école militaire et le cours de la Seine. On avait projeté de transporter la terre du milieu sur les 2 côtés, de manière à former un amphithéâtre suffisant pour la masse des spectateurs. Douze mille ouvriers y travaillaient sans relâche; et cependant il était à craindre que les travaux ne fussent pas achevés le 14; les habitants veulent alors se joindre eux-mêmes aux travailleurs. En un instant toute la population est transformée en ouvriers. Des religieux, des militaires, des hommes de toutes les classes saisissent la pelle et la bêche; des femmes élégantes elles-mêmes contribuent aux travaux. Bientôt l'entraînement est général; on s'y rend par sections, avec des bannières de diverses couleurs, et au son du tambour. Arrivés, on se mêle, et on travaille en commun. La nuit venue et le signal donné1,

mais l'auteur présente ce fait comme simultané à ceux qui précèdent, comme un détail du tableau commencé; dans ce sens il faut dire sauvaient. 4) Cette forme nous rend l'ablatif absolu des Latins: << Mais, Rome prise enfin, Seigneur, où courrons-nous?» Boileau. «Je suis parti, les cieux d'un noir crêpe voilés. » Molière. << Nos besoins satisfaits, le reste de nos biens n'est plus à nous.» Marmontel.

chacun se rejoint aux siens et retourne à ses foyers. Cette douce union régna jusqu'à la fin des travaux. Pendant ce temps les fédérés arrivaient continuellement, et étaient reçus avec le plus grand empressement et la plus aimable hospitalité. L'effusion était générale et la joie sincère, malgré les alarmes que le très-petit nombre d'hommes restés inacessibles à ces émotions s'efforçaient de répandre. On disait que des brigands profiteraient du moment où le peuple serait à la fédération pour piller la ville. On sup posait au duc d'Orléans, revenu de Londres, des projets sinistres cependant la gaîté nationale fut inaltérable, et on ne crut à aucune de ces méchantes prophéties.

Le 14 arrive enfin: tous les fédérés des provinces et de l'armée, rangés sous leurs chefs et leurs bannières, partent de la place de la Bastille, et se rendent aux Tuileries. Les députés du Béarn en passant à la place de la Ferronnerie où avait été assassiné Henri IV, lui rendent un hommage, qui, dans cet instant d'émotion, se manifeste par des larmes. Les fédérés, arrivés au jardin des Tuileries, reçoivent dans leurs rangs la municipalité et l'assemblée. Un bataillon de jeunes enfants, armés comme leurs pères, devançait l'assemblée; un groupe de vieillards la suivaient, 9. et rappelaient ainsi les antiques souvenirs de Sparte. Le cortége s'avance au milieu des cris et des applaudissements du peuple. Les quais étaient couverts de spectateurs; les maisons en étaient chargées. Un pont, jeté en quelques jours sur la Seine, conduisait par un chemin jonché de fleurs d'une rive à l'autre, et aboutissait en face du champ de la Fédération. Le cortège le traverse, et chacun prend sa place. Un amphithéâtre magnifique, disposé dans le fond, était destiné aux autorités nationales. Le roi et le président étaient assis à côté l'un de l'autre sur des siéges pareils, 11. semés de fleurs de lis d'or. Un balcon élevé derrière le roi portait la reine et la cour. Les ministres étaient à quelque distance du roi, et les députés rangés des deux côtés. Quatre cent mille spectateurs chargeaient les amphithéâtres latéraux; soixante mille fédérés armés faisaient leurs évolutions dans le champ intermédiaire; et au centre s'élevait, sur une base de vingt-cinq pieds, le magnifique autel de la patrie. Trois cents prêtres revêtus d'aubes blanches et d'écharpes tricolores en couvraient les marches, et devaient servir le sacrifice.

13.

L'arrivée des fédérés dura trois heures. Pendant ce temps le ciel était couvert de sombres nuages, et la pluie tombait par

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