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rait horreur de se voir dans des sentiments où l'on a pour compagnons des personnes si méprisables?

Ainsi, ceux qui ne font que feindre ces sentiments sont bien malheureux de contraindre leur naturel pour se rendre les plus impertinents des hommes. S'ils sont fàchés dans le fond de leur cœur de ne pas avoir plus de lumière, qu'ils ne le dissimulent point. Cette déclaration ne sera pas honteuse. Il n'y a de honte qu'à ne point en avoir 2. Rien ne découvre davantage une étrange faiblesse d'esprit que de ne pas connaître quel est le malheur d'un homme sans Dieu. Rien ne marque davantage une extrême bassesse de cœur que de ne pas souhaiter la vérité des promesses éternelles. Rien n'est plus lâche que de faire le brave contre Dieu. Qu'ils laissent donc ces impiétés à ceux qui sont assez mal nés pour en être véritablement capables; qu'ils soient au moins honnêtes gens, s'ils ne peuvent encore être chrétiens, et qu'ils reconnaissent enfin qu'il n'y a que deux sortes de personnes qu'on puisse appeler raisonnables: ou ceux qui servent Dieu de tout leur cœur, parce qu'ils le connaissent; ou ceux qui le cherchent de tout leur cœur, parce qu'ils ne le connaissent pas encore".

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QUATORZIÈME PROVINCIALE DE PASCAL;

SUR L'HOMICIDE.

« La quatorzième Provinciale, dit le chancelier d'Aguesseau, est un chefd'œuvre d'éloquence qui peut le disputer à tout ce que l'antiquité a le plus admirê; et je doute que les Philippiques de Démosthènes et de Cicéron offrent rien de plus fort et de plus parfait.

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M. Villemain professe pour ce chef-d'œuvre la même admiration; et voici comme il en rend compte: « Qu'un homme sensible à l'éloquence et accoutumé au génie de Démosthènes, relise la quatorzième Provinciale, la fameuse lettre sur l'homicide. Pascal enferme d'abord ses adversaires entre la reli

1) Impertinent signifie en cet endroit sot, déraisonnable, ridicule, comme dans cet hémistiche de Boileau: L'impertinent auteur! 2) V. le morceau suivant, note sur le mot puissance. 3) Très-belle antithèse. 4) D'une naissance basse, et ici par extention, sans éducation, sans culture. Honnêtes gens, qui vient après, signifie le contraire, gens d'une condition honorable, de bonne société. 5) Syllepse. — 6) M. Cousin a signalé des changements faits à ce morceau par les premiers éditeurs de Pascal; mais, en attendant que le texte ait été entièrement rétabli, nous maintenons le morceau tel qu'il est dans toutes les éditions.

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gion corrompue et l'humanité outragée: alors il s'avance contre eux par une progression lente et inévitable, descendant toujours des plus hauts principes, s'appuyant sur toutes les autorités sacrées, et portant le scrupule de la plus rigoureuse logique dans la démonstration des plus manifestes vérités. Il emploie, pour ainsi dire, à la défaite de ses ennemis une surabondance de force, et l'on voit qu'il les retient si longtemps sous le glaive de son éloquence, moins pour les réfuter que pour les punir. Chaque fois qu'il achève un argument la cause est gagnée; mais il recommence, pour traîner ses adversaires vaincus à travers toutes les humiliations de leur erreur. »

Voici le plan de cette lettre :

L'auteur annonce son dessein, qui est de réfuter les maximes des Jésuites sur l'homicide. Selon la religion, Dieu seul est maître de la vie des hommes. On ne doit la leur ôter qu'avec l'autorité de Dieu, et selon la justice. Hors de là, l'homicide est un crime. Lois romaines, lois de Moïse citées. Comment les Jésuites peuvent-ils permettre au nom de l'Évangile ce que la Loi (de Moïse) défend? Ils se fondent sur ce que, la défense étant permise, le meurtre l'est aussi. C'est une défense meurtrière, qu'aucune législation n'a permise pour la conservation du bien. Autrement, où poser la limite? Les Jésuites l'ont indéfiniment reculée. L'auteur le prouve par des citaComparaison des maximes des Jésuites avec les lois ecclésiastiques. Comparaison des mêmes maximes avec la marche des tribunaux dans les causes capitales. Où faut-il placer les auteurs de telles maximes? Est-ce parmi les amis ou les ennemis de Jésus-Christ? L'auteur, opposant les maximes de Jésus-Christ à celles des Jésuites, répond qu'ils parlent et agissent comme les ennemis du Sauveur.

tions.

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MES RÉVÉRENDS PÈRES !

Si je n'avais qu'à répondre aux trois impostures qui restent sur l'homicide', je n'aurais pas besoin d'un long discours, et vous les verriez ici réfutées en peu de mots; mais comme je trouve bien plus important de donner au monde de l'horreur de vos opinions sur ce sujet que de justifier la fidélité de mes citations, je serai obligé d'employer la plus grande partie de cette lettre à la réfutation de vos maximes, pour vous représenter combien vous êtes éloignés des sentiments de l'Église, et même de la nature. Les permissions de tuer que vous accordez en tant de rencontres font paraître qu'en cette matière vous avez tellement oublié la loi de Dieu, et tellement éteint les lumières naturelles, que vous avez

4) Où plutôt sur la manière dont Pascal avait exposé la doctrine des Jésuites sur l'homicide.

besoin qu'on vous remette dans les principes les plus simples de la religion et du sens commun; car qu'y a-t-il de plus naturel que ce sentiment, « qu'un particulier n'a pas droit sur la vie d'un autre ? » « Nous en sommes tellement instruits de nous-mêmes, << dit saint Chrysostome, que quand Dieu a établi le précepte de <«<ne point tuer, il n'a pas ajouté que c'est à cause que l'homi<«<cide est un mal; parce, dit ce père, que la loi suppose qu'on « a déjà appris cette vérité de la nature.»><

Aussi ce commandement a été imposé aux hommes dans tous les temps. L'Évangile a confirmé celui de la loi; et le Décalogue n'a fait que renouveler celui que les hommes avaient reçu de Dieu, avant la loi, en la personne de Noé, dont tous les hommes devaient naître; car dans ce renouvellement du monde, Dieu dit à ce patriarche: «Je demanderai compte aux hommes de la vie <«< des hommes, et au frère de la vie de son frère. Quiconque << versera le sang humain, son sang sera répandu, parce que « l'homme est créé à l'image de Dieu.»>

Cette défense générale ôte aux hommes tout pouvoir sur la vie des hommes, et Dieu se l'est tellement réservé à lui seul, que, selon la vérité chrétienne, opposée en cela aux fausses maximes du paganisme, l'homme n'a pas même pouvoir sur sa propre vie. Mais parce qu'il a plu à sa providence de conserver les sociétés des hommes, et de punir les méchants qui les troublent, il a établi lui-même des lois pour ôter la vie aux criminels, et ainsi ces meurtres, qui seraient des attentats punissables sans son ordre, deviennent des punitions louables par son ordre, hors duquel il n'y a rien que d'injuste. C'est ce que saint Augustin a représenté admirablement au livre 1er de la Cité de Dieu, c. 21.: « Dieu, dit-il, a fait lui-même quelques exceptions à cette dé«<fense générale de tuer, soit par les lois qu'il a établies pour <«< faire mourir les criminels, soit par les ordres particuliers qu'il « a donnés quelquefois pour faire mourir quelques personnes. Et <«< quand on tue en ces cas-là, ce n'est pas l'homme qui tue, << mais Dieu, dont l'homme n'est que l'instrument, comme une <«< épée entre les mains de celui qui s'en sert; mais, si l'on excepte « ces cas, quiconque tue se rend coupable d'homicide. »

Il est donc certain, mes pères, que Dieu seul a le droit d'ôter la vie, et que néanmoins, ayant établi des lois pour faire mourir les criminels, il a rendu les rois ou les républiques dépositaires de ce pouvoir; et c'est ce que saint Paul nous apprend, lorsque,

parlant du droit que les souverains ont de faire mourir les hommes, il le fait descendre du ciel, en disant: « que ce n'est pas << en vain qu'ils portent l'épée, parce qu'ils sont ministres de Dieu « pour exécuter ses vengeances contre les coupables.>>

Mais comme c'est Dieu qui leur en a donné le droit, ils sont obligés de l'exercer ainsi qu'il le ferait lui-même, c'est-à-dire avec justice, selon cette parole de Saint Paul au même lieu : <«<Les princes ne sont pas établis pour se rendre terribles aux << bons, mais aux méchants. Qui veut n'avoir point sujet de re<«< douter leur puissance n'a qu'à bien faire; car ils sont ministres «de Dieu pour le bien.» Et cette restriction rabaisse si peu 1 leur puissance, qu'elle la relève au contraire beaucoup davantage; parce que c'est la rendre semblable à celle de Dieu, qui est impuissant pour faire le mal, et tout-puissant pour faire le bien2; et que c'est la distinguer de celle des démons, qui sont impuissants pour le bien, et n'ont de puissance que pour le mal. Il y a seulement cette différence entre Dieu et les souverains, que, Dieu étant la justice et la sagesse même, il peut faire mourir sur-le-champ qui il lui plaît, en la manière qu'il lui plaît; car, outre qu'il est le maître souverain de la vie des hommes, il est sans doute qu'il ne la leur ôte jamais ni sans cause, ni sans connaissance, puisqu'il est aussi incapable d'injustice que d'erreur ; mais les princes ne peuvent pas agir de la sorte, parce qu'ils sont tellement ministres de Dieu, qu'ils sont hommes néanmoins, et non pas Dieu. Les mauvaises impressions les pourraient surprendre, les faux soupçons les pourraient aigrir, la passion les pourrait emporter; et c'est ce qui les a engagés eux-mêmes à descendre dans les moyens humains, et à établir dans leurs états des juges auxquels ils ont communiqué ce pouvoir, afin que cette

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4) Et cette restriction est si loin de... Et il s'en faut tant que cette restriction... — 2) La logique a peut-être quelque chose à reprendre ici : le mot puissant n'a pas exactement le même sens dans les deux phrases: dans l'une, la puissance est matérielle, extérieure; au lieu que, quand on dit que Dieu est impuissant pour le mal, cela ne peut s'entendre que dans un sens moral. Le même mot prêté à deux idées à la fois est une négligence assez commune, et quelquefois une des armes favorites du sophisme. Nous trouvons une faute semblable dans ce passage de la Mort de César: «<.... Vous mettez dans mon sein

« Tout l'honneur qu'un tyran ravit au nom romain.»

V. aussi Chrest. T. III (4o éd.), p. 51, 1. 17. — 33) Remarquez ici, et en mille endroits, combien cet emploi particulier que la langue française fait du participe présent, est commode et agréable. 4) Locution passée d'usage. On dirait hors de doute,

autorité que Dieu leur a donnée ne soit employée que pour la fin pour laquelle ils l'ont reçue.

Concevez donc, mes pères, que pour être exempt d'homicide, il faut agir tout ensemble' et par l'autorité de Dieu, et selon la justice de Dieu; et que, si ces deux conditions ne sont jointes, on pèche, soit en tuant avec son autorité, mais sans justice, soit en tuant avec justice, mais sans son autorité. De la nécessité de cette union il arrive, selon saint Augustin, «que celui qui sans autorité tue un criminel se rend criminel lui-même, par cette raison principale qu'il usurpe une autorité que Dieu ne lui a pas donnée ; » et les juges au contraire, qui ont cette autorité, sont néanmoins homicides, s'ils font mourir un innocent contre les lois qu'ils doivent suivre.

Voilà, mes pères, les principes du repos et de la sûreté publique, qui ont été reçus dans tous les temps et dans tous les lieux, et sur lesquels tous les législateurs du monde, sacrés et profanes, ont établi leurs lois, sans que jamais les païens même2 aient apporté d'exception à cette règle, sinon lorsqu'on ne peut autrement éviter la perte de la pudicité ou de la vie, parce qu'ils ont pensé qu'alors, comme dit Cicéron, les lois mêmes semblent offrir leurs armes à ceux qui sont dans une telle nécessité3.

4) Tout à la fois. 2) Et non pas mêmes. 3) Cette période peut sembler un peu longue et un peu chargée. Cependant on ne peut dire qu'elle pèche contre l'unité. Rien ne détermine absolument la longueur et la complication de la période; mais il faut qu'elle soit une pour la pensée, pour la grammaire et pour l'oreille. La première de ces unités, la seule dont nous voulions parler ici, existe lorsque toutes les idées particulières contenues dans la période, sont les parties intégrantes d'une seule idée principale. Une période doit faire l'effet de plusieurs cercles concentriques, c'est-à-dire décrits autour d'un même centre. Si courte que soit la phrase suivante de l'abbé Sicard, elle est trop longue parce qu'elle manque d'unité : << Mais gardons-nous, par une dissection trop longtemps prolongée, de flétrir des << beautés dont on peut dire que la persévérante continuité serait trop fatigante. » Dans cette autre phrase, du cardinal Maury, il est curieux de voir l'unité sacrifiée au besoin de flatter, et une faute de langage naissant d'une faiblesse de l'âme. « J'ai dû m'empresser d'autant plus de relever une particularité si remarquable, que << votre élection m'a ramené parmi vous au moment où la bonté de l'empereur « venait de me rattacher à la France, en me plaçant auprès d'un jeune prince qui << se montre en toute occasion, par sa magnanimité, ses talents, son activité, ses exploits, sa sagesse et son humanité, le digne frère du premier des monarques <«<et des guerriers.» Mais rien ne vaut, dans ce genre, le passage suivant de l'Année française: «Le chancelier fut chargé de veiller seul au salut de la patrie, pendant <«< que le roi, muni de 80,000 hommes, se battait dans les vignes de Poitiers contre <«<le Prince Noir, qui le prend lui et son fils, les mène à Londres, où le maire, <«<< qui était marchand de vin, leur donne un souper digne du vainqueur, des

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