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l'Ecclésiaste, « Dieu examinera dans son jugement tout ce que nous aurons fait de bien et de mal.»> Il est donc maintenant aisé de concilier toutes choses. Le Psalmiste dit «qu'à la mort périront toutes nos pensées : » oui, celles que nous aurons laissé emporter au monde, dont la figure passe et s'évanouit. Car encore que notre esprit soit de nature à vivre toujours, il abandonne à la mort tout ce qu'il consacre aux choses mortelles; de sorte que nos pensées, qui devaient être incorruptibles du côté de leur principe, deviennent périssables du côté de leur objet. Voulez-vous sauver quelque chose de ce débris si universel, si inévitable? donnez à Dieu vos affections; nulle force ne vous ravira ce que vous aurez déposé en ces mains divines; vous pourrez hardiment mépriser la mort, l'exemple de notre héroïne chrétienne. Mais afin de tirer d'un si bel exemple toute l'instruction qu'il nous peut donner, entrons dans une profonde considération des conduites (dispensations) de Dieu sur elle, et adorons en cette princesse le mystère de la prédestination et de la grâce.

EXTRAIT DE L'ORAISON FUNÈBRE DE TURENNE;

PAR FLÉCHIER.

FLÉCHIER, évêque de Nimes (1632-1710), est le premier après Bossuet dans l'oraison funèbre. Celle de Turenne est son chef-d'œuvre. Harmonieux, élégant, fleuri, il est rarement pathétique, il n'est jamais profond, et la justesse manque parfois à ses pensées. Dans l'ensemble de l'éloge de Turenne, il surpasse de beaucoup Mascaron, qui a traité le même sujet ; celui-ci a pourtant l'avantage dans plusieurs morceaux, que nous citerons.

Je ne puis, messieurs, vous donner d'abord une plus haute idée du triste sujet dont je viens vous entretenir, qu'en recueillant ces termes nobles et expressifs dont l'Écriture sainte se sert pour louer la vie et pour déplorer la mort du sage et vaillant Machabée. Cet homme, qui portait la gloire de sa nation jusqu'aux extrémités de la terre; qui couvrait son camp du bouclier, et forçait celui des ennemis avec l'épée; qui donnait à des rois ligués contre lui des déplaisirs mortels, et réjouissait Jacob par ses vertus et par ses exploits, dont la mémoire doit être éternelle;

cet homme qui défendait les villes de Juda, qui domptait l'orgueil des enfants d'Ammon et d'Esau, qui revenait chargé des dépouilles de Samarie, après avoir brûlé sur leurs propres autels les dieux des nations étrangères; cet homme que Dieu avait mis autour d'Israel, comme un mur d'airain, où se brisèrent tant de fois toutes les forces de l'Asie, et qui, après avoir défait de nombreuses armées, déconcerté les plus fiers et les plus habiles généraux des rois de Syrie, venait tous les ans, comme le moindre des Israélites, réparer avec ses mains triomphantes les ruines du sanctuaire, et ne voulait d'autre récompense des services qu'il rendait à sa patrie que l'honneur de l'avoir servie: ce vaillant homme poussant enfin, avec un courage invincible, les ennemis qu'il avait réduits à une fuite honteuse, reçut le coup mortel, et demeura comme enseveli dans son triomphe. premier bruit de ce funeste accident, toutes les villes de Judée furent émues, des ruisseaux de larmes coulèrent des yeux de tous leurs habitants; ils furent quelque temps saisis, muets, immobiles. Un effort de douleur rompant enfin ce long et morne silence, d'une voix entrecoupée de sanglots que formaient dans leurs cœurs la tristesse, la pitié, la crainte, ils s'écrièrent: «Comment est mort cet homme puissant qui sauvait le peuple d'Israël ! » A ces cris Jérusalem redoubla ses pleurs; les voûtes du temple s'ébranlèrent; le Jourdain se troubla, et tous ses rivages retentirent du son de ces lugubres paroles: «Comment est mort cet homme puissant qui sauvait le peuple d'Israël ! »

Au

Chrétiens, qu'une triste cérémonie assemble en ce lieu, ne rappelez-vous pas en votre mémoire ce que vous avez vu, ce que vous avez senti il y a cinq mois? Ne vous reconnaissez-vous pas dans l'affliction que j'ai décrite? et ne mettez-vous pas dans votre esprit, à la place du héros dont parle l'Écriture, celui dont je viens vous parler? La vertu et le malheur de l'un et de l'autre sont semblables; et il ne manque aujourd'hui à ce dernier qu'un éloge digne de lui. O si l'esprit divin, l'esprit de force et de vérité, avait enrichi mon discours de ces images vives et naturelles qui représentent la vertu et qui la persuadent tout ensemble, de combien de nobles idées remplirais-je vos esprits, et quelle impression ferait sur vos cœurs le récit de tant d'actions édifiantes et glorieuses!

L'orateur divise son discours en trois parties. Il envisage dans Turenne le grand capitaine, le sage, le chrétien; division peu naturelle, puisque la

sagesse est un attribut du capitaine et du chrétien. La troisième partie renferme très-convenablement la mort de Turenne, que Mascaron a eu tort de raconter dans sa première partie.

Suivons ce prince dans ses dernières campagnes, et regardons tant d'entreprises difficiles, tant de succès glorieux, comme des preuves de son courage et des récompenses de sa piété. Commencer ses journées par la prière, réprimer l'impiété et les blasphèmes, protéger les personnes et les choses saintes contre l'insolence et l'avarice des soldats, invoquer dans tous les dangers le Dieu des armées, c'est le devoir et le soin ordinaire de tous les capitaines. Pour lui, il passe plus avant. Lors même qu'il commande aux troupes, il se regarde comme un simple soldat de Jésus-Christ; il sanctifie les guerres par la pureté de ses intentions, par le désir d'une heureuse paix, par les lois d'une discipline chrétienne; il considère ses soldats comme ses frères, et se croit obligé d'exercer la charité dans une profession cruelle où l'on perd souvent l'humanité même. Animé par de si grands motifs, il se surpasse lui-même, et fait voir que le courage devient plus ferme quand il est soutenu par des principes de religion; qu'il y a une pieuse magnanimité qui attire les bons succès malgré les périls et les obstacles, et qu'un guerrier est invincible quand il combat avec foi, et quand il prête des mains pures au Dieu des batailles qui le conduit.

Comme il tient de Dieu toute sa gloire, aussi la lui rapportet-il tout entière, et ne conçoit autre confiance que celle qui est fondée sur le nom du Seigneur. Que ne puis-je vous représenter ici une de ces importantes occasions où il attaque avec peu de troupes toutes les forces de l'Allemagne! il marche trois jours, passe trois rivières, joint les ennemis, les combat et les charge. Le nombre d'un côté, la valeur de l'autre, la fortune est longtemps douteuse. Enfin le courage arrête la multitude; l'ennemi s'ébranle et commence à plier. Il s'élève une voix qui crie: Victoire! Alors ce général suspend toute l'émotion que donne l'ardeur du combat, et d'un ton sévère: « Arrêtez, dit-il; notre sort n'est pas en nos mains, et nous serons nous-mêmes vaincus, si le Seigneur ne nous favorise1. » A ces mots il lève les yeux au ciel d'où lui vient son secours, et continuant à donner ses ordres, il attend avec soumission, entre l'espérance et la crainte, que les ordres du ciel s'exécutent.

1) Voyez note A à la fin du morceau.

Qu'il est difficile, messieurs, d'être victorieux et d'être humble tout ensemble! Les prospérités militaires laissent dans l'âme je ne sais quel plaisir touchant', qui la remplit et l'occupe tout entière. On s'attribue une supériorité de puissance et de force; on se couronne de ses propres mains; on se dresse un triomphe secret à soi-même; on regarde comme son propre bien ces lauriers qu'on cueille avec peine, et qu'on arrose souvent de son sang; et lors même qu'on rend à Dieu de solennelles actions de grâces, et qu'on pend aux voûtes sacrées de ses temples des drapeaux déchirés et sanglants qu'on a pris sur les ennemis, qu'il est dangereux que la vanité n'étouffe une partie de la reconnaissance, qu'on ne mêle aux vœux qu'on rend au Seigneur des applaudissements qu'on croit se devoir à soi-même, et qu'on ne retienne au moins quelques grains de cet encens qu'on va brûler sur ses autels 2!

C'était en ces occasions que M. de Turenne, se dépouillant de lui-même, renvoyait toute la gloire à celui à qui seul elle appartient légitimement. S'il marche, il reconnaît que c'est Dieu qui le conduit et qui le guide: s'il défend des places, il sait qu'on les défend en vain si Dieu ne les garde: s'il se retranche, il lui semble que c'est Dieu qui lui fait un rempart pour le mettre à couvert de toute insulte: s'il combat, il sait d'où il tire toute sa force; et s'il triomphe, il croit voir dans le ciel une main invisible qui le couronne. Rapportant ainsi toutes les gràces qu'il reçoit à leur origine, il en attire de nouvelles. Il ne compte plus les ennemis qui l'environnent: et, sans s'étonner de leur nombre ou de leur puissance, il dit avec le prophète : « Ceux-là se fient << au nombre de leurs combattants et de leurs chariots; pour nous, <«<nous nous reposons sur la protection du Tout-puissant. >> Dans cette fidèle et juste confiance, il redouble son ardeur, forme de grands desseins, exécute de grandes choses, et commence une campagne qui semblait devoir être si fatale à l'Empire.

Il passe le Rhin et trompe la vigilance d'un général habile et prévoyant. Il observe les mouvements des ennemis. Il relève le courage des alliés. Il ménage la foi suspecte et chancelante des voisins. I ôte aux uns la volonté, aux autres les moyens de nuire; et, profitant de toutes ces conjonctures importantes qui préparent les grands et glorieux événements, il ne laisse rien à la fortune de ce que le conseil et la prudence humaine lui peuvent ôter. 4) V. T. III, p. 32. 2) Voyez note B.

Déjà frémissait dans son camp l'ennemi confus et déconcerté. Déjà prenait l'essor, pour se sauver dans les montagnes, cet aigle dont le vol hardi avait d'abord effrayé nos provinces. Ces foudres de bronze, que l'enfer a inventés pour la destruction des hommes, tonnaient de tous côtés pour favoriser et pour précipiter cette retraite, et la France en suspens attendait le succès d'une entreprise qui, selon toutes les règles de la guerre, était infaillible.

Hélas! nous savions tout ce que nous pouvions espérer, et nous ne pensions pas à ce que nous devions craindre. La providence divine nous cachait un malheur plus grand que la perte d'une bataille. I en devait coûter une vie que chacun de nous eût voulu racheter de la sienne propre; et tout ce que nous pouvions gagner ne valait pas ce que nous allions perdre3. O Dieu terrible, mais juste en vos conseils sur les enfants des hommes, vous disposez et des vainqueurs et des victoires! Pour accomplir vos volontés et faire craindre vos jugements, votre puissance renverse ceux que votre puissance avait élevés. Vous immolez à votre souveraine grandeur de grandes victimes, et vous frappez quand il vous plaît ces têtes illustres que vous avez tant de fois couronnées.

N'attendez pas, messieurs, que j'ouvre ici une scène tragique, que je représente ce grand homme étendu sur ses propres trophées, que je découvre ce corps pâle et sanglant auprès duquel fume encore la foudre qui l'a frappé, que je fasse crier son sang comme celui d'Abel", et que j'expose à vos yeux les tristes images de la religion et de la patrie éplorées. Dans les pertes médiocres on surprend ainsi la pitié des auditeurs, et, par des mouvements étudiés, on tire au moins de leurs yeux quelques larmes vaines et forcées. Mais on décrit sans art une mort qu'on pleure sans feinte. Chacun trouve en soi la source de sa douleur, et rouvre lui-même sa plaie; et le cœur, pour être touché, n'a pas besoin que l'imagination soit émue3.

1) Inversions pleines d'élégance et d'harmonie. 2) Inventées. - 3) Il sera bon de faire remarquer combien Fléchier prodigue les antithèses. 4) Rapprochement faux, trait de déclamation. Le sang de Turenne ne peut crier comme celui d'Abel. -5) Ces réflexions d'un orateur sur l'effet qu'il compte produire et sur les moyens d'émouvoir, me paraissent froides et mal placées. Et la phrase qui suit, où il annonce quelques semaines à l'avance qu'il sera sur le point d'interrompre son discours en cet endroit, est encore plus froide. Comment, après les tranquilles réflexions qui précèdent, l'orateur peut-il donc tout coup se dire troublé, hors de luimême ? Le trouble ne vient pas au milieu de tant d'art. Le reste du paragraphe est fort beau.

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