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soudain je veux que vous prolongiez vos jours au-delà même de vos espérances. Hélas, mes frères! ce qui doit finir peut-il vous paraître long? regardez derrière vous; où sont vos premières années? Que laissent-elles de réel dans votre souvenir? pas plus qu'un songe de la nuit: vous rêvez que vous avez vécu; voilà tout ce qui vous en reste: tout cet intervalle qui s'est écoulé depuis votre naissance jusques aujourd'hui, ce n'est qu'un trait rapide qu'à peine vous avez vu passer: quand vous auriez commencé à vivre avec le monde, le passé ne vous paraîtrait pas plus long ni plus réel: tous les siècles qui ont coulé jusqu'à nous, vous les regarderiez comme des instants fugitifs: tous les peuples qui on paru et disparu dans l'univers; toutes les révolutions d'empires et de royaumes; tous ces grands événements qui embellissent nos histoires, ne seraient pour vous que les différentes scènes d'un spectacle que vous auriez vu finir en un jour. Rappelez seulement les victoires, les prises de places, les traités glorieux, les magnificences, les événements pompeux des premières années de ce règne; vous y touchez encore: vous en avez été la plupart, nonseulement spectateurs, mais vous en avez partagé les périls et la gloire ils passeront dans nos annales jusqu'à nos derniers neveux ; mais pour vous, ce n'est déjà plus qu'un songe, qu'un éclair qui a disparu, et que chaque jour efface même de votre souvenir. Qu'est-ce donc que le peu de chemin qui vous reste à faire? croyons-nous que les jours à venir aient plus de réalité que les passés ? les années paraissent longues quand elles sont encore loin de nous; arrivées, elles disparaissent, elles nous échappent en un instant; et nous n'aurons pas tourné la tête que nous nous trouverons, comme par un enchantement, au terme fatal qui nous paraît encore si loin et ne devoir jamais arriver. Regardez le monde tel que vous l'avez vu dans vos premières années, et tel que vous le voyez aujourd'hui une nouvelle cour a succédé à celle que vos premiers ans ont vue; de nouveaux personnages sont montés sur la scène; les grands rôles sont remplis par de nouveaux acteurs; ce sont de nouveaux événements, de nouvelles intrigues, de nouvelles passions, de nouveaux héros dans la vertu comme dans le vice, qui font le sujet des louanges, des dérisions, des censures publiques: un nouveau monde s'est élevé insensiblement, et sans que vous vous en soyez aperçus, sur les débris du premier: tout passe avec vous et comme vous: une rapidité que rien n'arrête entraîne tout dans les abimes de l'éter

nité: nos ancêtres nous en frayèrent hier le chemin; et nous allons le frayer demain à ceux qui viendront après nous. Les âges se renouvellent; la figure du monde passe sans cesse; les morts et les vivants se remplacent et se succèdent continuellement; rien ne demeure; tout change, tout s'use, tout s'éteint: Dieu seul demeure toujours le même; le torrent des siècles qui entraîne tous les homines, coule devant ses yeux; et il voit, avec indignation, de faibles mortels, emportés par ce cours rapide, l'insulter en passant, vouloir faire de ce seul instant tout leur bonheur, et tomber au sortir de là entre les mains de sa colère et de sa vengeance. Où sont maintenant parmi nous les sages? dit l'Apôtre; et un homme fùt-il capable de gouverner l'univers, peut-il mériter ce nom, dès qu'il peut oublier ce qu'il est et ce qu'il doit-être ?

se

Cependant, mes frères, quelle impression fait sur nous l'instabilité de tout ce qui passe: la mort de nos proches, de nos amis de nos concurrents, de nos maîtres? Nous ne pensons pas que nous les allons suivre de près; nous ne pensons qu'à nous revêtir de leurs dépouilles; nous ne pensons pas au peu de temps qu'ils en ont joui; nous ne pensons qu'au plaisir qu'ils ont eu de les posséder; nous nous hâtons de profiter du débris les uns des autres : nous ressemblons à ces soldats insensés qui, au fort de la mêlée, et dans le temps que leurs compagnons tombent de toutes parts à leurs côtés sous le fer et le feu des ennemis, chargent avidement de leurs habits; et à peine en sont-ils revêtus, qu'un coup mortel leur ôte, avec la vie, cette folle décoration dont ils venaient de se parer. Ainsi le fils se revêt des dépouilles du père, lui ferme les yeux, succède à son rang, à sa fortune, à ses dignités, conduit l'appareil de ses funérailles, et se retire plus occupé, plus touché des nouveaux titres dont il est revêtu, qu'instruit des derniers avis d'un père mourant, qu'affligé de sa perte, ou du moins désabusé des choses d'ici-bas par un spectacle qui lui en met sous les yeux le néant, et qui lui annonce incessamment la même destinée. La mort de ceux qui nous environnent n'est pas pour nous une instruction plus utile; un tel laisse un poste vacant, et on s'empresse de le demander; un autre vous avance d'un degré dans le service; celui-ci finit avec lui des prétentions qui vous auraient incommodé; celui-là vous laisse l'oreille et la faveur du maître, et c'était le seul qui pouvait vous la disputer; un autre enfin vous approche d'une dignité, et vous ouvre les voies à une élévation où vous n'auriez pu préten

dre qu'après lui; et là-dessus, on se ranime, on prend de nouvelles mesures, on fait de nouveaux projets, et loin de se détromper par l'exemple de ceux que l'on voit disparaître, il sort de leurs cendres mêmes des étincelles fatales qui viennent rallumer tous nos désirs, tous nos attachements pour le monde; et la mort, cette image si triste de notre misère, la mort ranime plus de passions parmi les hommes que toutes les illusions mêmes de la vie. Qu'y a-t-il donc qui puisse nous détacher de ce monde misérable, puisque la mort même ne sert qu'à en resserrer les liens, et nous affermir dans l'erreur qui nous y attache?

LA JOIE DE SIMEON ET LA DOULEUR DE MARIE;

PAR SAURIN.

(Ce morceau est tiré d'un sermon qui a pour texte le cantique de Siméon, Év. de St.--Luc, ch. II. v. 25-30. L'orateur cherche à se rendre compte de ce qui se passe dans l'âme de Siméon, et en particulier de ce qui, dans la vue de l'enfant Jésus, est propre à le détacher de la vie. Ces raisons sont les suivantes: Il n'a rien à prévoir ni à désirer dans la vie de plus grand que ce qu'il voit à cette heure; il n'est plus retenu à la vie par la crainte que ses péchés soient punis après la mort; il ne peut plus y être retenu par aucun soupçon contre le dogme d'une vie à venir. Ce qu'on va lire est le développement de la seconde de ces trois idées.)

SIMEON n'est plus retenu à la vie par la crainte que ses péchés soient punis après la mort. Le péché est l'aiguillon de la mort; cet aiguillon, perçant pour tous les hommes, l'est particulièrement pour un vieillard. Un vieillard est responsable de tous les emplois qu'il a remplis, de toutes les relations qu'il a formées dans la société et dans l'église. Et ce sont là pour l'ordinaire autant de sources de remords. En général ce n'est pas de quitter le monde qui rend la mort redoutable, c'est l'idée du compte que l'on doit rendre en le quittant. S'il ne s'agissait que de se préparer à quitter le monde, un peu de réflexion, un peu de philosophie, un peu de fermeté suffirait pour y réussir. Qu'est-ce que la vie, surtout pour un homme d'un certain âge? Quels plaisirs trouve un vieillard dans la société, lorsque sa

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mémoire est affaiblie, lorsque ses sens sont offusqués, lorsque le feu de son imagination est éteint, lorsqu'il perd tous les jours quelqu'une de ses facultés, lorsqu'il est tout au plus l'objet du support, quelquefois celui du rebut et de l'ennui universel? Mais l'idée de quatrevingts ans passés à offenser Dieu, mais l'idée de ces crimes qui sortent de toutes parts, et qui l'épouvantent par leur atrocité et par leur nombre, voilà un sujet légitime de terreur.

Ce sujet s'évanouit aux yeux de Siméon; il connaît le but de la naissance de cet enfant qu'il tient entre ses bras: il n'arrête pas ses yeux sur son berceau seulement; il les porte jusqu'à la croix par la lumière prophétique qui l'éclaire, il le voit mettant son âme en oblation pour les péchés. Il n'attend pas comme les Juifs grossiers un règne temporel; il se forme de justes idées de la gloire du Messie; il le contemple menant publiquement en montre les principautés, les puissances, et les attachant à sa croix. Ne nous accusez pas d'avoir puisé ces idées dans nos écoles et dans nos cours de théologie: c'est du fond de l'Évangile que nous puisons ces vérités. Pesez, je vous prie, ce que Siméon lui-même dit à Marie en lui montrant l'enfant Jésus: Celui-ci est mis en trébuchement en Israël. C'est un signe auquel on contredira : une épée qui percera ta propre âme. Quelle est cette épée dont la sainte vierge doit avoir l'âme percée ? C'était sans doute la douleur qu'elle ressentit lorsqu'elle vit son fils attaché à la croix. Quel objet pour une mère! Qui de vous, mes frères, a réuni ses soins les plus vigilants et sa tendresse la plus vive sur un seul objet, sur un enfant qu'il regarde comme devant être la consolation de ses maux, la gloire de sa maison, l'appui de ses derniers ans? Qu'il sente ce que les expressions les plus recherchées sont incapables d'exprimer; qu'il se suppose à la place de Marie; qu'il suppose cet enfant à la place de Jésus-Christ: faible image encore du combat que la nature livre à Marie, faible commentaire des paroles de Siméon à Marie: Une épée transpercera ta propre âme. Marie va perdre ce fils dont un ange du ciel lui avait annoncé la naissance; ce fils dont les armées célestes étaient venues féliciter la terre; ce fils que tant de vertus, tant de charité, tant de bienfaits semblaient devoir laisser éternellement sur la terre; elle se représente déjà cette affreuse solitude, cet abandon général que l'on éprouve lorsque, après avoir perdu ce que l'on avait de plus cher, on se trouve comme si tout le monde était mort, comme si l'on était resté seul dans l'être des choses, et si tout ce qui nous faisait mouvoir et tout ce qui nous faisait vivre, était anéanti. Et par quelle porte le voit-elle, ce fils, sortir du

monde? par un genre de martyre dont la seule idée effraie l'imagination. Elle voit ces mains charitables, qui avaient nourri tant d'affamés, qui avaient fait tant de miracles, percées de clous: elle voit cette tête royale, sur laquelle le diadème de l'univers devait être mis, couronnée d'épines, et ce bras, destiné à porter le sceptre du monde, tenant un roseau ridicule: elle voit ce temple dans lequel la Divinité a habité avec toute sa plénitude, avec toute sa sagesse, avec toute sa lumière, avec toute sa justice, avec toute sa miséricorde, avec toutes les perfections qui entrent dans la notion de l'Être suprême, elle le voit atteint avec une hache profane et une impie coignée. Elle entend la voix des enfants d'Édom, qui crient sur cette auguste demeure du Très-Haut, à sac! à sac! et qui la réduisent en monceaux de pierres. Encore si, en voyant expirer Jésus-Christ, elle pouvait s'en approcher pour le soulager et pour recueillir cette âme qu'elle ne peut retenir! si elle pouvait embrasser ce cher fils, le couvrir de ses larmes et lui dire les derniers adieux! si elle pouvait arrêter ce sang qui coule à grands flots, et qui consume le reste de ses forces épuisées! soutenir ce chef auguste qui chancelle, et mettre du baume sur ses plaies! Mais elle est contrainte de céder à la violence, elle est entraînée elle-même par la puissance des ténèbres; elle ne peut offrir à Jésus-Christ que des soins impuissants, et que des larmes inutiles: une épée percera ta propre âme. Siméon connaissait donc le mystère de la croix; il recueillait le sang que devait répandre ce Rédempteur qu'il tenait entre ses bras, et il disait dans ces sentiments: Seigneur, tu laisses maintenant aller ton serviteur en paix selon ta parole, car mes yeux ont vu ton salut.

DISCOURS DE MIRABEAU,

SUR LE PLAN DE M. NECKER, PROPOSANT LA CONTRIBUTION
DU QUART DU REVENU.

Le comte de MIRABEAU (1749-1791) est le plus éloquent orateur de la tribune française. Sa vie ne fut qu'un long orage. Pour quelques écarts de jeunesse, son père le fit enfermer dans une prison d'État. Cette punition le révolta contre l'autorité paternelle, davantage encore contre le pouvoir arbitraire, mais ne le corrigea pas. Des fautes graves lui attirèrent de nou

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